Chanteur de valeur et de valeurs, il aura été l’un des grands gagnants des Victoires de la musique. Padre Blog lui avait récemment consacré un billet…« Papaoutai » le récent single de ce jeune chanteur belge talentueux est une vraie surprise. Côté musique et côté texte. Mélancolique et entraînant à la fois, Stromae y dénonce avec brio l’absence du père. « Où t’es ? Papaoutai ? (…) Dis-moi où est ton papa ? » : l’appel est lancé de nombreuses fois. Comme une supplication. Lancinante. Presque martelée.
Visionné des millions de fois sur Internet, le clip pourrait sans peine devenir l’hymne de toutes les générations d’enfants qui ont souffert de l’absence d’un père. On pense bien sûr à l’absence physique, lorsque la relation au père a été blessée, marquée par l’abandon ou par l’absence, dans ces drames de la vie que les prêtres – aux carrefours de multiples confidences – ne connaissent hélas que trop bien. C’est le cas de Stromae lui-même dont le père, parti très vite après sa naissance, est mort lors du génocide Rwandais.
Mais l’absence peut aussi être psychologique, lorsque la figure du père est réduite à celle de géniteur ou de simple grand frère. Parfois, des pères eux-mêmes sont dangereusement complices de cette régression. J’ai eu l’envie secrète de féliciter un jour ce papa qui refusait, devant moi, de s’abonner au profil Facebook de sa fille en s’exclamant : « je ne suis pas ton « ami », je suis ton père ! C’est mieux non ? ».
Quoiqu’il en soit, cette absence fabrique des jeunes privés du mode paternel de l’amour. Un mode unique, singulier, qui consiste en l’art (difficile) de faire conjuguer amour et loi, tendresse et interdit. Le Père est en effet celui qui est capable de dire à son enfant : «je te dis non, parce que je t’aime».
Notre Père
On l’oublie trop souvent : en se révélant par son Fils, Dieu s’est immédiatement présenté ni comme un patron, ni comme un despote mais comme un père, «lent à la colère et riche en pardon» (Nombres 14, 18). On s’y habitue … et des assemblées de chrétiens récitent désormais le « notre Père » sans trop y prêter attention !
Quelle belle image pourtant que ce Dieu-Père !
Père comme créateur : il a fait le ciel et la terre et il l’a fait pour l’homme.
Père comme protecteur, plein d’amour pour l’homme qui s’adresse à lui à travers un nom araméen « Abba », « Papa !».
Père riche en miséricorde enfin, si bien décrit dans la parabole de l’enfant prodigue. Cette parabole dont on dit qu’elle faisait s’exclamer Charles Péguy : « à moins d’avoir un cœur de pierre, qui entendrait cette parabole sans pleurer ? Celui qui l’entend pour la centième fois, c’est comme si c’était la première fois ! ».
Le Saint-Père
Il est à Rome un personnage qui exprime très bien ce mode paternel de l’amour : le Pape François ! Les millions de jeunes qui l’ont acclamé cet été aux JMJ de Rio nous l’ont montré. Avant lui, Jean-Paul II et Benoît XVI ont connu le même engouement. Quel paradoxe pourtant que de voir ces hommes (qui auraient l’âge d’être non pas les pères mais les grands-pères de tous ces jeunes !) être écoutés et longuement applaudis pour des discours aux tonalités très exigeantes. Qu’on en juge par ces quelques phrases :
– Jean-Paul II aux jeunes de France, 1er juin 1980 : «la permissivité morale ne rend pas les hommes heureux. La société de consommation ne rend pas les hommes heureux. Elles ne l’ont jamais fait»(source) .
– Benoît XVI aux jeunes du Liban, 15 septembre 2012 : «ne vous réfugiez pas dans des mondes parallèles comme ceux, entre autres, des drogues de toutes sortes, ou celui de la tristesse de la pornographie (…) Recherchez et vivez des relations riches d’amitié vraie et noble (…) luttez contre la superficialité et la consommation facile ! Vous êtes soumis également à une autre tentation, celle de l’argent, cette idole tyrannique qui aveugle au point d’étouffer la personne et son cœur. Les exemples qui vous entourent ne sont pas toujours les meilleurs (…) Recherchez de bons maîtres, des maîtres spirituels, qui sachent vous indiquer le chemin de la maturité en laissant l’illusoire, le clinquant et le mensonge !»
– le Pape François, à Rome le 23 juin 2013 : «à vous les jeunes, je dis : n’ayez pas peur d’aller à contre-courant, quand on veut vous voler l’espérance, quand on vous propose ces valeurs qui sont avariées, des valeurs comme un plat qui n’est plus bon. Quand un plat n’est plus bon, il nous fait mal ; ces valeurs nous font mal. Nous devons aller à contre-courant ! Et vous les jeunes, vous êtes les premiers (…) En avant, soyez courageux et allez à contre-courant ! Et soyez fiers de le faire !»
Le pape François désigne même, et souvent, une catégorie de chrétiens qu’il apprécie peu : les chrétiens à « temps partiel ». « On n’est pas chrétien « par moments », à certains moments, dans certaines circonstances, à l’occasion de certains choix. On ne peut être chrétien comme ça, à temps partiel : on est chrétien à tout instant ! Totalement ! » (Rome, mai 2013 ; expression reprise aux JMJ de Rio).
Le discours est dur ? Oui. Certainement. Mais il sonne vrai. Et les jeunes ne s’y trompent pas : ils viennent en foule écouter et applaudir le successeur de Pierre. Oui, le pape est un père ! Un vrai : aimant et exigeant.
Debout les pères !
Comment ne pas penser à ceux qui liront ces lignes et qui n’ont pas eu de père ? Et à celles qui ont perdu un mari ? Qu’ils sachent ici que notre prière de prêtres, nous qui sommes pères d’une forme particulière de paternité, leur est acquise. D’ailleurs, si la maternité est d’essence charnelle, l’essence de la paternité n’est-elle pas plutôt d’être spirituelle ? De faire exister ? D’accompagner, stimuler l’existence et le déploiement intérieur ? Il faut donc souhaiter à ces coeurs blessés de trouver sur leur route d’hommes et de femmes des figures paternelles. Elles ne viendront pas remplacer un père, c’est impossible, mais elles pourront encourager, guider et faire grandir.
Paul Van Haver, le vrai nom de Stromae, a certainement lu Philippe Oswald … « Debout les Pères » titrait M. Oswald en 1998. Oui, on demande des pères ! Présents, courageux, humbles et patients. Des pères qui soient des hommes. Des pères qui révèlent la beauté de toute paternité. Des pères qui soient des saints ! Il y en a déjà, heureusement et tant mieux, mais il nous en faut encore plus ! La mission est enthousiasmante : Charles Péguy, encore lui, ne disait-il pas que le père de famille est le dernier aventurier des temps modernes ?
« Dites-moi d’où il vient, enfin je saurais où je vais » débute Stromae dans sa chanson. Comme s’il rappelait une évidence : un monde sans père, c’est un monde sans repères !