Anne Soupa n’est pas la première à s’interroger sur Judas. Si elle a décidé de reprendre l’enquête, dont elle connaît toutes les pièces, à charge et à décharge, c’est d’abord pour traiter le cas humain au plus juste, c’est ensuite pour examiner toutes les hypothèses qu’appelle le mystère qui subsiste.
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Pour explorer le mystère que représente Judas, le coupable idéal, Anne Stoupa distingue deux temps. Le premier scrute les données des Évangiles, dans leurs différences, leurs silences, leurs mots (par exemple le verbe paradidonai et non prodidonai : Judas ne trahit pas, il livre – mais le terme de livraison, sans guillemets n’est pas heureux. À partir de quoi Anne Soupa étudie les explications possibles de l’acte incriminé et leurs conséquences biographiques (zélote avant l’heure ? déçu par un Messie qu’il rêvait libérateur temporel ? cupide ?), et surtout théologiques (prévu de toute éternité pour permettre la Croix ?). Elle pèse chacune d’elles, indiquant ses préférences, et surtout met en perspective les questions qui creusent le mystère (Judas était-il libre ? N’était-il pas possédé ?).
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Le second temps commence avec la mort de Judas. Est-il le premier damné – comme le bon larron le premier sauvé ? Anne Soupa s’appuie sur quelques œuvres littéraires, le plus souvent récentes, certaines inutiles de son propre aveu, comme le Judas de l’aimable Marcel Pagnol. J’aurais préféré qu’elle utilisât le grand débat entre Madame Gervaise et Jeannette dans Le Mystère de la Charité : « Étant le Fils de Dieu, Jésus connaissait tout, / Et le Sauveur savait que ce Judas, qu’il aime, / Il ne le sauvait pas, se donnant tout entier. » Je ne pense pas trahir sa position : Jésus aime toujours Judas, il lui laisse la liberté de son acte, il ne le condamne pas, il lui pardonne, et Judas est sauvé comme le reste de l’humanité. Si l’Église dit le contraire, j’avance qu’elle a tort et que c’est elle-même qui se condamne.
Des formules saisissantes
Mais alors à quoi sert Judas ? Hypothèse d’Anne Soupa, bien appuyée sur une fine lecture des Évangiles, et sur les travaux de René Girard : Judas, c’est la figure du bouc émissaire du Yom Kippour. Il prend sur lui la faute de tout le peuple, à commencer par celle des autres disciples, qui ont renié ou fui. Le coupable idéal, titre de l’essai. Lecture audacieuse, mais qui mérite considération et ouvre à la réflexion : Dieu sait si en deux mille ans la charge de ce bouc n’a cessé de s’alourdir.
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Il y aurait bien à dire encore, par exemple sur l’attitude tantôt odieuse tantôt embarrassée de l’Église au long des siècles, jusqu’à Benoît XVI : « Ce n’est pas à nous qu’il revient de juger son geste, en nous substituant à Dieu, infiniment miséricordieux et juste. » Bien écrit, le texte ne manque pas de formules saisissantes ; l’implication personnelle le rend frémissant, entre passion et maîtrise ; le mode d’exposition choisi, l’enquête, accroche le lecteur comme un juré lors d’une plaidoirie.
Le profit spirituel ? J’en laisse l’expression à l’auteur, s’adressant à Judas : « Nous autres, lecteurs des Évangiles, nous t’avons accompagné et nous t’accompagnerons encore, de Semaine sainte en Semaine sainte, en silence et en paroles, car ton histoire pénètre jusqu’à la moelle de nos os. Et, à chaque fois, il nous reviendra de transformer ce que nous aurons appris de toi, à cause de toi et avec toi, en une leçon de sagesse et de vie. »
Judas, le coupable idéal, Anne Soupa, éditions Albin Michel, février 2018, 234 pages, 15 euros.