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Identitaires catholiques : la menace fantôme

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Arnaud Bouthéon - publié le 14/01/17
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Pris en étau entre les provocations laïcistes et la menace islamiste, le bon et pieux catholique connaît une épiphanie : il se révèle.

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Lire aussi : Les catholiques ont-ils un problème d’identité ? Deux approches en débat


De quel bois je me chauffe !

Cette expression française, préalable à l’engagement belliqueux, trouve une certaine pertinence pour aborder le sujet de l’identité. De quel carburant je me chauffe, m’échauffe et me réchauffe ? Quelles sont mes ressources énergétiques ? Le sujet est explosif : l’émergence d’une menace identitaire catholique. Un sociologue parle même de national-catholicisme. Aussi, si le débat est intéressant et gourmand, peut-être ne faut-il pas consommer trop de temps dans nos luttes picrocholines qui créeront de la rancœur ou de la division, profondément anachroniques à la lumière d’une autre urgence. Peut-être davantage missionnaire.

Contre la pleurnicherie

Pris en étau entre les provocations laïcistes et la menace islamiste, le bon et pieux catholique se cabre. À dessein, parfois et souvent, il panique. À la lecture des indicateurs ecclésiaux et des projections démographiques, il comprend qu’un monde ancien s’éteint. À la hauteur de cette déréliction, la colère monte. Alors, il pétitionne, il dénonce, il manifeste, il menace, il se rétracte… C’est ici que prospère une tentation identitaire. Celle-ci repose surtout sur une forme d’instrumentalisation marketing de la peur à des fins politiques et religieuses. L’exploitation de la souffrance est un vieux levier de la levée de fond, dont prospèrent toutes les officines humanitaires, à bâbord comme à tribord.

La question est cependant plus dangereuse. Comme une sortie de route. Des catholiques s’égarent ou plutôt, ils se révèlent. Ils seraient démunis et aujourd’hui perdus d’adorer leur patrie idéalisée, divinité aujourd’hui menacée. Alors, ils gémissent. Cette attitude est celle induite par un processus orchestré de victimisation, qui ne semble ni vertueux ni chrétien. Déjà, Charles Péguy, dans son Dialogue de l’âme charnelle, évoque la figure du Christ et la confrontation avec le monde moderne : « Le monde moderne venait, était prêt. Il y coupa court. Oh, d’une manière très simple. En faisant le christianisme. En intercalant le monde chrétien. Il n’incrimina pas, il n’accusa personne. Il sauva. Il n’incrimina pas le monde, il sauva le monde. Eux, ils vitupèrent, ils ratiocinent, ils incriminent. Injurieux médecins qui s’en prennent au malade ». Péguy n’est pas moderne, il est atemporel.

L’autonomie du temporel 

Il est parfaitement cohérent que le discours multiséculaire de l’Église sur l’accueil des migrants interpelle, particulièrement en ces temps tragiques. Pourtant, dans un climat abrasif, l’Église catholique peut-elle seulement dire autre chose, au risque d’embraser un bûcher déjà bien enflammé ? Quand le Pape accueille des familles musulmanes, comment ce geste est-il accueilli dans le tréfonds des cœurs des musulmans ? Nous sommes dans une autre économie, autrement plus subversive, celle du symbole et du geste, de la grâce et du pardon, sur le temps long.


Lire aussi : Bande de pharisiens !


Pour autant, le responsable politique catholique, rongé par les scrupules, doit-il docilement obtempérer aux orientations des conférences épiscopales et aux exhortations papales, au risque de déstabiliser son corps social ? Acteur catholique citoyen engagé, je crois en la puissance lumineuse de l’enseignement de l’Église, en son enracinement doctrinal et anthropologique mais je n’attends pas son imprimatur pour agir et décider dans le quotidien de ma vie.

Il existe une autonomie du temporel, rappelée lors du Concile Vatican II, au sein de laquelle se posent les choix des laïcs. L’Église nous offre des orientations magistérielles mais je suis libre de poser mes actes, éclairés à la lumière de la foi où coopèrent mon intelligence et ma volonté, avec l’aide de la grâce.

En outre, lorsque certains s’étouffent de telle ou telle position du Pape, il me semble qu’il faut dédramatiser, et se méfier d’une tentation “un peu adolescente” qui attendrait tout d’une juridiction cléricale qui viendrait dicter nos actes, en pensant que tel tweet du pontife vaudrait dogme canonique. Sur le pré des affrontements rugbystiques, on m’a enseigné que les joueurs argentins sont toujours ingérables, rugueux et souvent inspirés. De grâce, voyons large et profond.

L’adversité révèlera les chrétiens

Dans un monde ouaté, l’adversité est une réalité opportune qui me fait grandir. Au risque de m’exposer, de me fragiliser, l’adversité permet de montrer de quel bois je me chauffe. Pour progresser, ne faut-il pas concourir contre de meilleurs adversaires, pour élever mon niveau de jeu ?

Sans le recours à la paix du cœur, l’angoisse naturelle nous envahit. Il nous faut aussi comprendre cette angoisse populaire qui repose sur un constat politique. Notre pays est aujourd’hui trop faible sur ses bases, trop flageolant sur ses principes civilisationnels pour pouvoir absorber ou amortir certains chocs démographiques. Comme l’a évoqué, avec beaucoup de malice et de subtilité, le cardinal Vingt-Trois, il est, en outre, parfois vain d’en appeler au mantra des valeurs républicaines, baudruches déjà dégonflées. Reste, pour des pouvoirs publiques déboussolés, la puissance du christianisme et sa subversive vérité puisée au fond de notre intériorité.

Parce que trop peu catéchisés, les identitaires s’égarent en voulant faire de l’Église une citadelle, une institution temporelle assiégée, et rendre nerveusement coup pour coup, sans bien comprendre qu’en cela, ils font le jeu espéré des adversaires et anticipent l’explosion. Nous y retrouvons la même logique brutale et désespérée des hooligans, pour qui la tunique d’un christ guerrier et che gevarisé, remplacerait celle du PSG.

Mais demain, pour parodier un cantique de nos contrées, laisserons-nous à notre table un peu de place à l’indigné ? Ce petit français qui vacille sur ses bases, exprime sa vulnérabilité par la violence et désire même, parfois, faire baptiser ses enfants pour de pauvres et trop méprisables questions d’identité.

Aussi, passée la situation de gestion de rente monopolistique, le catholicisme français et ses fidèles sont désormais interpellés. Ils sont convoqués à un défi. Non pas celui de la rétractation sociale, de l’enclos confessionnel mais celui de l’évangélisation. Un boulevard nous attend. Et, paradoxalement, notre richesse pourrait aussi être notre pauvreté. Une sorte de frugalité spirituelle pour mieux apprécier et goûter à notre vie de baptisés.

Nous apprendrons à nous décentrer, à mieux appréhender la chance – quand nous l’avons –  de disposer de prêtres, d’admirer la beauté de nos églises, d’actualiser la richesse de notre histoire, la vigueur encore présente de la catholicité, le rôle éminent de la France, qui à sa manière, continue à cuire, encore, « le pain intellectuel de la chrétienté ». Les laïcs, consommateurs routiniers de sacrements, sauront peut-être davantage s’engager, faire équipe, pour vivifier leurs paroisses et soutenir leurs prêtres épuisés.

Être configuré au Christ

Cette période post-moderne et pré-électorale, nerveuse et agitée, représente donc aussi le moment opportun d’ajuster la focale sur notre identité de catholique. Au-delà des marqueurs et des réductions sociologiques. Auscultons de façon ontologique et mystique, notre identité personnelle de catholique. La question est brûlante, dérangeante et exige la force du silence.

Quelle est mon intimité avec le Christ ? La place de la prière. Où en suis-je dans ma vie sacramentelle, dans ma fréquentation des écritures, dans mon compagnonnage avec les saints de France qui ont contribué à façonner l’histoire de notre pays ? Quelle est ma contribution à l’évangélisation de mon pays ? Bref, de quel bois je me chauffe, moi qui suis libre, nu et souverain ?

Nous cheminons tous, pas à pas, au gré des gamelles et des rebonds, sur notre pèlerinage terrestre, avec nos angoisses et nos émotions, au gré de notre humanité fracassée, de nos alarmes, de nos sentences malhabiles. Mais quand nous serons entre quatre planches que lèguerons-nous ? Des idoles et des bricoles ? Au-delà de nos organes, que restera-t-il de notre patrimoine ? Nous nous chauffons au bois de la croix, bois de la foi, de l’espérance et de la charité. Solide trépied, inestimable trésor que le monde attend. Entretenons la flamme légère et diffusons ce précieux carburant.


Pour aller plus loin : 

La tribune de l’abbé Fabrice Loiseau : « Le christianisme ne sera jamais culturellement ou politiquement neutre »

La tribune de Falk van Gaver sur Charles Péguy : « Toute détestation du temporel est une abomination »

Entretien avec Laurent Dandrieu : « C’est l’engagement des catholiques au service de l’idée patriotique qui est visé »


 

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