“La procédure suit son cours et le Pape souhaite les ouvrir” dans les prochains mois, assure le Saint-Siège. Quarante ans après le coup d’État du général Videla, rétabliront-elles la vérité sur l’attitude du nonce ?
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Il y a une semaine, la nouvelle était encore au conditionnel, aujourd’hui elle est confirmée par le Saint-Siège : le pape François “a annoncé son intention d’ouvrir” prochainement les archives du Vatican sur la période de dictature qui frappa l’Argentine entre 1976 et 1983″, a souligné son porte-parole, le père Federico Lombardi, le 23 mars dernier. Le directeur de la salle de presse du Saint-Siège s’adressait à une poignée de journalistes, à la veille du 40e anniversaire du coup d’État militaire lancé par le général Jorge Rafael Videla, qui instaura la pire dictature qu’ait jamais connu l’Argentine (causant environ 30 000 morts et disparus).
Ouverture mais pas pour tous
La procédure conduisant à leur accès suit son cours, selon Radio Vatican, et pourrait s’achever dans les prochains mois. Il restera ensuite à étudier quand et comment auraient lieu les consultations, par les magistrats seuls ou également les chercheurs. Tout ceci en accord avec la Conférence épiscopale argentine qui possède une partie de ces archives et dont le rôle, au cours de cette période, reste un sujet très sensible. La coïncidence cette année entre cet anniversaire et le Jeudi Saint fut l’occasion pour les évêques argentins d’adresser un message au peuple pour l’aider à “cicatriser” ses blessures “dans la vérité, le repentir, la réparation par la justice et le désir de miséricorde”.
De cette période sombre de l’Histoire argentine, les archives du Vatican conservent les rapports que la nonciature faisait régulièrement au Saint-Siège, la correspondance du nonce à Buenos Aires, et toute une série de documents recueillis ici et là. Parmi toutes les vérités qui pourraient sortir des archives, celles sur le nonce, à l’époque Mgr Pio Laghi (décédé en janvier 2009), “risquent de se révéler particulièrement intéressantes, utiles et nécessaires”, commente Luis Badilla du Sismografo pour Vatican Insider. Le nonce avait pris ses fonctions le 1er juillet 1974, jour de la mort du président Juan Domingo Perón, et achevé son mandat le 21 décembre 1980.
Les accusations
Cette période, ajoute notre confrère, furent pour le futur cardinal “six années de grande douleur et souffrance qui marqueront à jamais sa vie”, mais lui ignorait qu’il serait confronté à une tout autre épreuve : se voir accusé de complicité avec la junte militaire argentine. Il le découvrira le 23 mars 1997 en tombant sur un long reportage du quotidien italien Corriere della Sera intitulé “Cardinal et bourreau” et accompagné du sous-titre “Argentine – Pio Laghi accusé de connivence avec la dictature militaire argentine”. Il est alors cardinal – créé en 1991 par Jean Paul II – et préfet de la Congrégation pour l’éducation catholique.
Les “Mères de la place de Mai”, association des mères argentines dont les enfants ont “disparu”, assassinés, accusent le cardinal Laghi d’avoir “participé à l’enlèvement, à la torture et à l’homicide de milliers de personnes” pendant la dictature. Pour le cardinal Laghi, c’est le début d’un véritable lynchage médiatique. Tout le monde s’y met – hommes politiques, organes de presse, indépendants, en Argentine et en Europe – jusqu’à le faire passer pour “un vrai monstre”. Et les critiques de “passivité” faites à l’Église en Argentine depuis des années ne favorisent pas sa situation. En 2000, celle-ci fera son mea culpa, reconnaissant “ne pas s’être suffisamment opposée”.
Contre-enquêtes
Le haut prélat s’est toujours défendu “avec fermeté et dignité” contre de telles accusations, poursuit Luis Badilla, et il lui arrivait de regretter ouvertement cette “impossibilité à avoir accès aux archives”, à Rome et à Buenos Aires où, affirme-t-il, sont conservées à la nonciature environ 5000 fiches sur les victimes de la terrible répression, toutes gérées par lui.
Depuis, plusieurs enquêtes ont été menées par divers médias. Les deux journalistes argentins Bruno Passarelli et Fernando Elenberg, dans leur livre Il cardinale e i desaparecidos, écrivent : “Pio Laghi contribua à sauver de nombreuses vies humaines ; il a aidé sur le plan humain et matériel tant de personnes poursuivies par le régime ; il est intervenu en faveur de détenus qui risquaient de disparaître à tout moment. (…) Il a critiqué publiquement le régime militaire, en dépit de menaces de mort et d’affrontements avec les évêques et aumôniers militaires qui appuyaient le régime et avec lesquels, en tant que représentant pontifical, il était appelé à cohabiter et non à se fâcher”.
L’ouverture des archives du Vatican rétablira la vérité sur le nonce, victime lui aussi de la “guerre sale”, en particulier de la presse sous contrôle du régime qui attribuait souvent des phrases, des pensées ou des déclarations jamais faites ou déformées pour le faire passer, en tant que représentant du Pape, comme un soutien du Vatican aux nombreuses actes criminels des dictateurs. Une presse qui “ne publiait pas toujours ses démentis ou précisions”, ajoute le journaliste. Pour les victimes et leurs familles, mais aussi pour Pio Laghi, beaucoup attendent avec confiance cette accès qui aidera à rétablir la vérité. Particulièrement significatives, une lettre de Pio Laghi au cardinal secrétaire d’État Jean-Marie Villot, datant de juillet 1976.
Hommage aux victimes
Au parc de la Mémoire de Buenos Aires, qui marque l’endroit où des opposants ont été jetés, parfois vivants, depuis des avions militaires, ce sont près de 9 000 noms qui, comme une profonde cicatrice, sont gravés sur les murs. “La décision d’ouvrir les archives a une importance historique pour toute la région latino-américaine” où nombreux sont les pays à avoir traversé des années de dictature militaire, explique Luis Badilla.
Le 23 mars dernier, à l’issue de l’audience générale place Saint-Pierre, le pape François a rencontré les proches de Marie-Anne Erize Tisseau, franco-argentine, disparue à l’âge de 24 ans. “Ce baiser est pour toutes les mères qui ont tant souffert à cause de la disparition de leurs enfants”, a déclaré le Pape en serrant dans ses bras Françoise Tisseau, sa mère.
François lui aussi sur la sellette
À peine élu, en mars 2013, le Pape avait lui-même été la cible de polémiques sur son attitude et sa position durant la dictature, dans son pays natal. À l’époque, Jorge Maria Bergoglio avait une quarantaine d’années et travaillait dans son quartier natal et pauvre de Bajo Flores où, deux jésuites, Orlando Yorio et Francisco Jalics, qui travaillaient sous son autorité, avaient été enlevés par des agents de la marine argentine. Ils seront torturés durant cinq mois avant d’être relâchés et de s’exiler. À ceux qui l’accusaient de “complicité” avec les autorités, plusieurs témoins, eux-mêmes victimes de la dictature, se sont empressés de répondre en révélant toute l’aide que le futur Pape leur avait apportée ainsi qu’à d’autres (Aleteia).
Pour aller plus loin : “Le pape François m’a sauvé pendant la dictature argentine”