Les personnes conçues par don anonyme de gamètes ont-elles le droit de connaître tout ou partie de l’identité de leur géniteur ? C’est à cette question que la Cour européenne des droits de l’homme va bientôt devoir répondre. La requête ayant été introduite par des Français, la décision à venir pourrait influencer le processus national de révision des lois de bioéthique. C’est une question qui a été laissée de côté par les États généraux de la bioéthique, concentrés sur l’opportunité d’une extension de la PMA à toutes les femmes. En France, 5% des enfants conçus par le biais de l’assistance médicale à la procréation sont nés grâce à un don de gamètes. Or, depuis 1994, le code civil leur interdit de connaître leur géniteur. Seuls les médecins peuvent, et seulement en cas de nécessité thérapeutique, avoir accès aux informations permettant l’identification du donneur ou du receveur.
Une spécificité française
La position française apparaît isolée en Europe, à l’heure où de nombreux pays garantissent le droit à la connaissance des origines comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, Suisse, l’Autriche et la Belgique. Dans les faits, le principe d’anonymat est fragilisé par la possibilité d’acheter sur Internet des tests, interdits en France mais commercialisés ailleurs, qui permettent de comparer ses données génétiques à une base de données.
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C’est ainsi que Arthur Kermalvezen déclare avoir découvert l’identité de son géniteur. Son épouse Audrey, juriste spécialisée en droit de la bioéthique et elle aussi née par PMA avec don de sperme, a saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour que soit reconnu le droit d’accès à ses origines. Pour eux, l’enfant doit avoir la possibilité de connaître l’identité du donneur à sa majorité, ce qu’ils ressentent comme un besoin à la fois médical et existentiel. C’est aussi le combat mené par l’association Procréation Médicalement Anonyme, fondée en 2004 dans le but de « sensibiliser les professionnels de santé, le législateur et le grand public sur les conséquences délétères de l’anonymat total des donneurs de gamètes ».
La France bientôt condamnée ?
En 2015 puis en 2017, le Conseil d’État a estimé que le principe d’anonymat du don de gamètes n’était pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Mais sa jurisprudence pourrait paraître en porte-à-faux avec celle développée par la Cour européenne des droits de l’homme et ne préjuge en rien de l’issue qui sera donnée à cette nouvelle affaire.
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En effet, la Convention garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Selon la Cour, il implique un « droit à l’identité » garantissant « que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain », notamment par « le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance ».
C’est ainsi que la Cour de Strasbourg a jugé conforme à la Convention la législation française en matière d’accouchement sous X dans la mesure où les personnes nées sous X disposent depuis 1996 d’un accès à des informations non identifiantes sur leurs géniteurs et, depuis 2002, d’une possibilité d’accéder à l’identité de leur mère biologique avec l’accord de cette dernière (Odièvre c. France, 13 février 2003, req. n° 42326/98).
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Or, il n’existe rien de tel pour les personnes nées grâce à des dons de gamètes. C’est précisément le caractère absolu du principe français de l’anonymat des dons de gamètes qui pourrait entraîner une condamnation de la France pour violation du droit au respect de la vie privée et familiale. Une telle évolution serait en phase avec les principes de transparence et de traçabilité, par ailleurs très en vogue, même si les défenseurs de l’anonymat du don craignent une baisse du nombre de donneurs si le secret pouvait être levé.
La saisine de la Cour européenne des droits de l’homme intervient en pleine révision des lois françaises de bioéthique. Sa décision pourrait influencer le débat français, alors que la présentation en conseil des ministres du projet de texte révisant les lois de bioéthique est attendue fin novembre.