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Jacques Mulliez : « L’homme doit être prêt à tous les sacrifices, sauf un, celui de son bonheur »

JACQUES MULLIEZ

© DR

Jacques Mulliez

Louise Alméras - publié le 24/07/17

Ancien dirigeant d’entreprise engagé dans les EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens), Jacques Mulliez est l’auteur de Passeur de joie, réclamé avec force par son éditeur. Son engagement, ses actes de courage, sa droiture, nourris aux exemples de Thomas More et d’Etty Hillesum, dont il est un ami fervent, sont aussi les fruits de sa recherche de la joie.

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Aleteia : Vous avez eu des responsabilités aux EDC pendant plusieurs années. Que gagne-t-on, en tant que dirigeant d’entreprise, à se comporter en chrétien ?
Jacques Mulliez : Je crois que l’on gagne la paix intérieure. Le trépied des EDC est la conversion personnelle : travailler sur soi-même, se comporter dans l’entreprise en appliquant les valeurs de l’Évangile comme respecter vos collaborateurs, vos clients ou vos actionnaires ; chercher à avoir une bonne influence pour créer un cercle vertueux ; essayer d’agir sur les institutions, pour travailler à une cohérence interne entre ce que l’on croit et pense et ce que l’on fait. C’est ce que m’ont apporté les EDC, ce n’est jamais gagné, mais cela permet de contribuer à son bonheur personnel en étant cohérent avec ses propres valeurs. Il y a des réunions mensuelles avec un conseiller spirituel, des rencontres, des formations proposées. Actuellement, j’ai monté un séminaire de formation pour les entrepreneurs et dirigeants chrétiens sur le thème : « Face à l’adversité, décider en conscience ; l’exemple de Thomas More ». Cet environnement permet de cheminer vers une cohérence personnelle, de manière libre et responsable.

La liberté est une notion qui vous est chère, dont le summum serait « l’obéissance aux conséquences de nos choix ». Vous rappelez que l’obéissance est l’art de l’écoute de l’autre et surtout de l’écoute de Dieu. En quoi est-ce une source de joie ?
Celui qui considère qu’il est libre seul, en oubliant qu’il a un environnement, quel qu’il soit (la nature, la famille, des salariés, les relations humaines), et fait ce qui lui plaît est tout sauf un homme libre. C’est un homme qui répond mal, il obéit à ses pulsions : « Il fait beau, je vais aller dehors ; il y a une jolie femme, j’ai envie de la draguer ; tiens ça c’est beau, je le prends, ce n’est pas à moi mais je m’en fiche ». Tout cela est la fausse liberté, c’est celui qui ne s’occupe absolument pas du monde, et ça met tout le monde très mal. Je considère que la liberté est d’être attentif aux valeurs qui me tiennent à cœur. À partir de là, essaye-t-on d’être cohérents et d’obéir aux conséquences de ses choix ? Voici un exemple. J’ai décidé de me marier, mon choix est donc a priori d’être fidèle. Si, aussitôt marié, je commence à séduire toutes les personnes que je rencontre en me disant : « Celle-là, je ferais bien un petit quelque chose avec elle », là, c’est totalement contraire à la liberté. Donc, celui qui se marie en n’étant pas fidèle — je ne dis pas qu’il ne peut pas y avoir de tentations et on ne peut pas toujours être parfait — ne respecte pas sa vocation d’homme libre. La loi de Dieu est une loi d’amour sur chacun d’entre nous. Se marier ou devenir prêtre est aussi obéir à une loi d’amour. 

Finalement c’est aussi savoir dire non. Thomas More vous y a aidé à certains moments cruciaux. 
Oui, comme le dit mon saint patron, l’apôtre Jacques : « Que ton oui soit oui, que ton non soit non ». Personne ne vous oblige à dire oui. Celui qui dit oui en permanence choisit finalement la solution de facilité, car certains oui sont faciles à dire quand on n’a pas envie de poser un choix, de contester, ou qu’on a peur. Donc il y a le oui vrai qui nous engage et nous fait obéir aux conséquences de ce choix dans une circonstance déterminé. Puis il y a le non, qui est aussi un choix par rapport à des questions posées ou des situations par rapport auxquelles on est confronté, qui le rend conforme au respect de ses valeurs. Le pape Pie XI disait de Thomas More qu’il était un « homme complet » parce qu’il est sensuel et ascétique, directif et tolérant, grave et plein d’humour, je pourrais faire toute une litanie, et nous sommes tous pétris de traits positifs et moins positifs. C’est un problème d’équilibre. Les anciens avaient cette phrase : in medio stat virtus, l’équilibre se trouve là. Donc parfois il y a des non, mais Thomas More a aussi accepté beaucoup de compromis en tant que diplomate, car c’est l’art de la diplomatie.

Vous évoquez trois rencontres improbables et marquantes avec un prisonnier, un prêtre syndicaliste et un homme en souffrance. Vous citez à cette occasion le père Cantalamessa : « Quand Dieu veut donner à une personne une parole importante, Il lui donne aussi une certaine émotion pour pouvoir l’accueillir ». Quels sont les signes de cette présence de Dieu ?
Il y en a eu d’autres rencontres, mais pour moi elles ont été emblématiques et les circonstances totalement différentes, qui illustrent le sous-titre de mon livre : « Se laisser questionner par les autres et par Dieu ». Elles m’ont permis de cheminer et de me construire. Malgré les idées toutes faites, si l’on est capable d’écouter un peu l’autre on se rend compte que la vérité, si on la cherche, ne nous appartient pas. C’est une très belle phrase du père Cantalamessa que j’avais envie de citer. Parfois j’essaye juste d’être le petit disciple du Christ, d’être à Son écoute et à Son image dans mon comportement. D’abord, j’ai découvert que je récitais une prière qui s’appelle « Notre Père ». Je ne dis pas « Mon Père », cela veut dire que les autres hommes et femmes sur cette terre sont mes frères et sœurs en Christ.

Une deuxième chose me semble essentielle, je le dois beaucoup à mon épouse. Elle m’a appris à ne pas étiqueter, ce qui revient à juger et condamner une personne. Quand elle était bénévole pendant des années à la prison d’Amiens elle n’a jamais dit d’eux « c’est un voleur » mais « c’est quelqu’un qui a volé », « ce n’est pas un criminel, c’est quelqu’un qui a commis un crime ». Cela voudrait dire autrement qu’on le condamne pour toujours. Le premier saint que nous connaissons dans l’Église est le bon larron. Jusqu’au dernier moment toute personne peut se repentir s’il reconnaît avoir fauté. Ensuite, j’essaye d’éviter de détenir la vérité. Nous sommes là pour être des nomades, des chercheurs de vérité. À partir de là je peux écouter l’autre, même si je ne partage pas son opinion ou son comportement. Il est important de toujours être en mouvement, de ne pas être installé en disant : « Je sais ce qui est bien, je sais ce qui est bon, de mon temps c’était mieux. C’est extrêmement pénible ».

Vous avez visiblement acquis beaucoup de sagesse avec le temps.
Peut-être. Il faut continuer à semer sachant que la récolte ne nous appartient pas. Si j’essaye d’être sage c’est aussi par égoïsme, dans un souci de bonheur personnel. Je cite dans mon livre l’exemple d’un prêtre qui faisait une conférence au collège où j’étais, je n’ai jamais oublié cette phrase : « L’homme en général, le prêtre en particulier, doit être prêt à tous les sacrifices, sauf un, celui de son bonheur personnel ». C’est l’équivalent de : « Aimer son prochain comme soi-même ». Beaucoup de personnes ne sont pas bien dans leur peau, parce qu’elles n’ont pas été aimées, ou n’ont pas appris à s’aimer et à accepter leurs fragilités. Dieu m’aime tel que je suis. Suis-je donc plus exigeant que Dieu à me refuser tel que je suis ? Quelle vanité. Être réconcilié avec soi-même apporte la paix. Étant bientôt à l’aube d’une vie nouvelle, je préfère être dans la paix que dans l’angoisse permanente. Malheureusement, je rencontre beaucoup de personnes de ma génération de plus en plus malheureuses, mal dans leur peau, se plaignant, gémissant. Pour avoir été bénévole pendant sept ans aux soins palliatifs, beaucoup étaient dans la sérénité, pas toujours des croyants d’ailleurs, et d’autres très crispés. Moi-même je ne sais pas comment je réagirai face à la mort.

Votre ouvrage s’intitule Passeur de joie. Alors, qu’est-ce que la joie selon vous ?
Un indice imparable de la joie est la paix intérieure, il ne trompe jamais. Il ne faut pas confondre joie et bonheur, ou plaisir. Certains mélangent un peu les trois, et cela n’a rien à voir. Par contre le bonheur est très proche de la joie, il permet de se sentir joyeux. La joie pour moi c’est me réjouir à chaque fois que je peux y arriver du moment que je vis. Actuellement, je goûte ce moment au téléphone d’avoir quelqu’un qui s’intéresse à mes pensées. En même temps, j’ai une autre joie devant les yeux, la vue du jardin avec des étangs au loin, il y a des nuages, du vent, du soleil, des fleurs. J’ai la joie de voir la Création. Donc la joie est multiforme. Elle est aussi de prier le matin, quand je demande au Seigneur d’être un bon instrument. Elle peut être permanente si vous savez cueillir ce qui se passe dans le temps présent. Je pense à une femme de mon âge que ses enfants venaient voir. Elle s’inquiétait déjà de leur départ. Je lui ai répondu : « Mais réjouissez-vous qu’ils viennent, enfin ! »

Certaines personnes vivent en permanence dans le passé ou le futur. Il y a une très belle phrase de Thomas More : « Seigneur, donnez-moi la grâce de gérer le présent, la prudence pour l’avenir et la reconnaissance pour le passé ». Ce sont trois temps séparés et nous devons vivre dans le présent car nous sommes incarnés. Carpe diem disaient les poètes. Il ne s’agit pas de jouir en permanence. La joie ce n’est pas être dans un nirvana total, planer dans un irréel. Soyons là où nous sommes car le Seigneur me donne de vivre la joie du quotidien. Dans les épreuves, comme les multiples opérations que j’ai eu ces dernières années, cela me permet, sans me prendre pour un saint ou un héros, de participer à la Passion du Christ. C’est ainsi que, lorsque j’ai eu la très grande tristesse de perdre ma femme brutalement, le Seigneur a mis dans mon cœur, quelques heures après son retour à Dieu, une immense gratitude pour toutes ces années passées avec elle.

Propos recueillis par Louise Alméras.

Passeur de joie de Jacques Mulliez
© Nouvelle Cité

Passeur de joie, par Jacques Mulliez, éditions Nouvelle Cité, avril 2017, 18 euros. 

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edc
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