Hubert et François-Xavier sont chrétiens. Abdelhafid est musulman. Ensemble, ils ont organisé un récital des poésies d’Antoine de Saint-Exupéry, devenu le trait d’union entre leurs deux religions. “Nous, musulmans et chrétiens, nous sommes dépositaires d’inestimables trésors spirituels, parmi lesquels nous reconnaissons des éléments qui nous sont communs, même vécus selon nos propres traditions : l’adoration du Dieu miséricordieux, la référence au patriarche, Abraham, la prière, l’aumône, le jeûne…”
Ainsi s’exprimait le pape François en novembre dernier, à Ankara, abordant la nécessité d’établir un dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans. Le 7 septembre dernier, Monseigneur Rey, dans une tribune publiée par Le Figaro, appelait les catholiques français à “déployer une démarche pastorale, qui conjugue accueil et annonce. Pour sortir ou de la confrontation belliqueuse, ou au contraire, de l’indifférence, les chrétiens doivent construire des liens humains de proximité et de solidarité pour que notre société ne devienne pas une nouvelle tour de Babel individualiste, fracturée entre communautés qui ne communiquent plus entre elles”.
Se rapprocher, se connaître et s’aimer. Mais comment, et par quel biais ? Pour Abdelhafid, Hubert et François-Xavier, c’est par la culture que tout s’est joué.
La rencontre entre un mouvement de réflexion musulman et un cercle de poésie chrétien
C’était un soir de mai, en 2010. Hubert et François-Xavier avaient décidé d’apprendre par cœur des extraits de Citadelle de Saint-Exupéry, un livre fondateur pour eux, et de réciter ces textes en public aux Bernardins. Alors, pour annoncer leur projet et avoir du monde à leur récital, ils avaient créé une page web sur l’auteur. Cela faisait plusieurs années qu’ils organisaient des récitals de poésie ayant créé une petite association dédiée, “Le collège de Tess”.
Abdelhafid a découvert Citadelle avec des amis musulmans alors qu’il était en plein questionnement sur les valeurs de la France : “J’observais, avec mes proches, ce qui arrivait au monde et plus particulièrement à la France : des repères qui se perdent, une éducation qui s’amollit, un conformisme révoltant et un endormissement des élites. On s’est demandé : comment contribuer à changer les choses autour de nous ?”.
Alors, pour répondre à cette interrogation, Abdelhafid décide de rejoindre Caravane en 2007, un mouvement qui rassemble actuellement 1 500 personnes sur Facebook. Caravane, ce nom pour signifier le désert que vit la France et les traversées que l’on peut y faire d’une oasis spirituelle à une autre : “Avec Caravane, on a voulu d’abord apprendre à construire un monde meilleur autour de nous, par des lectures, des évènements publics ou par des petites actions quotidiennes: rendre le sourire à un enfant qui pleure ou visiter une personne âgée. Pour nos réflexions, nous avions mis en place des ateliers de lectures et c’est là qu’on a découvert la profondeur et la pertinence de Saint-Exupéry”.
À cette lecture, Abedlhafid est profondément touché : “Saint-Exupéry m’a fait connaître un versant de la France et du Maghreb que j’ignorais, je peux dire qu’il m’a fait aimer la France. La plupart de ses livres évoquent son héritage français, la profondeur du désert maghrébin et l’image d’un Dieu qui nous est commune”. Sur Internet, il découvre la page Facebook alors dédiée à Saint-Exupéry d’Hubert et François-Xavier ainsi que leur projet de récital aux Bernardins.
“Le premier à avoir initié un dialogue interreligieux entre nous, c’est Saint-Exupéry”
C’est alors qu’Abdelhafid, Hubert, François-Xavier décident de déjeuner ensemble puis de rencontrer le noyau dur de leurs associations respectives. L’organisation d’un événement commun est une première pour eux : “On a réfléchi ensemble sur les textes de Citadelle et on a déclamé Saint-Exupéry comme on avait l’habitude de le faire. On s’est rendu compte qu’on était touchés par le même message, celui de l’amitié, du sens de l’effort et de la marche”, raconte Hubert.
De par leurs religions musulmanes et chrétiennes, Abdelhafid, Hubert, François-Xavier et les autres ont trouvé dans Saint-Exupéry un “sens de la transcendance, d’un Dieu qui est nommé mais qui n’est pas situé dans une religion. En réalité, on cherche une nourriture commune, un enseignement sur la sagesse et on veut aller saisir ce qui constitue l’essentiel de l’homme”, explique Hubert.
“On a jamais donné le titre de dialogue interreligieux à nos rencontres, précise Abedelhafid. Cela s’est fait naturellement. Celui qui a initié ce dialogue interreligieux entre nous, c’est Saint Exupéry. Dans nos réflexions à la Caravane, depuis le début, nous souhaitions rassembler des musulmans, des chrétiens et des non-croyants vers un but commun : représenter une dynamique à l’image de la France autour du Bien, du Beau et du Vrai. Nous méditions sur Saint-Exupéry, mais aussi sur beaucoup d’auteurs chrétiens qui faisaient écho à nos valeurs musulmanes comme Charles Péguy, André Charlier ou Jean Guitton. Aujourd’hui, nous voulons sortir du clivage né de l’actualité tragique d’aujourd’hui et établir une véritable solidarité entre les personnes qui nous entourent, tout en prenant en compte leur dimension religieuse.”
Faire connaître et aimer l’islam à la France et… faire connaître et aimer la France aux musulmans
Pour Abdelhafid, il faut continuer à “faire dialoguer les religions entre elles” pour construire l’avenir en France car “la France est de tradition chrétienne et le christianisme a un rôle à y jouer. Les musulmans sont là pour défendre avec les chrétiens des valeurs communes telles que la défense de la famille, du bien commun et des personnes les plus vulnérables en ces temps de crises”.
C’est également un “moyen de lutter contre notre propre raidissement, de nous accueillir comme des personnes, au-delà de ce qui peut nous séparer dans nos traditions religieuses. Car nous sommes avant tout des personnes, nous partageons une commune humanité. Nous nous émerveillons de la même beauté, de la même sagesse, de la même vérité”, ajoute Hubert.
Pour les années à venir, un récital pourrait être organisé chaque année afin de faire découvrir Saint-Exupéry et échanger entre chrétiens et musulmans. De plus, Abdelhafid envisage d’instaurer un groupe de réflexion croisé entre musulmans et chrétiens afin de “faire connaître et aimer les musulmans à la France, et faire connaître et aimer la France aux musulmans”. Chrétiens et musulmans méditeraient sur des textes musulmans de référence et des textes chrétiens pour découvrir et faire dialoguer leurs religions autour de thèmes choisi. Une façon de grandir ensemble.