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Comprendre la stratégie russe en Syrie

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© VANO SHLAMOV - AFP

Thomas Flichy de la Neuville - Jean-Baptiste Flichy de la Neuville - publié le 02/10/15

Quelle est la stratégie de Vladimir Poutine en Syrie ? Défendre un réduit alaouite afin de sécuriser l’accès de la Russie aux mers chaudes ou renverser l’Etat islamique afin de contrôler l’ensemble du Moyen-Orient ?

Défendre son allié Bachar el-Assad ou étendre son hégémonie sur le Moyen-Orient ? Pour comprendre la stratégie de la Russie, il convient de replacer son intervention militaire en perspective historique et géopolitique.

La Russie a commencé sa campagne de bombardement en Syrie. Officiellement à compter d’hier. Son ministère de la défense affirme avoir atteint sa cible : l’État islamique. Contrairement aux frappes de la coalition occidentale, les russes se gardent d’annoncer le lieu de leur frappe mais affirment bien frapper l’État islamique.

Les informations objectives qui remontent de Syrie situent ces frappes dans les régions de Homs, Hama, Lattaquié et Idlib. Des zones contrôlées par l’opposition rebelle ou éventuellement Jabhat al-Nostra (au nord de Hama). Ces frappes semblent avoir lieu aux frontières du territoire tenu par le gouvernement tout autour de la base aérienne de Lattaquié. Il y a donc une volonté de frapper au plus près des lignes de front afin, sans doute, de favoriser de futures offensives terrestres.
Deux bâtiments de débarquement amphibies russe de classe Ropucha ont été aperçus aujourd’hui franchissant le Bosphore vers le sud chargés de matériel russe. il est possible que l’armée russe temporise son action au sol par des frappes préliminaires en attendant d’avoir le potentiel matériel et humain suffisant pour passer à l’offensive.On peut donc subodorer plusieurs facettes de leur intervention :
1. Ils légitiment leurs frappes sur la scène internationale en affirmant frapper l’état islamique
2. Ils frappent des groupes rebelles indépendants de l’État islamique dont certains sont soupçonnés d’être soutenus par les américains.
3. Ils ne communiquent pas sur le lieu de leurs frappes afin de ne pas être accusés de causer des pertes parmi la population.

L’intervention Russe, une revanche sur la guerre de Crimée

Depuis plusieurs siècles, la Russie affirme son droit à la protection des minorités orthodoxe du Levant. Sous ce rapport, la France – qui a protégé traditionnellement les chrétiens d’Orient – et la Russie, se trouvent en positions quasi concurrentes. Cette rivalité s’est d’ailleurs cristallisée dans la guerre de Crimée (1853-1856) pendant laquelle l’Empire Ottoman, allié à la France et l’Angleterre, s’est opposé à la Russie. A la suite du traité de Paris (1856), la Russie doit abandonner son droit à la protection des chrétiens orthodoxes du Levant.

Une fois la Russie évincée du Levant, la France se trouve dans l’obligation d’assurer la protection de la Syrie. Lorsque 6000 chrétiens sont massacrés à Damas du 9 au 18 juillet 1860, la France réagit avec fermeté en faisant adopter un protocole international le 3 août 1860 : un corps de troupes européennes de 6 000 hommes est dirigé vers la Syrie afin de contribuer au rétablissement de la tranquillité. Il s’agit de la première expédition à but humanitaire de l’histoire.

Aujourd’hui, les acteurs géopolitiques n’ont pas fondamentalement changé au Levant, à la différence près que les Etats-Unis se sont substitués à la Grande-Bretagne. En revanche, les rôles sont inversés: la Russie a pris la place abandonnée par la France.

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AP Photo/Evgeniy Maloetka

La Syrie, nouvelle Ukraine

La Syrie se présente en quelque sorte comme l’Ukraine de l’Iran. L’Empire Sassanide s’appuyait en effet jadis sur trois espaces stratégiques : la plaine irakienne, la façade maritime syrienne et les hauts plateaux yéménites.

À la différence des déserts qui les entourent, ces régions sont en premier lieu des espaces agricoles à hauts rendements. Leur agriculture intensive permet d’ailleurs de nourrir une population nombreuse. Ces riches foyers d’agriculture et de population sont donc interconnectés depuis l’antiquité.

En second lieu, ces espaces constituent des entrepôts commerciaux connectés à la mer. Ils relient la Perse, recluse dans ses montagnes, à l’économie-monde. Sans cette connexion maritime, seul levier de puissance, l’Iran reste un empire confiné.

En troisième lieu ces espaces partagent des traits religieux communs depuis le XVIe siècle, période pendant laquelle le chiisme devient religion d’Etat en Perse. Ces espaces sont fédérés par un clergé et des lieux de pèlerinage partagés.

Bref, l’Irak, la Syrie et le Yémen constituent les anciennes fenêtres d’un l’Empire effondré. La Syrie, espace agricole peuplé, connecté au commerce maritime, et cousine religieusement de l’Iran, se présente donc comme l’Ukraine de la Russie.

La Syrie utile, une bande littorale soumise aux invasions de la vallée de l’Euphrate

Le véritable poumon économique de la Syrie se situe sur la bande littorale. Le climat doux  y permet la culture de céréales et l’implantation de vergers. C’est ici que se situe le véritable cœur économique de la Syrie. La population de cette Syrie « utile » est essentiellement alaouite. L’axe principal relie les villes majeures du pays : Damas, Homs et Alep.

A l’Est, l’Euphrate traverse le pays du Nord-Ouest vers le Sud-Est, et laisse une « cicatrice verte » dans le paysage. Afin de conquérir la colonne vertébrale économique du pays, qui relie Damas, Homs, Hama et Alep, l’axe historique de pénétration a consisté précisément à suivre la vallée de l’Euphrate d’Est en Ouest depuis l’Iraq, puis à repiquer vers  Alep. C’est la stratégie que poursuit l’Etat islamique.

Le déploiement russe en Syrie

La Russie apporte une aide militaire sur le terrain en Syrie depuis janvier 2012. En effet, des équipes de Spetznatz y forment l’armée syrienne et y mènent des actions commandos. Ce dispositif n’étant pas suffisamment efficace pour ralentir l’avancée des opposants au régime syrien, la Russie renforce fortement son dispositif militaire sur place depuis le mois d’août.

Ses points d’entrée sont doubles. D’une part le port militaire de Tartous desservi via le Bosphore et d’autre part l’aéroport Bassel el-Assad de Lattaquié. Ces deux points ont l’avantage d’être proches (60km) et l’aéroport de Lattaquié est le deuxième plus grand aéroport contrôlé par le régime syrien.

Le matériel terrestre mis en place est lourd et récent : véhicules de combat d’infanterie BTR-82A adaptés au combat urbain, artillerie anti-aérienne SA-22 PANTSIR mais aussi au moins neuf T-90. Des lance-roquettes multiples seraient aussi en cours d’acheminement. Les forces aériennes russes sur place sont équipées de matériel tout aussi récent et puissant : SU-25 potentiellement modernisés pour l’appui rapproché, SU-30SM, SU-34, Su-24 pour le bombardement tactique, hélicoptères MI-24PN et Mi-35M ainsi que des Mi-8AMTSh pour l’appui des troupes au sol et le transport de troupes ou de matériel.

Des drones ont également été déployés par la Russie qui s’est engagée à partager le renseignement avec la Syrie et l’Iran. Les soldats syriens ne sont pas formés à l’utilisation de ce matériel, excepté les SU-24, les MI-24. La formation sur ces matériels étant lourde et longue, il est très certainement destiné à être employé par des soldats Russes. Du matériel de plus ancienne génération est peut être livré en parallèle aux forces syriennes. Les soldats russes combattent d’ors et déjà sur le front d’Alep et au nord-est de Lattaquié au sein d’opérations de l’armée syrienne comme en témoignent des vidéos mises en ligne. Ils utilisent ces nouveaux matériels. Ils sont appuyés par l’aviation russe, d’ores et déjà opérationnelle sur place.

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Offensive ou démonstration de force ?

La Russie souhaite peser de tout son poids dans les négociations diplomatiques. Elle semble en effet mettre sa puissance militaire au service de sa diplomatie. Elle recherche cela par-delà des objectifs militaires de conquête et de victoire, comme c’est aussi le cas en Ukraine. Elle désire s’affirmer comme le leader du camp « pro-Assad » et invite les occidentaux à faire de même. Si ces derniers se rangent à ses côtés, elle restera leader du mouvement par sa prise d’initiative et son avance sur le terrain. A long terme, si elle l’emporte, elle pourra éventuellement céder du terrain aux occidentaux et montrer sa « bonne foi » en favorisant un changement de régime, tout en s’assurant que le successeur de Bachar El-Assad lui sera favorable.

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