Presque autant que Louis XIV !En Thaïlande, les rues étaient vides le jeudi 13 octobre : tout le monde avait les yeux rivés sur les petits écrans, attendant un communiqué officiel. Bien qu’il n’ait théoriquement qu’un pouvoir symbolique, le roi Bhumibol Adulyadej est considéré comme le père de la nation. Un prêtre français en Thaïlande confie : “On ne sait plus que faire, comment s’habiller… La télé montre en boucle les images du règne long de ce roi qui ne les a jamais abandonnés, ne s’est jamais reposé. On revoit la figure habilement orchestrée du roi qui photographie son peuple. Aucun reportage, aucune interview. Le pays se tait. Ces images on les a vues 1000 fois mais on les regarde à nouveau avec ce sentiment particulier que celui qu’on célèbre n’est plus.”
Le roi est mortel ?!
Tout le monde savait que le roi était vieux et malade, mais on n’évoquait pas la possibilité de sa mort. Le roi en Thaïlande a un statut très particulier, presque divin : il ne reçoit pas son autorité du peuple, mais c’est l’autorité qui émane de lui vers le peuple. Il y a en Thaï un vocabulaire qui lui est propre, et qu’on emploie que pour parler du roi et du divin. Ce prêtre explique : “Même s’il n’a pas de fonction concrète, il a traversé toutes les tempêtes qui ont secoué la vie politique de son pays. Se tenant en retrait, c’est la figure symbolique de référence pour tous les Thaïs.” Il a été notamment surpris, lors d’une messe qui se déroulait le jour de la fête des pères, qui est aussi la fête du roi, de voir un gigantesque portrait fleuri de Bhumibol Adulyadej porté jusqu’à l’autel. Dans les écoles, il arrive que l’on chante “l’hymne au roi” en plus de l’hymne national, et son effigie trône dans les maisons, souvent au-dessus de l’oratoire. Enfin, la Constitution thaïlandaise définit toute opinion défavorable émise à l’encontre du roi comme un crime de lèse-majesté.
“Au-dessus de la mêlée”
Pour ajouter à la stature du personnage, Bhumibol Adulyadej s’est attiré la sympathie de la majorité des Thaïs grâce à la finesse dont il fit preuve lors des bouleversements politiques du pays. Au début de son règne, il s’opposa au projet de militaires nationalistes et bouddhistes, qui souhaitaient faire de la Thaïlande un pays régi par le triptyque : une nation, un roi, une religion. Il devint “le protecteur de toutes les religions”, manifestant sa sympathie pour les chrétiens et présidant les cérémonies bouddhistes. En mai 1992, il parachevait sa légende, mettant fin aux affrontements sanglants de Bangkok, qui opposaient les manifestants du camp du premier ministre Suchinda Krapayoon et son adversaire Chamlong Srimuang. La télévision thaïe retransmit les images des deux ennemis, agenouillés devant le roi qui les sermonnait. Tout au long de son règne, il influença la politique de son pays sans jamais donner de consigne de vote.
Le roi est mort, vive le roi !
La succession de ce personnage est problématique, il a un successeur légitime, Maha Vajiralongkorn, mais celui-ci est considéré – à juste titre – comme un débauché. Les frasques du personnage, sont connues des Thaïs, qui ont du mal à l’imaginer comme leur nouveau souverain. Bhumibol Adulyadej avait, lors de son règne, montré des signes qui laissaient entendre qu’il aurait préféré que sa fille, et non son fils, lui succède. Mais cela aurait exigé un changement de la Constitution thaïe, qui n’a jamais eu lieu. Or, cette Constitution ne prévoit aucune autorité qui soit au-dessus de celle du roi, et qui permettrait de déposer un monarque indigne ou dangereux. Etant donné l’importance symbolique de la figure du roi en Thaïlande, Maha Vajiralongkorn pourrait causer des dégâts considérables s’il laissait éclater des scandales sur sa vie privée. La seule solution serait “l’accident bête”, murmure-t-on en Thaïlande. Ce ne serait pas une première dans l’histoire de la dynastie, le propre frère de Bhumibol Adulyadej est mort alors que ce dernier était encore enfant. Un tragique accident impliquant une arme à feu dans le palais royal…