Cette semaine, Gabriel Privat vous propose de (re)découvrir la bande dessinée Valérian, qui a révolutionné la BD de science-fiction par son univers et les sujets qu’elle aborde.
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À la différence d’autres bandes dessinées où le héros est campé dans un portrait de perfection, comme Tintin, les personnages de Valérian ne manquent pas de défauts, au point parfois que l’on se demande s’ils ne sont pas des anti-héros.
La chose est plus complexe et nous nous trouvons en vérité face à des personnages archétypaux campés entre deux mondes, celui de la tradition épique et celui de notre post-modernité. C’est pourquoi ils peuvent être considérés comme extrêmement éloignés de nous, car ils incarnent un caractère en entier, ou sont porteurs d’une vision du monde univoque ; tout en étant relativement proches de nous par plusieurs traits de leur personnalité.
Cet alliage est une des spécificités de la série de science-fiction créée en 1967 par Jean-Claude Mézières et Pierre Christin et devenue depuis véritablement culte chez les amateurs de bande dessinée en France.
Valérian, le héros viril aux mille failles
De prime abord, le héros-titre, Valérian, incarne à la perfection le héros viril. Beau, fort, débrouillard, sans peur et sans reproche, il ne renonce jamais et accomplit ses missions jusqu’au bout sans faillir, car tels sont les ordres, tel est son devoir. Enfant de la Terre du XXVIIIe siècle, serviteur fidèle de Galaxity, capitale de l’empire galactique terrien, il a conscience de la destinée impériale et civilisatrice de la Terre.
Pourtant, derrière ce chevalier de vitrail, un autre personnage se dessine. Amoureux de sa coéquipière Laureline, il est prêt, pour assurer son bonheur matériel, à se livrer à des trafics d’armes que celle-ci juge par ailleurs répugnants, dans Les Armes vivantes. Soutenu par la haute technologie de Galaxity, il est plusieurs fois pris au dépourvu par les défaillances de celle-ci et s’en retrouve totalement piteux, comme dans Bienvenue sur Aflolol et Les Héros de l’équinoxe. Agent loyal, sa rectitude morale s’effondre à plusieurs reprises lorsqu’il se sent abandonné par ses chefs, au point que les rôles s’inversent et qu’il ne doive son relèvement qu’à Laureline, comme dans Métro Châtelet direction Cassiopée et Brooklyn station terminus cosmos.
Ces faiblesses humanisent le héros, mais il en ressort plus fort, notamment grâce à l’amour qu’il porte à Laureline et qu’il reçoit d’elle en retour. Celui-ci le soutient, voire le porte, comme dans Les Spectres d’Inverloch ou Sur les frontières. Dès lors, la figure de ce héros en couple ne peut se comprendre que dans la complémentarité homme-femme, qui rétablit sa qualité héroïque virile d’une nouvelle manière, plus proche de nous.
Laureline, héroïne post-moderne véritablement féminine
Quoiqu’elle vienne de l’an Mil, ce qui en fait une étrangère à Galaxity et ses cadres rigides, Laureline apparaît, de prime abord, comme une héroïne postmoderne. Rien en elle ne semble correspondre aux canons de l’héroïcité classique. Femme en pantalon, femme armée, conductrice intrépide d’astronefs, dotée d’un solide franc parler, parfois colérique et jalouse, ignorant la maternité là où Valérian connaît la paternité dans des dimensions mythologiques avec Les Héros de l’équinoxe, Laureline passe volontiers pour une héroïne contemporaine archétypale excessivement proche de nous.
Le chemin est en fait à l’inverse de celui de Valérian. Là où notre héros découvre ses failles au fil des albums, Laureline révèle sa féminité classique au long de leurs aventures. Féminine, elle n’est en rien féministe. Christin et Mézières raillent d’ailleurs allègrement féminisme et domination masculine en les renvoyant dos-à-dos comme deux caricatures d’humanité dans Le Pays sans étoile.
Au contraire de ces excès, Laureline se révèle indéfectiblement attachée à « son » Valérian, sans lequel la vie n’a plus de sens, méprisant le féminisme de bazar de Jadna, agent de Galaxity apparaissant dans Sur les terres truquées. Si elle sait se battre, c’est une héroïne qui pleure, là où Valérian reste de marbre. Agent du service spatio-temporel, elle préfère de loin au productivisme de Galaxity la contemplation de la nature. Enfin, sans être frivole, elle goûte le repos et les belles robes, sachant au passage user de ses charmes pour parvenir à ses fins. On retrouve là, par petites touches, les caractéristiques de féminité de l’héroïne classique : sensible, loyale et contemplative.
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Elle complète Valérian, en étant son soutien, et par cette réflexion en recul, là où notre héros fonce dans l’action.
Les personnages secondaires, ancrage traditionnel d’une œuvre moderne
Le monde de Valérian et Laureline est celui de l’hyper-vitesse, de la robotisation et de la puissance. Mais plusieurs personnages secondaires modèrent cette tension, en ancrant l’œuvre dans une forme de passé mythique aimable.
Le premier d’entre eux, Monsieur Albert, contact de Galaxity sur la Terre des années 1980, apparaissant dans sept albums, incarne par son aspect physique et ses manières une France provinciale, aimable, délicieusement surannée, faite de notables lettrés, toujours souriante et ouverte.
D’autres, comme les trois shingouz, espions et marchands d’informations en tous genres, personnages extraterrestres récurrents de l’œuvre, représentent un type du personnage des contes ; l’informateur inopiné récompensant le héros de sa bonté par des dons qui lui permettront de progresser dans sa quête.
La liste serait longue de ces personnages. Concluons avec une figure attachante des deux dernières parties de la saga, celle du schniarfeur, utilisé comme arme vivante à son corps défendant, il représente ces individus doubles, parfaitement bons et parfaitement mauvais, signes de mort et de sauvegarde en fonction des situations et selon leur humeur ou leur maître, comme on en rencontre souvent dans les contes.
C’est pourquoi on peut dire que la saga fait appel aussi bien aux canons classiques de la littérature héroïque et populaire qu’à ceux plus brouillés de notre monde contemporain.
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