Foi, espérance et charité.
Comme chaque année, les trois Mages, Gaspard, Balthazar et Melchior, guidés par l’étoile d’Orient qui flambait, plus que jamais, dans la nuit de nos temps, se dirigeaient avec la même ferveur vers la crèche de l’Enfant Roi pour lui offrir leurs traditionnels présents – de l’or, de l’encens et de la myrrhe – lorsque, contre toute habitude, un ange leur apparut en chemin pour leur annoncer que cette fois-ci l’Enfant désirait d’autres cadeaux qui ne lui soient pas destinés à lui, mais aux visiteurs de sa crèche.
Les mages furent aussi surpris que troublés et interrogèrent l’Envoyé :
– Gaspard : Comment ? D’autres cadeaux ? Et pas à LUI ? Pourquoi ? Il n’apprécie plus nos cadeaux ? Il s’est lassé de nous ?
– L’ange : Non, non, pas du tout, au contraire, mais il s’est peut-être lassé des mêmes cadeaux. De plus, il n’en veut pas pour Lui. Il est venu pour donner et se donner, pas pour recevoir.
– Balthazar : Mais quels autres cadeaux offrir ? Et à des visiteurs ? Nous sommes déjà en route et nous allons presque arriver à Bethléem ! Nous ne pouvons pas rebrousser chemin, retourner en ville pour en chercher d’autres !
– L’ange : Je sais, mais vous pourriez penser à des cadeaux immatériels, que vous portez déjà en vous. C’est à vous de vous concerter et de les trouver. Je n’en dirai pas plus.
Et l’ange disparut. Les Rois mages, encore sous le choc, échangèrent leurs émotions avant de se calmer pour échanger des idées :
– Gaspard : Melchior, tu as une idée ? Tu viens d’Europe, tu dois avoir plein d’idées !
– Melchior : Malheureusement, ma région est cette année à court d’idées et aux prises avec des idéologies. Mais nous gardons espoir…
– Balthazar : Moi, je viens d’une région pauvre d’Afrique où nous avons plus besoin de ressources que d’idées. La charité manque.
– Gaspard : Moi, mon Asie natale est devenue une pépinière de croyances où chacun a son idée de Dieu. On ne s’en sort plus. Il faut s’armer de la vraie foi… Mais nous n’en sommes pas plus avancés, dans cet échange, pour trouver l’idée…
– Melchior : Tiens, tiens…Tu viens de sortir une idée !
– Gaspard : Laquelle ?
– Melchior : Tu as mentionné la foi… la vraie.
– Gaspard : C’est vrai, et Balthazar a mentionné la charité !
– Balthazar : Et toi, Melchior, tu as mentionné l’espoir ! Ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
Et les trois s’exclamèrent en chœur:
– Les trois vertus théologales !
Foi, Espérance, Charité !
– Balthazar : Très bien ! Nous irons offrir ces présents aux visiteurs de la crèche, cette fois-ci, comme le veut l’Enfant. Moi je prends la Charité, et toi Gaspard…
– Melchior : Non, moi je veux la Charité ! Toi, prends l’Espérance…
– Gaspard : Toutes les trois sont aussi précieuses aux yeux du Seigneur, et puis nous n’allons pas faire comme certains visiteurs de crèche et nous chamailler ! Nous sommes des mages et de bons chrétiens, nous devons donner le bon exemple !
– Melchior : C’est vrai, je crois avoir péché. Choisissez, vous, les vertus que vous voulez et je prendrai celle qui reste.
– Balthazar : En fait, chacun a déjà fait son choix en mentionnant sa vertu durant notre remue-méninges. Melchior offrira l’Espérance, Gaspard la Foi et moi la Charité. Mais nous devrons les offrir toutes les trois à chacun des visiteurs, comme nous avons l’habitude d’offrir l’or, la myrrhe et l’encens à l’Enfant !
Et les trois Mages poursuivirent leur route sous le scintillement favorable de l’étoile qui les guida vers toutes les crèches du monde où ils offrirent à chaque visiteur, curieux, passant, fidèle, pèlerin… les trois présents réunis : les trois vertus théologales, avec la recommandation de les partager avec leur entourage.
Les jours qui suivirent l’Épiphanie marquèrent un tournant dans la marche précipitée, désordonnée et boiteuse du monde : une amélioration notable était observée. Les Églises d’Orient étaient plus remplies que d’ordinaire, et celles, désertes ou désertées, des pays d’Occident, reprenaient vie. Les célébrants voyaient des fidèles se présenter à la messe escortés de leurs trois vertus. Des mariages mystiques étaient contractés, partout. Les trois vertus étaient devenues les épouses d’un grand nombre de chrétiens. Ceux-là paraissaient tellement heureux, tellement épanouis, qu’ils firent des convertis. Beaucoup d’athées furent séduits à l’idée de contracter ce genre d’alliance, de connaître un tel bonheur et succombèrent à la force de la foi, à la chaleur de l’espérance et au charme de la charité. Le monde était devenu moins désespérant et plus charitable. Les œuvres caritatives se multiplièrent. La haine et la violence accusèrent un net recul et l’amour gagna plus de cœurs, jusqu’aux plus hauts échelons, où il manque le plus.
En cette année-là, l’Enfant de la crèche était plus rayonnant que jamais. Et les Rois mages enchantés de leur propre magie.