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Sœur Annarita, de la campagne italienne aux bidonvilles de Manille

Petite sœur Annarita avec un jeune garçon.

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Domitille Farret d'Astiès - publié le 24/08/18
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« Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples », nous dit l’Évangile de Matthieu. Depuis ses origines, l’Église a pour vocation d’annoncer l’Évangile. Asie, Amérique, Afrique, Europe… Chaque continent est terre de mission. Durant le mois d’août, Aleteia propose de vous montrer différents visages de missionnaires. Découvrez aujourd’hui sœur Annarita, missionnaire à Mandaluyong City, aux Philippines.Mandaluyong City, au cœur du Grand Manille. C’est là que vit sœur Annarita, italienne, missionnaire aux Philippines depuis 27 ans. Le Grand Manille, titanesque ensemble de 14 millions d’habitants, abrite 17 villes au total. Une super-cité pleine de contrastes, marquée par des années de domination espagnole, où se côtoient quartiers d’affaires ultra modernes et immenses bidonvilles. Sœur Annarita, 62 ans, partage sa vie avec cinq autre sœurs. Une communauté très internationale puisque chacune est originaire d’un pays différent : Sri Lanka, Pakistan, Vietnam, France, Philippines et Italie. Elles font partie de la Fraternité des Petites Sœurs de Jésus, qui vit de la spiritualité de frère Charles de Foucauld, et habitent aujourd’hui dans un quartier simple de Mandaluyong City.

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© Fraternité des Petites Sœurs de Jésus
Les petites sœurs de la fraternité de Mandaluyong. Une fraternité aux couleurs internationales ! De gauche à droite, Maria Huyen (vietnamienne), Gones (sri lankaise), Seraphina Jong Hwa (coréenne), Annarita (italienne) et Gosia (polonaise).

Depuis leur arrivée dans la région en 1976, les religieuses ont logé dans différents quartiers, notamment parmi les gens des bidonvilles, qui représentent près de la moitié de la population de cette grande métropole. Elles ont choisi de vivre au milieu des plus pauvres. En janvier 1992, trois d’entre elles se sont installées dans une petite baraque à Quezon City, dans le nord de Manille, au milieu de 2.000 familles. Les problèmes rencontrés étaient nombreux (drogue, vol organisé, prostitution) et les conditions de vie très précaires. Pour s’approvisionner en eau, il fallait se rendre au point public, au milieu des baraques et des fosses septiques, pour l’acheter. De surcroît, elle était disponible à peine deux heures par jour : « Le problème de l’eau était vraiment terrible. Nous en manquions. Il fallait parfois aller la chercher dans des quartiers voisins mais elle était lourde à transporter, tandis que les champs de golf à côté étaient abondamment arrosés. Les gens étaient habitués car c’était la condition des pauvres, mais moi-même j’étais révoltée », témoigne la religieuse. Sans compter les fréquentes coupures d’électricité et la chaleur pesante de ce pays tropical…


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« Tout cela m’a beaucoup appris sur la persévérance de ces personnes que parfois l’on juge paresseuses de l’extérieur. C’est grâce à mes voisins que j’ai appris à vivre ici. Chez eux, j’ai découvert les valeurs qui soutiennent les pauvres : une foi simple en Dieu “qui ne nous oublie pas”, disent-ils, et la solidarité de chaque jour », témoigne la missionnaire. Car dans le bidonville, précise-t-elle, on partage facilement ce qu’on a. Depuis 2004, les sœurs ont l’eau courante. Un grand progrès.

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© Fraternité des Petites Sœurs de Jésus
La joie de vivre des enfants, une réalité palpable.

La vie de Nazareth

Aujourd’hui, les sœurs ont quitté le bidonville et se sont installées à Mandaluyong City, pour répondre à d’autres besoins. Petite sœur Annarita travaille à mi-temps comme femme de ménage : « C’est un travail déprécié. Quand j’ai commencé, les voisines se sont réjouies. En effet, elles se sentent très humiliées de faire la lessive, le repassage et le ménage pour les familles riches car elles sont parfois traitées avec mépris… Cela les a bouleversé car je devenais l’une d’entre elles”, raconte-t-elle. À côté, elle s’occupe de la maison, prend le temps de rencontrer ses voisins (un petit groupe se retrouve chaque semaine pour un partage d’Évangile et de vie), accueille ceux qui frappent à la porte — qu’il s’agisse d’amis ou de gens qui demandent à manger — et entretient les liens avec leur paroisse ou d’autres organisations au service des plus humbles. « C’est la vie simple de la plupart de gens, mais marquée par la prière, qui est au cœur de chaque journée. Nous voulons être contemplatives dans la vie ordinaire des pauvres, où les « semences du Royaume de Dieu » sont déjà présentes. Mais pour les découvrir, nous avons besoin de silence, de prière et d’écoute, afin d’affiner le regard du cœur. Nos fraternités vivent dans la réalité quotidienne de la plupart des gens, parmi les pauvres. C’est ce que nous appelons la vie de Nazareth, une présence simple, de partage dans l’amitié et la prière, à l’exemple de frère Charles. Il rêvait de petites fraternités qui puissent partager l’amour de Dieu en vivant dans des milieux difficilement accessibles par la pastorale habituelle de l’Église », explique-t-elle. Si la Fraternité des Petites Sœurs de Jésus était à ses débuts exclusivement consacrée au monde musulman, elle a rapidement gagné différents milieux éloignés de l’Eglise, à commencer par le monde ouvrier, puis par les nomades de tous genres sur les cinq continents. 

© Fraternité des Petites Sœurs de Jésus
Petite sœur Annarita avec un jeune voisin qui a ramassé des noix de coco.

Crier l’Évangile par la vie

Les sœurs vivent en petites fraternités dans des quartiers pauvres ou marginalisés. Elles ont le même style d’habitat que leurs voisins : roulotte ou tente au milieu des nomades, baraque dans les bidonvilles, cabane parmi les paysans d’Asie, petit appartement dans les quartiers populaires des grandes villes d’Europe… Quelle que soit la taille de leur logis, elles dédient toujours un petit coin à la chapelle car, ainsi que le précise sœur Annarita, « c’est cette présence de Jésus qui donne sens, vigueur, espérance à notre présence. Nous souhaitons vivre dans les mêmes conditions que nos voisins et partager avec eux travail manuel, transport public, fêtes… Nous essayons en particulier d’être au service de ceux et celles qui ne comptent pas dans la société, que ce soit nos compagnons de travail ou nos voisins. Notre présence est une façon de signifier que l’essentiel n’est pas de faire des choses grandes ou petites, mais de crier l’Évangile par la vie avant d’en parler ».

Fraternité des Petites Sœurs de Jésus

© Fraternité des Petites Sœurs de Jésus
Des voisins du quartier de Diliman, (qui signifie « endroit sombre »), à Quezon City.

« Notre plus grand défi est la vie communautaire, car elle touche au commandement de Jésus de nous aimer les uns les autres. Nous sommes de nationalités, cultures, langues, milieux différents… C’est un exercice d’amour quotidien d’intégrer les diversités pour qu’elles soient une richesse et non une source de division », ajoute-t-elle.

L’apprentissage de la confiance

Née dans une famille modeste de cinq enfants, près de la ville de Trente, au nord de l’Italie, elle a senti dès l’enfance un appel à la vie missionnaire. « Mes premières années ont été marquées par une certaine pauvreté, mais j’ai reçu un héritage précieux. J’ai bu la foi “avec le lait de maman” et j’ai appris à faire confiance à la Providence amoureuse de Dieu. Mes parents ont redécouvert la beauté de leur vie toute simple quand ils ont réalisé que j’allais moi-même expérimenter une vie finalement pas très différente de la leur. C’est la plus belle façon de dire que Jésus est venu consacrer la vie telle qu’elle est. L’extraordinaire est caché dans l’ordinaire ». Quelques années plus tard, en cherchant à nouer des liens avec des missionnaires de son diocèse, la jeune femme découvre une Église vivante sur différents continents. C’est ainsi que se forme son désir d’aller donner sa vie en Asie.

Fraternité des Petites Sœurs de Jésus

© Fraternité des Petites Sœurs de Jésus
L'accompagnement des enfants.

Pour la missionnaire, la grande richesse des Philippins est leur capacité à garder le sourire au milieu des problèmes : « Ils ne dramatisent pas. Même après une tragédie, ils recommencent toujours ». Elle raconte l’histoire de Fernand, qui vivait de vols dans la rue et qui a été emprisonné, aujourd’hui père de famille. Ou encore de Lerma, qui a découvert que son mari avait une deuxième famille et qui, malgré sa révolte, a silencieusement aidé son autre femme quand elle a eu besoin d’aide. Elle explique que là-bas, les gens aiment célébrer, faire la fête, prendre du temps pour les relations. Elle évoque la « dette de gratitude » (utang na loob, en tagalog), très profondément enracinée : « C’est le sentiment de reconnaissance profonde qu’untel peut avoir envers celui qui lui a fait du bien. Cette loyauté est très belle, mais peut aussi amener à une dépendance celui qui ne peut pas payer en retour. Certaines personnes puissantes utilisent cela au détriment des plus pauvres ». L’Italienne est marquée par cette culture qui aime profondément la vie et les enfants, par la simplicité de cœur de ceux qu’elle rencontre. Même si parfois, pour éviter de gêner ou d’être gêné, ces qualités deviennent excessives. De plus, la corruption, répandue à de nombreux niveaux, est source de pauvreté, de dépendance et d’asservissement pour beaucoup.

© Fraternité des Petites Sœurs de Jésus
Petite sœur Annarita avec Fernand et Joy et leur fille, des amis voisins qui ont tout fait pour s’en sortir.

La force du sourire

Le sens de la vie est très fort. Elle s’exclame : “En Italie, quand quelqu’un meurt, on est pressé d’en finir, d’apporter le cercueil ou les cendres au cimetière. Tandis qu’aux Philippines, il y a un sens communautaire de participation au deuil très fort. On prend le temps de partager, de pleurer, de raconter les mémoires, de montrer des photos, de manger ensemble. On garde le cercueil pendant neuf jours. Les uns et les autres se tiennent autour sans jamais le laisser. Après 40 jours, famille, amis et voisins proches du défunt se retrouvent pour une prière et un repas. C’est un rythme très humain, qui aide chacun à faire le deuil ». Ainsi, la mort fait partie de la vie.

Et elle conclue : « Il m’est encore difficile d’accepter les injustices, préjudices et mépris qui viennent du décalage entre les milieux. Ici, les classes sociales sont très marquées et le décalage est fort. La corruption dans le pays est difficile à accepter. Mais je me réjouis lorsqu’une personne qui semblait écrasée par les difficultés de la vie peut relever la tête et découvrir à nouveau sa propre dignité. Ou encore quand je découvre le pouvoir du pardon chez quelqu’un qui a beaucoup souffert. La soif de Dieu éveille mon désir de partager. Nous nous sentons parfois très impuissantes, mais nous nous tournons vers Jésus, qui s’est fait l’un de nous, pour ne pas être découragées. Il nous montre le chemin… ».



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