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Quels signes d’espoir pour les réfugiés yézidis qui ont échappé à Daesh ?

YAZIDI WOMEN
Mathilde de Robien - publié le 02/08/17

Entretien avec le père Patrick Desbois, prêtre catholique, fondateur de l’association Yahad In Unum, et du projet Action Yazidis, dont le but est de venir en aide aux réfugiés yézidis, pourchassés par Daesh depuis août 2014, et regroupés dans des camps au Kurdistan irakien. Le père Patrick Desbois, co-auteur, avec Costel Nastasie, du livre La Fabrique des terroristes (2016), a déjà effectué une dizaine de séjours avec son équipe dans les camps de réfugiés, afin de recueillir les témoignages d’hommes, de femmes et d’enfants sortis des griffes de Daesh, dans le but de fournir aux autorités compétentes les preuves d’un génocide qui se déroule encore actuellement, à seulement cinq heures d’avion de Paris.

Aleteia : Qui sont les yézidis ?
Père Patrick Desbois : Les yézidis sont une minorité confessionnelle, non musulmane, au sein d’un peuple lui-même minoritaire et persécuté : les Kurdes. Leur lieu de culte principal est le temple de Lalesh, dans la province de Ninive, en Irak. Depuis août 2014, les combattants de Daesh persécutent la communauté yézidie qu’ils considèrent comme des mécréants, et exigent leur soumission à l’islam. Des dizaines de milliers de yézidis se sont réfugiés au Kurdistan irakien, mais un grand nombre d’entre eux se sont fait tuer ou enlever. Les garçons sont envoyés dans des camps d’entraînement dans lesquels ils apprennent à tuer, les filles et les femmes deviennent esclaves sexuelles et sont vendues et rachetées des dizaines de fois chacune.

Bahar raconte : « J’avais seulement 15 ans quand les soldats de Daesh m’ont arrêtée ! J’ai été violée par des jeunes et par des vieux. Ils m’ont venue comme du bétail. Un des leurs a voulu se marier avec moi, mais sa femme était jalouse et m’a brûlée avec une théière. Elle me torturait. »

Maha, 11 ans, a été séparée de ses parents. Elle a été achetée par une famille de Daesh à Raqqa, en Syrie. Elle devait nettoyer la maison, laver les vêtements, faire la vaisselle, garder l’enfant de la famille. Au bout de trois mois, elle a été envoyée dans un camp d’entraînement pour filles. Le matin, elle recevait des cours d’islam et l’après-midi, elle effectuait des entraînements physiques, et parfois, elle devait nettoyer les armes des combattants.

Quelle est la mission d’Action Yazidis ?
Le premier objectif est d’obtenir justice pour ces survivants yazidis. Cela exige de documenter les faits, au maximum, avec la topographie de ce qui s’est passé, avec les noms et les visages de ceux qui les ont maltraités, et faire comprendre aux yézidis qu’un jour ou l’autre il y aura une justice. Progressivement, on accumule un matériel suffisant pour le fournir aux autorités compétentes, qui se mettent en place ici et là, pour accuser Daesh de crime contre l’humanité. Une jeune fille yézidie s’est révoltée : « Les soldats de l’État islamique m’ont tout pris : ma vie et mon corps. Ils me droguaient tous les jours, tous les jours me violaient. J’espère qu’un jour, ils vont tous être punis ».

Cependant, on ne peut pas s’approcher et interviewer des victimes de massacre de masse ou de génocide sans une dimension éthique. Notre mission, c’est aussi de les écouter, de faire preuve de charité, de les aimer. Quand les personnes sortent de deux ou trois années d’enfermement, ils sont dans un état physique et psychique épouvantable. Nous les soignons et les menons à l’hôpital. On n’est pas simplement là avec notre caméra à la main, on les aide, au niveau médical, juridique, administratif, toutes choses normales, relevant de la fraternité humaine.

Un ami juif me disait : « Il faut mettre l’amour là où le diable a gagné ». L’amour peut tout ! Je pense que la première chose qui compte pour ces personnes, c’est de se sentir aimées. Par exemple, début juin, nous ne pouvions pas rendre à un petit garçon ses parents, ses frères et ses sœurs, prisonniers de Daesh, mais nous avons pu lui rendre le sourire en lui offrant le vélo dont il rêvait.

Leur situation est d’une tristesse infinie, y a-t-il, malgré tout, des signes d’espoir ?
Je vois une capacité incroyable, de la part de ces femmes, à se reconstruire si on leur tend la main. Nous avons mis en place des ateliers couture, dans les camps, pour les femmes qui ont tout perdu, dont les maris sont morts, dont les fils sont morts, dont les frères sont morts. Ces femmes n’avaient pas de métier, elles étaient à la maison, donc elles passaient leur journée sous des toiles de tente à revoir défiler l’horreur qu’elles avaient subie. Grâce aux ateliers, elles réapprennent l’autonomie, à vivre ensemble, à regarder le futur. Je les ai vues se transformer : elles retrouvaient le sourire, elles étaient heureuses, et disaient : « Ça nous a changé la vie, on n’arrivait pas à enlever ces images de notre tête ». Désormais, elles prennent le temps de se voir, de boire le thé, de parler, d’échanger sur leur souffrance. Dans le camp de Cham Musko, grâce à l’atelier de couture, des femmes yézidies, anciennes esclaves de Daesh retrouvent le sourire, l’espoir, la dignité. Toutes, en nous voyant, s’écrient : Supas ! Merci !

Il y a aussi des hommes dans les camps. On installe actuellement une structure d’aide psychologique pour aider les jeunes hommes et les jeunes garçons, qui ont été endoctrinés, qu’on a convertis de force, à revenir à leur identité première de yézidi. Ainsi, un jeune yézidi, resté un an dans une école islamique à Raqqa, puis six mois dans un camp d’entraînement, ne savait plus qui il était. Beaucoup de ces enfants ne se souviennent plus de leur langue maternelle, on leur a changé leur prénom, on leur a appris à devenir terroriste, donc les parents sont catastrophés lorsqu’ils les récupèrent. Ils ont payé une rançon pour les racheter et parfois l’enfant leur dit qu’il n’est pas leur enfant : je me rappelle d’un père obligé de montrer à sa fille une photo d’elle petite pour le lui prouver. Ces enfants sont violents parce qu’on leur a fait connaître des actes très violents : on les associait soit au combat, pour tirer sur le front, soit à des peines capitales. Et bien souvent, ils ont été forcés à prendre de la drogue tous les jours, « pour oublier leurs parents », il faut leur apporter des soins pour que leur corps se déshabitue. D’où la nécessité de ces centres d’aide psychologique.

Propos recueillis par Mathilde de Robien.

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