Après l’Allemagne, les Pays-Bas viennent de reconnaître l’existence juridique d’un troisième sexe. En France, la conception binaire du sexe (masculin ou féminin), se trouve progressivement remise en question. Mais le « sexe », composante de l’état civil déterminée à partir des attributs sexuels de l’enfant à sa naissance, doit-il être assimilé au « genre », perception subjective de son identité sexuée ?Le film The Danish girl nous donne un aperçu humain et bouleversant de cette profonde quête d’identité. Tiré d’une histoire vraie, le film retrace l’histoire de Lili Elbe, un artiste danois connu pour avoir été la première personne à subir une opération de changement de sexe en 1930. Quoi qu’on en pense, le traditionnel schéma homme/femme n’est pas une réalité pour tout le monde lorsqu’il s’agit de définir son identité. Cette question n’est pas nouvelle. Le monde a toujours été constitué d’hommes et de femmes, mais aussi d’hermaphrodites, d’intersexués (qui présentent un mélange des caractères sexuels mâles et femelles) et de transgenres. La particularité du transgenre est d’être né homme et de se sentir femme, ou l’inverse. Son ambiguïté sexuelle induit une absence d’appartenance totale à l’un ou l’autre des deux sexes. Il soulève donc la question de la concordance entre les attributs sexuels et l’identité sexuée. Or, lorsqu’un enfant naît, on lui attribue classiquement le sexe qui correspond à ses attributs sexuels. On distinguera donc le cisgenre, personne dont le genre correspond au sexe qu’on lui a assigné à la naissance, du transgenre, qui ne se reconnaît pas dans celui qu’il a reçu. L’expression de genre est donc très subjective et doit être distinguée du sexe, composante de l’état civil déterminée à partir des attributs sexuels biologiques.
La progressive reconnaissance d’un sexe neutre
Le débat autour d’un sexe « neutre » est devenu planétaire. Dès 2011, l’Argentine, pionnière en la matière, reconnaît l’existence d’un « troisième sexe ». Puis, c’est au tour de l’Australie et, quinze jours plus tard, de l’Inde. En juin 2013, le Népal a ordonné d’ajouter une catégorie « transgenre » aux passeports. Auparavant, le Portugal, la Grande-Bretagne et l’Uruguay avaient pris des décisions judiciaires similaires. En Europe, l’Allemagne est le premier pays à légiférer en ce sens, autorisant ainsi que les bébés nés sans être clairement identifiés comme garçon ou fille, soient enregistrés sans indication de sexe. Le 28 mai, un citoyen néerlandais, né intersexué, a obtenu le droit d’inscrire sur son acte de naissance la mention « le sexe n’a pas pu être déterminé ». Un à un, les législateurs de tous les Etats sont amenés à se prononcer sur cette question fondamentale, celle de la réelle nécessité de la binarité des sexes ou de son dépassement.
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Selon Laura Leprince, membre fondateur de l’association Inter-Trans’, on compte près de 15 000 transgenres en France. Contrairement aux pays précités, la France, « patrie des droits de l’homme », demeure perçue comme un mauvais élève pour les droits des transgenres. La langue française ne comprend d’ailleurs que deux genres, le genre neutre n’existe pas. Récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour violation du droit au respect de la vie privée, lui reprochant de « conditionner la reconnaissance de l’identité sexuelle des personnes transgenres à la réalisation d’une opération ou d’un traitement stérilisant qu’elles ne souhaitent pas subir ». En juillet 2016, la France a donc adopté une nouvelle procédure de changement de sexe à l’état civil pour les personnes transgenres. Cependant, si le changement de sexe entre masculin et féminin est aujourd’hui admis, l’évolution vers un troisième sexe, « neutre », n’est pas acquise.
En France, le maintien de la binarité des sexes
En France, tout individu doit être rattaché, dans les cinq jours suivants la naissance, à l’un des deux sexes existants : masculin ou féminin. En l’état de la législation, même si une personne présente des « anomalies organiques », elle doit être obligatoirement rattaché à l’un de ces deux sexes. C’est cette binarité qu’a réaffirmé la plus haute juridiction judiciaire française, dans une importante décision du 4 mai 2017. Dans cette affaire inédite, le requérant, d’apparence masculine, pourvu « d’un simple bourgeon génital embryonnaire », ne se considère ni homme, ni femme. Il dépose donc une demande de rectification de son acte de naissance afin que soit substituée à la mention « sexe masculin » la mention « sexe neutre » ou, à défaut, « intersexe ». Alors que le tribunal de Tours avait fait droit à sa demande et, tandis que la cour d’appel s’y était opposée, la Cour de cassation a consacré la notion binaire du sexe comme composante de l’état civil.
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Selon la Cour de cassation le principe est clair, « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ». Si elle reconnaît que l’identité sexuelle relève de la protection du droit à la vie privée, elle affirme néanmoins que « la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ». La haute juridiction ajoute que la reconnaissance d’un sexe neutre « aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». Pour la haute Cour, si la consécration d’un sexe neutre mérite d’être débattue, ce débat doit prioritairement avoir lieu sur les bancs du Parlement. L’appel est donc lancé au législateur… Affaire à suivre.