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Cardinal Bechara Boutros Rai : “Les chrétiens traversent une tempête, ils en sortiront”

Patriarch Bechara Boutros al-Rahi – al Raii

© Antoine Mekary / ALETEIA

Vatican Insider - publié le 29/02/16

Le patriarche des maronites du Liban et de tout l'Orient juge "providentielle" la rencontre entre François et Cyrille et commente l’intervention russe dans le conflit syrien.

Le Moyen Orient est pris dans une tempête de guerres, terrorisme et nettoyages ethnico-religieux. Mais la tempête passera et les chrétiens ne disparaitront pas des terres où Jésus est né et la première annonce chrétienne s’est répandue. Le cardinal Boutros Bechara Rai, patriarche d’Antioche des maronites, au Liban, refuse de se laisser contaminer par les prévisions catastrophistes qui pèsent sur le sort des chrétiens dans la région. Une lueur d’espérance brille encore au fond de son cœur : quoi qu’en disent certains, l’évangile a encore un avenir dans cette partie du monde. 

Patriarches, évêques, et chefs d’autres Églises catholiques d’Orient ont eu des réactions mitigées après l’étreinte historique entre le pape François et le patriarche Cyrille de Moscou et la diffusion de leur déclaration commune. Comment les chrétiens du Moyen Orient ont-ils vécu l’événement ?  

«  Chez nous, l’œcuménisme n’est pas une question académique. C’est la vie de tous les jours. Entre chrétiens de différentes traditions, nous avons souvent des rencontres et prenons nos décisions ensemble. Nous avons accueilli la rencontre entre le pape et le patriarche comme un événement providentiel, et je l’ai d’ailleurs écrit au pape. Je lis d’ailleurs un petit morceau de la déclaration commune à chaque séance du programme de formation que je tiens une fois par semaine à la  télévision. J’ai commencé par les paragraphes qui parlent des chrétiens au Moyen Orient. La semaine prochaine, je m’occuperai du passage sur la famille. J’entretiens aussi des liens fraternels avec le patriarche Cyrille. On s’écrit souvent, et il m’arrive aussi de lui demander des conseils à propos de questions politiques ».

Que pensent les chrétiens d’Orient de l’intervention russe en Syrie, qui a changé le cours de la guerre mais reste très critiquée en occident ?  

«  La Russie s’occupe depuis toujours des chrétiens du Moyen Orient, surtout les orthodoxes. Rien qu’au Liban, les russes ont contribué à la création d’au moins 80 écoles orthodoxes, qui représentent un grand soutien pour la vie de L’Église. Pour ce qui est de la guerre, à nos yeux, l’intervention de la coalition conduite par les américains n’a fait que conforter les djihadistes de Daesh dans leurs actions. On n’arrêtait pas de se poser des questions.

Patriarch Bechara Boutros al-Rahi - al Raii
© Antoine Mekary / ALETEIA

Puis les russes sont arrivés et ont commencé à frapper contre l’État islamique, et voilà qu’on les accuse de ne vouloir qu’une chose : soutenir le régime syrien… On n’y comprend plus rien. Ce que nous savons c’est qu’on ne peut plus être à la merci de ces organisations terroristes : Daesh, al Qaida, al Nusra, et des mercenaires que vous nous envoyez de l’occident … Pour nous, cette intervention russe est donc positive, il y a vraiment lutte contre Daesh. Il est clair que tous les États suivent leurs propres intérêts politiques, mais il y a au moins une nation, la Russie, qui parle aussi des chrétiens du Moyen Orient ».

Mais ne faut-il pas toujours quelqu’un qui défende de l’extérieur les chrétiens du Moyen Orient? Ne craigniez-vous pas pour eux une théorisation de nouveaux protectorats, comme ceux  qu’exerçaient jadis les puissances occidentales?  

«  Il n’y a plus de protectorat, et il n’y en a peut-être jamais eu. Les États suivaient leurs intérêts, sous couvert de protectorat. Nous n’avons pas besoin de protecteurs. Nous avons seulement besoin que « l’extérieur » nous laisse en paix.  Avant ces interventions étrangères, il y avait beaucoup de problèmes, mais nous vivions en paix. Nous trouvions toujours le moyen de regarder devant nous et d’avancer ».

Tant de forces et organisations, mêmes politiques, affirment pourtant vouloir aider les chrétiens  de la région.  

«  Oui, c’est bien, mais il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas des individus isolés, ou de pauvres petites minorités. Nous sommes l’Eglise du Christ, qui se trouve au Moyen Orient. Il y a ceux qui traitent les chrétiens de la région comme des pauvrets, ceux qui disent : venez chez nous, nous vous accueillerons, 50 ici, 100 là, 500 dans cet autre pays … A ceux-là je dis que les choses ne marchent pas comme ça. Nous voulons rester sur nos terres, avec les musulmans, là où nous avons vécu ensemble pendant 1400 ans, et nous voulons y rester au nom de l’Evangile. Nous avons créé une culture ensemble, une civilisation ensemble. Or, tous ceux qui combattent au Moyen Orient aujourd’hui, ne sont pas de la région ».

Les régimes autoritaires ou le fanatisme djihadiste sont donc la  seule alternative pour le Moyen Orient ?  

« Les peuples des différentes nations ont commencé à souffrir quand ils se sont mis à exprimer leur désir légitime de réformes politiques. Demander des changements est un droit. Mais ces requêtes ont vite disparu et on a vu apparaitre les organisations terroristes, soutenues de l’extérieur par l’argent, les armes et le soutien logistique. Ça parle beaucoup de démocratie et de liberté mais ça ne les intéresse pas vraiment. Ils ont d’autres intérêts ».

A votre avis, peut-on parler de persécutions, voire de génocide, contre les chrétiens au Moyen Orient ?  

«  Au Moyen Orient, le problème n’est pas un problème de persécution des musulmans contre les chrétiens. Ce sont d’autres problèmes: entre chiites et sunnites, entre régimes et groupes terroristes, et entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui se font la guerre sur le sol de la Syrie, de l’Irak et du Yémen. Et se traduit en guerre politique au Liban. Les chrétiens sont pris au milieu.  Il y a eu des attaques ciblées, mais c’est toujours comme ça quand il y a le chaos. Non, nous ne pouvons pas parler de persécution systématique proprement dite et encore moins de génocide. On compte beaucoup plus de persécutions contre les musulmans que contre les chrétiens. Les chrétiens sont des victimes comme toutes les autres, mais les 12 millions de syriens qui ont du  fuir leurs maisons ne sont pas des chrétiens. Même les atrocités de Daesh sont davantage dirigées contre les musulmans que contre les chrétiens ».

Mais en dehors des scénarios de guerre, les chrétiens de la région vivent souvent des situations objectives de discrimination …  

« Il y a des difficultés, de la maltraitance, de la part de régimes qui ne respectent pas la liberté religieuse, c’est autre chose. Nous avons une certaine familiarité historique avec ces situations. Si on nous laisse tranquilles, on trouvera nous des solutions pour les résoudre à chaque fois qu’elles se présentent. Les protectorats dont je parlais tout à l’heure, ont fait plus de mal que de bien aux chrétiens. Les Etats ne défendent que leurs intérêts, et les chrétiens étaient traités comme un corps étranger qu’il fallait expulser. Mais nous sommes nés sur ces terres, et nous avons su vivre aussi sous les régimes les plus dictatoriaux.

Patriarch Bechara Boutros al-Rahi - al Raii
© Antoine Mekary / ALETEIA
© Antoine Mekary / ALETEIA

C’est pourquoi, même s’il ne devait rester plus qu’un seul chrétien dans tout le Moyen Orient, nous ne serons jamais des «  minorités ». Les chrétiens  reconnaissent les limites, respectent les lois et les autorités. Ils savent bien vivre dans les pays où l’islam est religion d’Etat, la Sharia source principale des lois. Bien sûr, nous voulons des réformes. Mais on ne peut faire confiance à ceux qui viennent avec des bombes, font la guerre sous prétexte de démocratie et de réformes, ou même de vouloir aider les chrétiens, alors qu’ils se fichent des réformes et recherchent bien autre chose ».

Alors comment aider les chrétiens qui souffrent ?  

«  Nous devons toujours nous mettre à la place de ceux qui sont en difficulté parce que nous sommes l’Eglise du Christ. Mais être proche des chrétiens qui souffrent ne veut pas dire les inviter à fuir leurs terres. Il faut les aider là où ils se trouvent, sur place. Je dis toujours aux hommes politiques que je rencontre: mettez un terme à la guerre, trouvez des solutions politiques aux conflits, puis laissez-nous tranquilles. Nous ne demandons rien d’autre ».

Pensez-vous que la Syrie peut sortir de cette situation de guerre ?  

«  Tant que la Turquie garde ses frontières ouvertes à toutes les organisations terroristes, la paix reste un rêve. On dirait que la communauté internationale n’a plus de conscience.

Patriarch Bechara Boutros al-Rahi - al Raii
© Antoine Mekary / ALETEIA
Antoine Mekary pour Aleteia

On voit bien que pour les personnes qui ont pourtant le pouvoir du monde entre les mains, tous ces êtres humains sur les routes, ne signifient rien.

Contrairement à tant de responsables chrétiens qui ont une vision catastrophique de l’avenir, vous pensez que le Moyen Orient est pris dans une tempête et qu’elle passera… 

« Les chrétiens ne sont pas un groupe ethnico-religieux, ni un parti politique, mais les enfants de l’Eglise du Christ. Au Moyen Orient aussi, leur présence ne dépend pas des seuls équilibres politiques et des vicissitudes de l’Histoire. Il y a une tempête, et nous on fait le jeu du roseau qui plie mais ne casse pas, la tempête passe et il se redresse. Nous avons vécu des difficultés bien pires aux temps des Mamelouks et des Abbassides. Les patriarches maronites ont vécu eux aussi pendant 400 ans dans des lieux inaccessibles, dans de petites cellules en haute montagne, d’autres fois dans de profondes vallées isolées, pour protéger leur foi. Aucune souffrance n’arrivera jamais à éteindre notre foi. Je sens que le Moyen Orient a plus que jamais besoin de nous, a besoin d’entendre une autre voix que celle de la guerre, de la haine, du sang innocent sacrifié. Notre région a besoin de la voix de l’Évangile. Aujourd’hui plus que jamais ».

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Chrétiens en SyrieCurie romaineLiban
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