Plutôt que le discours communautariste, n’est-ce pas un combat commun contre le matérialisme et le relativisme qui peut réunir chrétiens et musulmans ?
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« Bon carême » m’a dit un jour avec un grand sourire une collègue musulmane visiblement ravie de découvrir qu’un “Gaulois” pouvait s’astreindre lui-aussi à ce qui ressemblait pour elle à un ramadan chrétien. « Bonnes Pâques » m’a dit une autre un peu après qui, à défaut d’en connaître la signification, avait identifié cette fête comme l’équivalent de l’Aïd el Fitr, la fête de clôture du ramadan. Et quand elles ont découvert que je faisais le pèlerinage des maris et des pères de famille, là aussi ça leur a parlé ! Depuis cet épisode, ces signes d’empathie se sont multipliés à chaque fois que, dans mon milieu professionnel, mes collègues découvrent que je suis catholique pratiquant et heureux de l’être.
Ces petits signes de connivence, discrets dans un univers professionnel hostile à toute expression du fait religieux et influencé par une conception de la laïcité dévoyée, sont révélateurs d’une recomposition des clivages au sein de notre société qui, pour être discrète n’en est pas moins irréversible. Comme la tectonique de plaques. Face aux nihilistes et aux désespérés de la vie on trouvera le camp des croyants qui, malgré leurs différences confessionnelles, se sentiront davantage solidaires parce qu’ils se retrouveront confrontés au même climat d’hostilité, tant envers le phénomène religieux, qu’à la notion même de morale.
Cela ne signifie pas que le christianisme et l’islam soient des doctrines interchangeables ou qu’ils professent la même morale. Mais les croyants des deux religions ont en commun de ne pas souscrire à une civilisation qui cantonne le domaine de la foi à une activité relevant purement de la sphère privée au même titre que l’équitation ou la philatélie. Ce qui les réunit c’est la conviction ferme qu’il existe un Dieu qui est la vérité et que toute notre existence doit s’organiser en fonction de cette conviction. Ne serait-ce parce que l’existence que nous menons ici bas détermine celle que nous mènerons après notre mort.
De même ils croient qu’il existe une différence de nature entre le bien et le mal, que tout ne se vaut pas, que tout ne relève pas de l’opinion majoritaire – même exprimée dans les formes régulières et légales du suffrage universel – et que les comportements privés ont des conséquences sociales. Un tel rapprochement n’est possible que parce que nous sommes un pays dont les racines sont chrétiennes et non-musulmanes. Il serait impossible et impensable au sein de sociétés majoritairement musulmanes. Là-bas le droit positif comme les mentalités profondes sont marqués par la charia qui réserve aux non-musulmans un régime d’apartheid en les affublant d’un statut de citoyens de seconde classe appelé dhimmi.
Mais, paradoxalement, un tel rapprochement témoigne aussi de la déchristianisation profonde de notre pays. C’est parce que le nihilisme y est triomphant que des croyants de religions différentes s’y sentent marginalisés et minoritaires. C’est parce que la notion même de bien et de mal est remise en cause que certains prennent le maquis.
L’esprit religieux est par nature assez peu compatible avec le culte du court terme, de l’immédiat, de la pulsion et de la volonté de puissance. Celui qui aspire à se recueillir, ne cherche pas à s’éclater. Celui qui aspire à mûrir avant de mourir et de renaître à la vie éternelle, ne cherche pas prioritairement à obtenir la satisfaction immédiate et inconditionnelle de ses pulsions. Celui qui cherche à vivre selon le plan de Dieu ne cherche pas à exalter sa volonté de puissance.
Le rapprochement que j’entrevois entre catholiques et musulmans est davantage une alliance contre un monde perçu comme inacceptable qu’un syncrétisme. Il se fera sur une base individuelle et non communautaire. Il ne concernera que ceux qui cherchent à nourrir leur foi et à en vivre et non ceux qui, croyants sociologiques, se conforment à l’usage majoritaire du moment. Il se fera au nom de la conviction qu’on ne peut séparer les créatures de leur créateur.
Ce ne sera pas l’application de préceptes du Coran que la plupart des musulmans ne connaissent pas voire pas du tout, faute d’être capables de le lire. Et tant mieux car il existe fort heureusement beaucoup de musulmans qui valent mieux que le Coran, pour ce que sa lettre a parfois d’obscur, voir d’obscurantiste. Ce sera l’expression de la religiosité naturelle à l’être humain contre le déferlement de non-sens que nous impose une société de plus en plus nihiliste, la résistance de la conscience humaine contre ce qui contrefait l’homme. C’est donc une occasion providentielle pour leur annoncer la Bonne nouvelle !