Analyse de la situation de ce pays voisin de la Syrie et de l’Irak dont on parle pourtant si peu.
En minorité face aux sunnites, les 3 % de chrétiens bénéficient d’une protection spéciale en Jordanie. Non considérés comme dhimmis [1], au contraire « ils sont bien intégrés et en aucun cas discriminés par le régime », selon Hana Jaber, chercheuse associée au Collège de France. L’alliance entre les chrétiens et la monarchie se concrétise par une implication dans la vie politique et économique : ils représentent 9% du Parlement, 6% du Sénat, et contrôleraient 30% de l’économie du pays en 2016. Ceci en fait « une minorité aisée, respectée », d’après le docteur chrétien Kamel Abu Jaber, ancien ministre de l’économie et des affaires étrangères et directeur de l’Institut royal d’études interreligieuses.
Comment expliquer cette bienveillance royale ?
Tout d’abord, les chrétiens revendiquent vivement leur appartenance arabe. Présents depuis des millénaires sur le sol jordanien, ils constituent le socle de la société au même titre que les musulmans, avec qui ils partagent une histoire, un combat commun pour la cause palestinienne, ainsi que la majorité des coutumes culturelles et sociales. Comme l’exprimait le roi Abdallah II, dans un discours au Parlement Européen en mars 2015, « les chrétiens arabes font partie intégrante du passé, du présent et du futur de notre région »[2]. Il a également précisé en novembre dernier, à la chaîne de télévision australienne ABC, que les musulmans, juifs et chrétiens devaient entreprendre ensemble la lutte contre l’EI. Le monarque n’a pas hésité à déclarer : « C’est l’ennemi qui veut créer cette atmosphère qui nous oppose à eux. Et c’est là, je pense, que nous allons tomber dans des problèmes majeurs au cours des prochaines années. Nous sommes tous dans le même bateau contre ce que je continue d’appeler les hors-la-loi de notre religion »[3].
Les points négatifs de la cohabitation
Si la Jordanie éprouve des difficultés face à la montée du fanatisme islamiste, cela n’inquiète pas encore les chrétiens. « Pas grand-chose à ajouter à ce que les évêques et les dirigeants disent toujours à propos de la sagesse de la famille royale, qui se soucie de tous les Jordaniens sans discrimination […]. Peut-être y a-t-il un fondamentalisme croissant à certains endroits, mais le Roi ne les soutient certainement pas et appelle toujours à l’unité et la collaboration de tous les citoyens du pays », explique Abouna Vito Vacca, prêtre italien à Smakieh, au sud de Karak. Razan, l’une de ses jeunes paroissiennes, renchérit : « Notre roi est très bon avec nous. Il dit à propos des chrétiens que nous salons la terre ». Comme l’ensemble de ces communautés chrétiennes, elle est respectueuse et reconnaissante.
Toutefois Razan ne cache pas que la cohabitation est parfois difficile avec les musulmans, d’autant plus pour les femmes. Leur condition sous l’Islam impose aux chrétiennes les mêmes précautions qu’aux touristes occidentales : pas de provocation, des vêtements amples et étoffés, une grande discrétion dans les lieux publics… De plus, l’infériorité numérique, ainsi que les différences religieuses et morales, impliquent « une psychologie fragile qui se traduit par la recherche d’une protection étrangère, le repli identitaire, l’exagération de faits anodins, la peur de descendre sur la place publique… », comme l’exprime l’archevêque jordanien, Monseigneur Maroun Latham [4]. Ainsi les chrétiens vivent en toute sécurité, malgré leur faible nombre. Cependant leurs différences avec les musulmans se concrétisent par un fort communautarisme.
[1] Dhimma, en arabe, signifie protection. Si les « gens du livre » sont protégés, ils sont aussi soumis à un impôt achetant leur droit de culte. Cela implique une infériorité et donc une forme d’humiliation (cf. Sourate 9, 29).
[2] Discours du roi Abdallah II au Parlement Européen, en mars 2015.
[3] Interview du roi Abdallah II, pour l’Australian Broadcasting Network, en novembre 2016.
[4] Conférence de Monseigneur Maroun Lahham le 3 février 2016 aux Bernardins, avec l’Œuvre d’Orient.