L’Église a proclamé le père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus bienheureux.
Le père René-Luc, cofondateur avec Mgr Carré de l’école de mission CapMissio, a étudié pendant deux ans à Venasque dans l’Institut Notre-Dame de vie fondé par le père Marie-Eugène. Il a fait son mémoire de spiritualité sur « l’Action du Saint-Esprit au début de la vie mystique selon la pensée du père Marie-Eugène ».
Déjà unis par le décès d’un parent
Vous savez sans doute que le père Marie-Eugène, né Henri Grialou, n’a écrit qu’un seul livre : Je veux voir Dieu ! Ce livre est une admirable synthèse de la vie spirituelle à l’école des trois grands saints du Carmel que sont sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la croix et sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. L’enfance même de Henri a un point commun avec ces trois grands saints. En effet, il avait 10 ans lorsque son père est mort d’une pneumonie (en 1904). Sainte Thérèse d’Avila avait 12 ans lorsque sa mère est décédée (en 1527). Saint Jean de la croix avait 3 ans lorsque son père est décédé (en 1545) et sainte Thérèse de Lisieux avait 4 ans et demi lorsque sa mère Zélie Martin est morte d’un cancer du sein (en 1877). On pourrait penser qu’ils se sont tous tournés vers Dieu pour combler un vide, je ne pense pas. Je crois plutôt que, vu qu’ils avaient tous des parents très croyants, ils ont établi avec leurs parents au ciel une relation de prière qui les a sans doute ouverts un peu plus au surnaturel. Quelque chose d’eux était déjà connecté au ciel !
La découverte de la petite Thérèse
Un an après la mort de son père, en 1905, Henri fait sa première communion et il ressent de plus en plus l’appel à devenir prêtre. À 11 ans, il a déjà prit sa décision et il fait le choix d’entrer dans un collège tenu par la congrégation du Saint-Esprit. Il y restera de la 6e à la 4e. En 1908, Henri a 14 ans et il entre en 3e au petit séminaire diocésain de Graves à côté de Villefranche de Rouergue dans l’Aveyron. C’est à cette période qu’il découvre la petite Thérèse.
Thérèse de Lisieux à cette époque n’est ni béatifiée (29 avril 1923), ni canonisée (17 mai 1925). Mais son histoire se répand de plus en plus en France. Tout le monde parle de cette petite religieuse entrée au carmel à l’âge de 14 ans et décédée d’une tuberculose lorsqu’elle avait 24 ans. Par obéissance, la petite Thérèse a tenu un journal spirituel dans lequel elle parle de sa vie et de sa relation à Jésus. Elle y expose sa « petite voie » : bien incapable d’atteindre les sommets de la sainteté par ses propres forces, elle comprendqu’en se faisant toute petite, en vivant la confiance et l’abandon, elle pourra être élevée par l’ascenseur du bon Dieu ! Lorsqu’elle « entre dans le ciel » le 3 septembre 1897, Henri avait seulement 3 ans. Juste après la mort de Thérèse, les carmélites de Lisieux publient son journal spirituel, histoire d’une âme.
Lorsque le jeune adolescent Henri lit ce petit livre en 1908, il est complétement bouleversé. Quatre ans plus tard, il est au grand séminaire de Rodez, il a 18 ans et vient d’avoir son bac. Il écrit à un ami séminariste :
« Il fait si bon en effet travailler seul devant le crucifix et l’image de sœur Thérèse de l’Enfant Jésus. À ce propos, laisse-moi te demander si tu connais sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, la petite carmélite de Lisieux. Je trouve sa vie écrite par elle-même admirable : aucun livre ne m’a jamais fait autant d’impression sur moi que celui-là. Je l’ai lu plusieurs fois et j’en ai acheté un exemplaire pour pouvoir le relire souvent. Je ne trouve pas de mots pour exprimer les impressions qu’il fait sur moi, c’est admirable ! »
Au front
En 1913, Henri part au service militaire et en 1914, lorsque la guerre éclate, il est envoyé au front et se trouve tout de suite plongé dans cette horrible guerre des tranchées. Il a même été à Verdun. Et là encore, il fait l’expérience du soutien de la petite Thérèse :
« On marchait toujours sous les balles. Elles sifflaient rudement bien mais à ce moment là, on ne sait pas trembler. Sœur Thérèse les écarte, les arrête… deux obus éclatent, le premier me surprend, le second m’envoie une balle qui traverse la joue gauche à hauteur de la pommette, sort et pénètre à la base inférieure de mon nez pour ressortir par la narine droite. Ce n’est pas grave et je ne suis pas défiguré ! ».
Henri a fait preuve d’un courage étonnant pendant toute la guerre et finira avec le grade de lieutenant. À la fin de la guerre en 1918, il a 23 ans et passe un an de démobilisation où il est reçu dans un famille lyonnaise où il y avait deux jeunes filles. Il n’a pas eu de tentations mais comme il le dira lui-même plus tard, « un projet était possible ».
Beaucoup de séminaristes ont en effet renoncé après la guerre. Ce n’était pas facile pour ces jeunes de revenir dans la vie tranquille et monotone d’un séminaire après ces 5 années d’aventure ! Henri s’est posé la question, car toutes les situations les plus brillantes lui étaient possible… Finalement, il a « opté pour le prêtre, à fond sans regarder ».
L’appel du Carmel
Il revient donc au grand séminaire de Rodez. Pendant cette période, il visite de temps en temps le carmel de Rodez et se lie d’amitié avec la Mère supérieure, mère Marie Eugène du Sacré Cœur. Un jour, elle lui a offre livre de la monté du carmel de Saint Jean de la Croix. Voilà ce qu’il dit à ce propos :
« Je pris le livre, je commençais à le lire, mais sans l’avoir lu jusqu’au bout et après l’avoir gardé quelques jours par politesse, je lui renvoyai en la remerciant, alors je pensais en moi-même : « mon garçon, ce n’est pas pour toi, rechercher toujours le plus dur, c’est une ascèse de géant »
En 1920, il a 25 ans et il est prêt à recevoir le sous diaconat. Il va faire une retraite. Il emmène un livre abrégé de la vie de saint jean de la croix et la nuit du 13 au 14décembre (le 14 décembre est la fête liturgique de St jean de la croix), il reçoit en un éclair l’appel du carmel et se dit : « c’est exactement ça » !
Cette décision va rencontrer bien des obstacles, sa mère qui rêvait de se retirer avec lui dans un presbytère n’accepte pas son appel, même son évêque est réticent au début. Mais finalement, les portes s’ouvrent et juste après son ordination sacerdotale il part pour le carmel de fontainebleau Avon (le 4 fev 1922). Il a 27 ans.
Carme
Un mois à peine après son arrivée, il revêt l’habit de carme (le 10 mars 1922). Il choisit comme nom de religion « Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus » pour se rappeler ses trois « mamans » : Marie sa mère, Mère Marie-Eugène qui lui a fait connaître le carmel, et la petite Thérèse « puisque nous serons tous deux de l’Enfant-Jésus, frères désormais complètement ».
À peine arrivé au noviciat d’Avon, il se donne à fond dans cette vie souvent marquée par l’ascèse et la mortification. Il y rentre de manière déraisonné, mais c’est la petite Thérèse qui va lui permettre de retrouver l’équilibre. Ecoutons-le :
Pendant la première année de mon noviciat, je me suis livré à une mortification extraordinaire : je me couchais par terre, je ne mangeais pas le matin et le soir, je ne prenais qu’un repas à midi… je n’ai jamais rien fait sans demander la permission et cependant le père à qui je racontais tout m’a dit : « Je savais bien que vous manquiez de bon sens ». La lumière m’a été donnée, cette vie était celle d’un géant et je n’en étais pas un. Je sentais ma faiblesse et j’ai compris avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus que ce n’était pas une voie à suivre, voire très dangereuse où se poste le démon qui vous suggère des pénitences terrifiantes…
Le bon Dieu me fit découvrir la Petite voie d’enfance spirituelle, vous savez en image. On voit sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui monte une montagne avec tout son attirail de mortification et elle dit « mon Dieu j’y renonce ».
La béatification de la petite Thérèse
Un an à peine après son arrivée au carmel a lieu un événement majeur : la béatification de la petite Thérèse le 29 avril 1923. Voilà ce que le jeune carme écrit à son ami l’abbé Joseph Gayraud :
« Je puis bien t’avouer que la petite sœur Thérèse est pour moi presque tout après notre Seigneur et la Sainte-Vierge. Aussi dimanche prochain, je serai sans doute parmi les plus heureux … La mission de la petite bienheureuse est une effusion de l’amour divin dans les âmes sous la forme que le bon Dieu désire pour notre époque, me semble-t-il. Cette béatification est la marque de l’authenticité de cette mission ».
Dès le 30 septembre 1923, alors que le père Marie-Eugène n’est au Carmel que depuis un an et demi, il est envoyé prêcher des triduums un peu partout sur la spiritualité de la petite Thérèse, enseignement qu’il continuera à donner toute sa vie et qu’il nous a légué dans son livre admirable Je veux voir Dieu.
Aujourd’hui, Le père Marie-Eugène vient d’être béatifié et on pourrait reprendre ses propres paroles à son sujet :
« Nous sommes sans doute parmi les plus heureux : La mission du père Marie Eugène est une effusion du Saint-Esprit dans les âmes sous la forme que le bon Dieu désire pour notre époque, nous semble-t-il. Cette béatification est la marque de l’authenticité de cette mission ».
Demandons au père Marie-Eugène la grâce d’approfondir la petite voie de l’enfance spirituelle par le moyen de l’oraison afin d’être toujours plus livrés au souffle du Saint-Esprit !