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L’immigration de masse n’est pas une solution

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Laurent Dandrieu - publié le 17/02/17
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Réponse au père Christian Venard sur ses critiques à l’égard de “Église et immigration, le grand malaise”.

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Lire les tribunes du père Christian Venard : 
Première partie “Non, le Pape n’est pas responsable de la crise migratoire”
Deuxième partie : “Faut-il vraiment fermer les frontières pour résoudre la crise migratoire ?”


Dans deux tribunes successives parues sur Aleteia, le père Christian Venard a exercé une critique serrée de mon livre Église et immigration, le grand malaise, nourrie du débat que nous avons eu ensemble sur ce sujet pour un numéro à paraître de l’Homme nouveau. Critique bienvenue, car c’est justement pour ouvrir ce débat de fond que j’ai publié cet essai. Qu’il soit ici remercié de l’attention bienveillante avec laquelle il m’a lu, du sérieux de ses objections, et du ton fraternel (et que je sais parfaitement sincère) sur lequel il les a exprimées. Cette bienveillance est précieuse : ce n’est pas un trésor à protéger, non – c’est un feu à propager. La charité, en effet, commence là : si nous ne sommes pas capables, entre catholiques, de débattre sereinement, en frères, de nos points de désaccords, quel sens peut bien avoir la fraternité que nous offrons aux autres hommes ? Je vais donc m’efforcer de répondre dans le même esprit, par différentes observations qui sont naturellement développées dans mon livre.

« Non, le Pape n’est pas responsable de la crise migratoire »

D’abord, sur le titre de la première tribune du père Venard : « Non, le Pape n’est pas responsable de la crise migratoire ». Je n’ai certes jamais prétendu qu’il le fût : mon livre n’est d’ailleurs pas une étude des causes de la vague migratoire (ni des remèdes à y apporter) mais se veut seulement une analyse de la façon dont le discours de l’Église contribue, qu’on le veuille ou non, au désarmement moral de l’Europe face à ce que le Pape lui-même a pourtant qualifié d’invasion. Écoutons le philosophe Pierre Manent : « Je suis très surpris de la léthargie des Européens qui semblent consentir à leur propre disparition. Pis : ils interprètent cette disparition comme la preuve de leur supériorité morale. » Qui ne voit que, dans cette léthargie, les élites européennes ont un rôle crucial, et parmi elles l’Église catholique ? Et comment ne pas penser, en lisant cette petite phrase sur la supériorité morale, aux appels du pape François à remiser au placard nos inquiétudes quant au devenir de notre civilisation au profit de la « culture de la rencontre » ?

Le père Venard lui-même doit reconnaître que l’Église a participé « à la marge à une forme de suicide moral de l’Europe » : si ce n’était qu’à la marge, ce serait encore trop ! Mais il me semble que je démontre dans mon livre que cette « marge » est en réalité un océan de textes et de déclarations. Deux remarques de détail : certes, l’Église n’est pas responsable de la stratégie consistant à instrumentaliser les migrations pour disposer d’une main-d’œuvre bon marché. On aurait cependant préféré qu’elle la dénonce avec vigueur, plutôt que d’y prêter inconsciemment la main en voyant les migrations seulement comme un signe du « plan de rédemption de l’homme » (Jean Paul II) ; et ne contribue-t-elle pas aussi, par ses discours d’accueil, à l’appel d’air qui pousse tant de gens à tenter leur chance vers l’Europe ? Quant au regroupement familial, ce n’est certes pas l’Église qui l’a décidé : mais elle a en revanche la responsabilité de l’avoir continument prôné, avant même qu’il soit mis en place en France, par exemple.

Les positions politiques du Saint-Père

Le Pape, me dit le père Venard, quand il veut faire de la politique, s’adresse directement aux chefs d’État ou à leurs représentants ; le reste du temps, il parle en tant qu’autorité morale, et ses paroles ne peuvent faire l’objet d’une critique politique. D’abord, j’étudie aussi dans mon livre ces discours directement politiques. Ensuite, je conteste fondamentalement l’ambiguïté d’un discours qui prétend être exclusivement « moral » mais a des implications politiques directes : quand le pape François, s’adressant à des fidèles, dit et répète que les frontières ne sont pas une solution à la crise migratoire, il fait de la politique ; quand Jean Paul II réclame, au moment du Jubilé de l’an 2000, une régularisation massive des clandestins, il fait de la politique ; quand l’Église prône le regroupement familial, elle fait de la politique ; et même, quand elle nous invite à voir dans les migrations « la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu » (Benoît XVI), elle fait aussi de la politique, sans en avoir l’air : car quelle politique migratoire aurait une légitimité assez forte pour mettre des barrières à la cité sans frontières de Dieu ? On voit bien que la lutte n’est pas égale…

Critique des conférences épiscopales

Le père Venard reconnaît d’ailleurs une certaine justesse à mes attaques contre les conférences épiscopales : mais leurs déclarations ne tombent pas du ciel… Elles sont une interprétation des textes pontificaux, et c’est bien dans ceux-ci que les évêques de France, notamment, ont cru trouver leur légitimité à condamner toutes les tentatives politiques de restreindre les flux migratoires comme contraires aux droits humains. Et ces déclarations ont un terrible pouvoir incapacitant (une anecdote empruntée à Malika Sorel, révélant comment ces interventions répétées avaient tétanisé le gouvernement de Dominique de Villepin, le montre bien). L’auctoritas est aussi, une potestas, pour le meilleur et pour le pire. Ces prises de positions de l’Église étant politiques, le fidèle a parfaitement le droit – j’y consacre un chapitre entier de mon livre – de les remettre en cause. Il en a même le devoir, s’il estime en son âme et conscience qu’elles conduisent l’Europe et l’Église elle-même à la catastrophe.

Le discours de l’Église sur les nations 

Le père Venard se rassure en disant que l’Église tient aussi un discours, très beau et très riche, sur les nations et sur le bien commun. Je ne l’ignore pas, et j’en parle longuement dans mon essai. Mais il reconnaît lui-même que ce discours a été désormais relégué au second plan, car « l’accueil de l’étranger devient pour l’Église la priorité première ». Je vais plus loin sur lui sur ce point : la doctrine de l’Église sur les nations et sur le bien commun me semble être aujourd’hui, très souvent, semblable à un livre qu’on garde sur une étagère (quand ce n’est pas au fond d’un placard encombré), mais qu’on n’a pas ouvert depuis des années : il est là, mais il est comme mort, parce qu’on ne l’utilise pas. Et comment l’utiliserait-on, quand Jean Paul II lui-même, qui a effectivement sur les nations un discours très riche, voit dans les migrations « une voie nécessaire pour l’édification d’un monde réconcilié » ? Ce que l’Église ne voit pas, ne veut pas voir, obnubilée par son attention quasi exclusive à l’accueil, c’est que l’ampleur de la vague migratoire met gravement en danger les nations européennes, sans profit pour quiconque : car comme l’écrit Victor Hugo : « Le jour où la misère de tous saisit la richesse de quelques-uns, la nuit se fait, il n’y a plus rien. Plus rien pour personne. »

Les choix du Pape 

Le Pape, dit le père Venard et beaucoup d’autres avec lui, ne peut pas dire autre chose que ce qu’il dit ? Mais pourquoi ne pourrait-il pas dire que l’avenir des migrants n’est pas en Europe, mais sur leur terre ? Pourquoi ne pourrait-il pas dire que la résolution de l’inégale répartition des richesses que dénonce à juste titre le père Venard ne réside pas dans le déracinement des populations, mais dans des politiques de développement que cet exode massif, qui prive ces pays de leurs forces vives, ne fait que retarder ? Pourquoi ne pourrait-il pas dire que la fragilisation des nations occidentales n’est pas une solution, mais un problème supplémentaire ? Pourquoi ne pourrait-il pas regarder en face la réalité, et s’apercevoir que son tweet du 9 août dernier : « Exigeons que soient respectés les peuples autochtones, menacés dans leur identité et leur existence même », concerne aujourd’hui aussi les Européens ? Pourquoi ne pourrait-il pas dire que les Européens, eux aussi, ont droit à la sollicitude de l’Église, et comprendre que les 15 % de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté et nos six millions de chômeurs ne partagent pas son optimisme sur la possibilité d’accueillir des centaines de milliers de migrants ? Qu’est-ce qui l’oblige, par ailleurs, à nier avec constance les problèmes posés par la présence massive de l’islam en Europe, et en particulier l’existence d’un rapport problématique de la religion musulmane avec la violence, au point qu’il la mette en balance avec une improbable « violence catholique » ?

Évangéliser en Europe 

Le père Venard termine sa belle disputatio sur un appel, que je partage évidemment, à l’évangélisation. Mais là aussi, l’Église n’a-t-elle pas trop tendance à oublier les Européens ? Comment opérer la Nouvelle évangélisation de l’Europe, comment mettre fin à son apostasie silencieuse, si l’on ne cesse d’expliquer aux Européens que leur inquiétude quant aux menaces que font peser sur leur identité l’immigration de masse et la présence massive sur le continent d’un islam de plus en plus radical n’est pas légitime ?

En réalité, le christianisme pourrait aisément redevenir une idée neuve en Europe si l’Église voulait bien considérer le légitime souci des Européens de défendre leur civilisation comme un levier d’évangélisation, et non comme un motif de condamnation. Et si elle voulait bien cesser d’agrandir le fossé qui la sépare des peuples d’Europe en leur demandant de faire le sacrifice de leur identité sur l’autel d’une idolâtrie de l’accueil.

Laurent Dandrieu

© Presses de la Renaissance

Église et immigration : le grand malaise. Presses de la Renaissance, 2017. 17,90 euros.


Lire les tribunes du père Christian Venard : 
Première partie “Non, le Pape n’est pas responsable de la crise migratoire”
Deuxième partie : “Faut-il vraiment fermer les frontières pour résoudre la crise migratoire ?”


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