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“Le tombeau est vide” : Récit des soldats qui gardaient le corps du Christ

Piero della Francesca (1420–1492) La Résurrection de Jésus Christ © Wikimedia Commons

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Elizabeth Scalia - publié le 16/04/17
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Si le rapport des soldats romains qui gardaient le tombeau du Christ sur ordre de Ponce Pilate était parvenu jusqu'à nous, il nous raconterait peut-être l'étonnante histoire de la Résurrection de Jésus telle que nous la livrons ici...

Il n'avait pas peur, bien sûr que non, mais il lui était tout simplement impossible d'ouvrir les yeux.

L'air était doux et léger, glissant sur sa peau comme la caresse consolante d'une femme... et pourtant, il sentait les fins poils de ses bras, de ses mains et de sa nuque se dresser comme le pelage d'un animal.

« Par Jupiter ! pensa-t-il, que s'est-il passé ici ? »

Il avait eu le temps de voir plusieurs femmes s'approcher de lui, puis, cette lumière soudaine et comme un rugissement – une lumière si blanche ! si éblouissante ! qui paraissait emplie d'une force vivante. Elle lui avait sembler pétiller et l'envelopper de ses vifs remous, ainsi que le font ces eaux qui baignent le Vésuve. C'est juste après que s'était fait entendre ce son, comme un craquement perçant suivi d'un grondement s'échouant telle une vague dans un fracas bourdonnant.

J'ai dû faire une crise, pensa-t-il. J'ai déjà entendu parler de ces convulsions qui surviennent après avoir vu de trop vifs éclats de lumière. Il soupira profondément et souleva la masse de son corps pour se remettre sur pied, maintenant son bras devant ses yeux encore clos.

Cela doit être la fatigue de plusieurs jours de labeur, se dit-il à lui-même. Ce maudit trou paumé m'épuise et me rend malade ! Et ces bons à rien de paysans qui grouillent de partout et nous épuisent avec leurs requêtes et leurs caprices...

Il n'aura fallu que quelques jours à peine pour les détourner de leurs prières et leur faire oublier leur procession et leurs rameaux. Les voilà changés en un troupeau répugnant et assoiffé de sang – et qui doit monter la garde au milieu de la foule ? Qui doit les retenir de s'entre-tuer et de déclencher une guerre ? Marcellus, pardi ! Cette bonne poire de Marcellus Secundus Valerius, voilà qui ! Et tout ça pour si peu d'argent...

Tout en continuant de grommeler, il s'assit en se frottant le visage et cracha pour s'éclaircir la gorge. Alors qu'il rouvrait les yeux, son regard se figea net et il sentit de nouveau ses poils se hérisser. Le tombeau était ouvert !

Je dois encore être endormi, trembla-t-il. Serait-ce donc un rêve ?

Mû par son instinct militaire, il se remit debout d'un bond avant même de savoir ce qu'il allait faire. Il parcourut les alentours du regard. Les femmes avaient disparu. Il n'y avait absolument personne à la ronde, mis à part ce lourdaud de Tite, la jeune brute qu'on lui avait désignée afin de le seconder. Il était assis là, bien droit, le fixant d'un air interrogatif.

« Qu'est-ce que tu regardes comme ça, espèce d'imbécile ? lui lança-t-il.
- Je ne sais pas, répondit Tite. Je dormais juste...
- Je me demande bien s'il t'arrive de ne pas roupiller, même quand tu es éveillé. Allez, viens ! »

Alors qu'ils approchaient du tombeau, Marcellus s'aperçut qu'il retenait son souffle. Il regarda la poussière par terre. On pouvait y deviner quelques minces traces de pas féminins, à peine visibles, presque effacées – mais pas totalement. Au sol, aucune empreinte du pas robuste d'un homme. Rien qui puisse laisser croire qu'on ait déplacé un poids : et pourtant, la pierre avait bel et bien bougé !
Ce ne pouvait être les femmes.

"- Quelles femmes ?" , demanda Tite. Marcellus ne s 'était pas même rendu compte qu'il pensait à voix haute. Il n'avait aucunement envie d'en dire davantage et se contenta de fusiller Tite d'un regard plein de mépris et de dégoût.

"- Abruti !" se contenta-t-il de lui répondre.

Tite, cette tête creuse sur pattes pleine de curiosité, n'avait pas levé le nez des traces de pas. Alors qu'il s'était penché au-dessus du tombeau jusqu'à engouffrer sa tête à l'intérieur, il se redressa et se retourna brusquement. « Il n'y a plus que ses haillons là-dedans ! s'exclama-t-il. Rien d'autre! Pas de cheveux, pas d'os. Impossible qu'une bête l'ait mangé. »

Marcellus marmonna un juron dans sa barbe et secoua la tête. Quelle offense ai-je bien pu faire aux dieux pour qu'on m'oblige à me coltiner ce goret d'adolescent écervelé ? se demanda-t-il une fois de plus. Écartant Tite d'un geste, il se rua jusqu'au tombeau.
Ce n'étaient pas des haillons, mais le linceul et les bandelettes de lin. Aucune exhalaison putride ou rance ne s'en dégageait : l'air, au contraire, était frais, comme empreint d'une puissante odeur de savon. On aurait dit que l'endroit venait d'être lavé par les eaux d'une tempête.

« On doit l'avoir emmené, murmura Tite en grimaçant. Un sale histoire, à coup sûr.
- Allons faire notre rapport, fulmina Marcellus en le bousculant pour sortir, la mine renfrognée. »

Il demeura silencieux pendant tout le chemin, occupé à chercher une explication à ce qu'il venait de voir, ignorant Tite dont l'esprit distrait avait déjà délaissé ce mystérieux tombeau vide pour s'attacher à de nouveaux bavardages stériles, comme il ne se lassait jamais d'en répéter, à propos de l'origine des petits galets et de l'énigme de leur formation.

Mais que puis-je au juste rapporter ? s'inquiétait-il. Rien n'a échappé à mon regard ! J'ai vu la foule railleuse se moquer de lui. J'ai vu son corps brisé et décharné traîner péniblement le bois qu'il portait tandis que je maintenais la foule à distance. J'ai vu... non, cela devait être mon imagination... j'ai bien vu un mouchoir ensanglanté, mais pas de visage, pas d'image, non, juste un tissu gorgé de sang.

Je l'ai bien vu mourir ! Je ne l'ai pas quitté des yeux lorsqu'on l'a déposé dans les bras de sa mère éplorée. Elle couvrait de baisers son visage usé, ses yeux éteints et ses lèvres fendues. Elle le serrait fort contre son cœur, avec une tendresse que j'aurais du mal à décrire, comme s'il était toujours son enfant chéri.

Puis, elle a gémi. C'était à peine le souffle d'un gémissement, si doux... mais qui paraissait provenir d'une douleur souterraine si profonde qu'il ne semblait destiné à personne d'autre.

Jamais encore il ne se souvenait avoir entendu de sanglots aussi humbles, aussi intenses, aussi intimes. Ils paraissaient tout à fait secrets, alors même que la foule endeuillée se pressait autour d'eux, pleine de curiosité.

La figure de cette mère le hantait, tout autant que cette manière parfaitement inflexible dont elle était demeurée là, à contempler les plaies de son fils. Et ce gémissement, comme un suave abandon...

Que vais-je raconter ? se demandait-il. Il était mort, et le voilà disparu. Il y avait des femmes. Étaient-ce des magiciennes ? Il y a eu cette lumière blanchâtre. Il y aussi eu... cette silhouette d'homme. Était-ce lui, dans la lumière ? Tiré de sous la terre par les dieux ? Les dieux, bien sûr, peuvent faire tout ce qu'ils souhaitent, mais... pourquoi auraient-ils donc élevé un simple Juif sans importance dans leurs sphères ?

Je l'ai vu mourir ! On m'a tiré de table à l'heure du déjeuner pour venir monter la garde à cause... à cause de ces vulgaires rumeurs de Juifs ! De ces lâches et faibles Juifs !

Il n'y avait que des femmes. Et puis cette lumière et ce craquement, comme un coup de tonnerre. Il me faut rapporter ce que j'ai vu, voilà tout, finit par se convaincre Marcellus.

« Tu penses qu'on nous punira ? l'interrogea Tite, dont les rouages de l'esprit venaient apparemment de se remettre en branle. On s'est endormis, et ils l'ont emporté. Ils vont être furieux d'apprendre que nous avons failli à notre mission, tu ne crois pas ? »

Marcellus tourna son regard vers lui, et pour la première fois les traits de son visage se détendirent.

« Je dirai tout simplement ce que j'ai vu, répondit-il d'un ton presque amusé. Et j'en assumerai les conséquences. Quant à toi, mon improbable second... » Il passa alors son bras autour des épaules de Tite, dans un geste presque affectueux. « Toi, tu en feras tout autant : tu dois leur livrer chacune de tes pensées, exactement comme elle te vient. »

Il scruta l'horizon.

« Tu pourrais même être surpris de la joie que tu provoqueras en eux en leur disant cela. Peut-être Tite deviendra-t-il à son tour un véritable soldat, contre toute attente, qui sait ? ajouta-t-il tandis que s'allumait dans son regard une gaîté inhabituelle. Quant à Marcellus Secundus, qui te dit qu'il n'a pas envie de prendre enfin sa permission ? De retrouver sa liberté, enfin... »

La liberté de m'interroger, pensa-t-il en s'étonnant lui-même. Alors, peut-être, je trouverai la réponse.

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