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Jean Duchesne : « La mission ne peut pas attendre ! L’amour de Dieu n’attend pas ! »

JEAN DUSCHENE

Jean Duchesne, historien, membre de l'Observatoire foi et culture (OFC). À Paris, le 29 novembre 2014.

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Claire Kesraoui - publié le 26/09/17
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À la veille du Congrès Mission, qui se tient du 29 septembre au 1er octobre 2017 à Paris, l’essayiste Jean Duchesne revient sur le caractère constitutif de la mission pour l’Église.Aleteia : Peut-on parler d’un réveil missionnaire en France ?
Jean Duchesne : Pas plus ni moins que d’un retour du religieux. Le religieux n’est jamais parti et le besoin de la mission n’a jamais disparu non plus. Tout a commencé avec Jésus et les apôtres. La mission est un besoin permanent même quand le christianisme est la religion dominante. La foi n’est jamais un acquis dont on pourrait jouir en ignorant son prochain. On ne se la donne pas. Elle vient de Dieu à travers ceux qu’il « missionne » et ce ne sont pas seulement les membres du clergé. Et on la reçoit à la mesure où non seulement on entre en relation avec Dieu, mais encore on partage avec les autres ce qu’il fait découvrir. C’est exactement comme la vie. Elle vient de Dieu. Il ne se contente pas de la donner, mais se donne lui-même, se livre littéralement et invite à faire de même. Cela veut dire vivre non pas comme de simples produits très provisoirement individués et conscients de mécanismes sociobiologiques, mais pleinement et véritablement, avec la liberté de Dieu qui se donne et donne ainsi de lui ressembler. Il y a toujours des moments où les chrétiens perçoivent plus nettement que la culture ambiante n’y pourvoit pas ou plus assez et que participer à cette dynamique requiert un engagement personnel.

À quoi correspond la nouvelle évangélisation ?
Les difficultés pour croire – autrement dit pour voir plus loin que le bout de son nez – ont toujours existé. On est toujours tenté de s’approprier les dons reçus, d’oublier d’où ils viennent, ou de prendre ceux qui les transmettent pour leurs auteurs, ou encore de considérer qu’on a bien mérité ces bienfaits, voire qu’on les crée soi-même. Aujourd’hui en Occident, les gens vivent mieux et plus longtemps. Ce relatif confort ne libère pas, comme le promettait naïvement le mythe du progrès, mais tend à enfermer dans l’instant. La « nouvelle évangélisation » consiste à rouvrir l’horizon, à montrer que tout a une origine, une source, mais aussi une fin et un but, qu’on n’est pas condamné à subir en ne vivant que comme consommateur et qu’on peut au contraire être associé à cet élan à travers toutes sortes de médiations : celles de l’Église et ses sacrements qui donnent la force d’aimer avec constance son prochain comme Dieu l’aime et d’en témoigner en paroles aussi bien qu’en actes. Ce sont ces médiations qui délivrent de la tyrannie de l’immédiat imposée par la civilisation actuelle.


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La sécularisation n’est-elle pas inéluctable ?
On a cru à tort que la déchristianisation était un phénomène irréversible et irrésistible. Mais, en ce début du XXIe siècle, ce n’est pas la sécularisation qui a le vent en poupe. Ce sont plutôt les religions. Il n’y a pas que l’islam. Voir ce qui se passe en Asie du Sud-Est : hindouisme, bouddhisme… Et le christianisme est lui aussi en expansion. Le protestantisme évangélique gagne du terrain et les catholiques européens ne sont pas minoritaires que chez eux : ils le sont aussi dans l’Église « romaine ». C’est manifeste avec les nouveaux cardinaux du pape François ; ils sont presque tous sur les quatre autres continents. À l’échelle planétaire à l’heure de la mondialisation, ce sont les Occidentaux sécularisés qui sont des marginaux attardés et dépassés.

Pourquoi un sentiment d’urgence est-il souvent associé à la mission aujourd’hui ?
Parce que la mission ne peut pas attendre ! L’amour de Dieu n’attend pas ! Quand on s’aperçoit qu’on est pratiquement seul de son espèce comme catholique, il y a un véritable sentiment d’urgence qui s’installe. Jésus, dans l’Évangile, a pitié de toutes les brebis sans berger. Ce sentiment d’urgence dont vous parlez, c’est le Christ qui l’a d’abord éprouvé. Ce qui a quand même changé depuis Jean Paul II – et le cardinal Lustiger en France [Jean Duchesne est l’exécuteur littéraire du cardinal, décédé le 5 août 2007, ndlr] –, c’est que les chrétiens ont perdu un certain complexe intellectuel. Ils ont moins le sentiment d’avoir à vendre quelque chose qui n’est pas crédible. C’est peut-être dans les milieux les plus instruits que les catholiques sont proportionnellement les plus nombreux, même s’ils sont évidemment encore loin d’être majoritaires parmi les élites et les nantis.



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En quoi consiste l’évangélisation ?
Il y a une conception un peu superficielle de l’évangélisation, qui consiste à présumer qu’elle repose essentiellement sur certaines techniques de propagande et de persuasion. Je ne dis pas que le savoir-faire est superflu. Mais dès que nous ressentons l’appel à l’évangélisation, nous éprouvons notre inadéquation. Nous ne sommes pas à la hauteur. Nous ne donnons jamais tout, quel qu’en soit notre désir, parce que nous ne possédons pas tout. Le vrai défi est de nous rendre suffisamment transparents, et pas d’être assez convaincus pour être convaincants. L’expérience montre qu’il ne suffit pas d’arriver la bouche en cœur en disant : « Jésus est ressuscité ! », ou : « Dieu existe et il vous aime ». Je crois que l’évangélisation, c’est un peu comme semer à tout vent sans s’imaginer que chaque graine portera du fruit. Alors on peut et il faut « monter » des « opérations ». Mais il faut aussi semer tous les jours et ne pas laisser passer les occasions – en évitant à la fois l’obsession contre-productive et la culpabilisation si on se dit qu’on n’en fait pas assez.

N’y a-t-il pas la crainte de tomber dans le « prosélytisme » ?
Je vois mal en quoi le prosélytisme serait mauvais en lui-même si cela veut dire se reconnaître envoyé – c’est le sens du mot « apôtre ». On ne parle plus d’apostolat aujourd’hui. C’est peut-être dommage. Parce que l’Église est tout entière apostolique, et pas seulement en vertu du fait que les évêques sont les successeurs des premiers compagnons du Christ. De toute façon, il ne s’agit pas d’embrigader les gens, mais de les libérer. L’Église n’est pas une secte ! Elle est assez large, ouverte et diversifiée pour que chacun y trouve le style d’appartenance qui lui convient.

Croyez-vous que des gens puissent se convertir suite à une évangélisation ?
Quand on se convertit, ce n’est que bien rarement tout seul dans son coin, en vertu d’une illumination directe. Mais c’est parce que, d’une manière ou d’une autre, quelque chose de l’Évangile a été transmis – grâce à une évangélisation, autrement dit une transmission ou une médiation de quelque chose de l’Évangile. Mais cette médiation n’est pas forcément une médiatisation dans le cadre d’une campagne explicite et dûment organisée. Ce peut être simplement en signalant que la foi a une place ineffaçable dans notre monde, dans notre histoire. Quand j’étais prof d’anglais en prépa dans le public, j’enseignais le « Notre Père » en anglais et j’incitais à lire la Bible dans la fameuse version du roi Jacques. Pas pour faire du prosélytisme, mais tout simplement parce que la langue et la littérature anglaises jusqu’à aujourd’hui (et sans doute pour longtemps encore) sont inintelligibles sans ces références. Ce n’était pas à strictement parler de l’évangélisation. D’ailleurs, aucun athée de service n’a jamais protesté. Au contraire, des étudiants, dont des incroyants et mal croyants, m’ont confié ensuite que leur vision du christianisme en était devenue plus positive. Et comme je leur avais dit au début de l’année, après leur avoir fait remplir leur fiche biographique, que pour ma part j’avais cinq enfants sans avoir jamais changé de femme, ils savaient à qui ils avaient affaire. Et j’ai la faiblesse de supposer que c’est au moins en partie pour cette raison qu’ils venaient me parler en sachant que je les écouterais.



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Qu’est-ce qui ferait aujourd’hui que l’évangélisation revienne au cœur de la vie des catholiques ?
Le mot « aujourd’hui » est de trop. L’évangélisation a toujours été et elle sera toujours partie intégrante de la vie de chrétien. Autrefois, cette nécessité de la mission était intériorisée et un peu refoulée. Ce qui rend l’évangélisation visible, c’est l’érosion du christianisme sociologique. On a longtemps considéré que notre un pays était foncièrement chrétien. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La proposition de la foi devient un devoir qui doit être personnellement assumé, parce que les structures socio-culturelles le remplissent bien moins, voire pas du tout en bien des endroits.

Le christianisme est une histoire de réveils spirituels à répétition ?
Oui. Il y a toujours eu plein de réveils dans l’histoire chrétienne. On parle de « réveils » dans l’histoire du protestantisme à partir du XVIIe siècle. Mais il existe autant sinon plus de réveils catholiques ! Qu’est-ce que l’apparition du monachisme bénédictin, puis des franciscains et des dominicains, puis des jésuites et du carmel, sinon des réveils ? On ne compte plus les ordres religieux fondés au XIXe siècle. Et pourtant, le saint curé d’Ars se demande si les gens qui viennent le voir sont encore chrétiens. France, pays de mission : c’est le titre d’un ouvrage retentissant des abbés Godin et Daniel pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce n’était pas une nouveauté, et c’est toujours vrai.

La mission est toujours à reprendre ?
Oui, tout comme sa conversion quotidienne. Il faut bien garder à l’esprit que la qualité de l’évangélisation ne se mesure pas avec des chiffres de participation à la messe dominicale ou d’ordinations sacerdotales. L’évangélisation consiste à tout essayer, et le reste est entre les mains de Dieu. D’un côté, il y a l’infinie liberté de l’Esprit saint et, de l’autre, la liberté limitée de l’homme. Tout se joue dans ce décalage ou cette disparité que Dieu seul peut combler et où la volonté humaine n’a d’efficacité que si elle commence par de la disponibilité – et celle de l’apôtre aussi bien que de ceux auxquels il est envoyé.

Propos recueillis par Claire Kesraoui.

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