Une jeune ergothérapeute de 24 ans, Élisabeth de Courrèges, diplômée d’un master en éthique médicale partage avec les lecteurs d’Aleteia son témoignage sur l’accompagnement d’une personne en fin de vie.
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Élisabeth de Courrèges évoque dans cette tribune les derniers instants vécus avec avec un patient, la richesse de ce qu’elle a pu apprendre de leur relation et l’espérance qu’elle retire de cette rencontre.
“Madame,
Vous ne dites déjà plus rien, et pourtant votre corps parle pour vous et nous le rappelle à tous : vous allez mourir. Alors que je me tiens auprès de vous, je comprends que ce qui vous arrive est mystérieux et me reste inaccessible. Mais une intensité de présence toute particulière se dégage, et le hasard de mes visites de chambres m’a voulu témoin de ces instants.
Le temps ne compte plus. Seul le mouvement irrégulier de votre respiration rythme le moment que nous partageons, et l’alternance des phases d’inspiration, de pause et d’expiration façonne une nouvelle pulsation, une nouvelle perception des secondes, rebelles à la trotteuse de ma montre, rebelles à la mort qui, tant qu’elle n’est pas là, laisse toute la place à la vie. Un nouveau temps que je tente de partager avec vous au milieu d’une journée qui s’annonce déjà trop remplie. Un temps gagné à être perdu.
Je suis là. C’est ma seule certitude, ma seule réponse à votre regard. Présence à votre présence. Surtout, ne rien fuir, ne rien nier, ne pas détourner son regard. Ne rien attendre, ne rien chercher, aucune curiosité malsaine, aucun angélisme.
Je suis là. Comme un compagnon qui fait route avec vous, mais quelques pas en arrière. Je ne viens pas constater comment meurent les hommes, je viens contempler la vie. La vie dans ce qu’elle a de plus essentielle, détachée de ses compétences, de ses entreprises, de ses richesses, de ses mouvements, de ses mots. Malheureusement pas détachée de douleurs en ce moment.
Je suis là, dans un acte de foi : je quête l’invisible vie derrière vos yeux presque fermés. Mais quand ces yeux me convoquaient encore il y a quelques semaines, ils m’apprenaient à voir les sourires et les larmes que le monde ne savait plus voir, et à chercher la beauté derrière les souillures, les dépendances, les peurs, les blessures. Peut-être vouliez-vous me préparer à ce jour où plus rien ne me ferait croire en la dignité de votre corps en agonie, sinon cette leçon que vous m’avez transmise en héritage : la beauté est partout pour qui veut la voire.
Je suis là, je me remémore ce que vous m’aviez raconté de votre histoire, de vos passions, de vos affections, de vos dons, de vos séparations, de vos espoirs, et je m’autorise à imaginer le bouillonnement de votre vie intérieure.
Je suis là, et me surprend à vous parler dans mon fort interne, moi aussi. Comme lorsque je prie, et que les mots, sans dépasser les frontières silencieuses de mon cœur, parviennent intacts, je le crois, à mon Seigneur. Présence à Sa Présence.
Désormais j’ai compris ce que signifie « donner un sens aux derniers instants de la vie ». Ce n’est pas seulement une direction dans laquelle regarder, un futur qu’on n’en peut plus d’attendre. C’est un sens au présent. Veiller ne signifie pas seulement guetter une aurore nouvelle. C’est être sentinelle de cette vie encore présente, si proche de l’autre Vie. L’Espérance est plus qu’une attente. Elle est une présence.
Au revoir et merci. Vous avez fait taire tous ceux qui proclament que le temps de la fin de vie n’a pas de sens.
Élisabeth”