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Syrie : les minorités dans la tourmente après le massacre de civils

Syrie, Assad, alaouites, chrétiens, guerre

Un combattant syrien faisant le signe de la victoire à la caméra alors que l'armée du nouveau gouvernement syrien combat les éléments restants du régime d'Assad sur la côte syrienne près de Lattaquié, en Syrie, le 7 mars 2025.

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Cécile Séveirac - publié le 10/03/25
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Des affrontements entre les forces de sécurité du nouveau gouvernement syrien et des factions pro-Assad le 6 mars ont embrasé une partie de la Syrie et conduit au massacre de près de 1.000 civils alaouites et chrétiens.

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L'illusion aura été de courte durée pour ceux qui nourrissaient des rêves d'une Syrie en transition démocratique. Un massacre d'une violence inouïe a eu lieu jeudi 6 mars dans l'ouest du pays, tuant près de 1.000 civils. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a recensé 973 victimes, dont des femmes et des enfants, tuées "par les forces de sécurité et des groupes alliés". La majorité d'entre elles sont des Alaouites, branche de l’islam chiite dont est issu le président déchu Bachar Al-Assad, qui avait fui le pays en décembre 2024 après la percée des troupes rebelles de la province d'Idlib. Au moins une dizaine de chrétiens ont été tués lors de cette effusion de sang.

Dès le mardi 4 mars, le gouvernement a lancé une vaste opération de ratissage de la côte où vit une majorité d'Alaouites : pénétrant dans le quartier de Daatour, à Lattaquié (à l'ouest du pays), les forces de sécurité du groupe Hayat Tahir al-Cham (HTS) ont attaqué à l’arme lourde et procédé à des exécutions et arrestations arbitraires. Le lendemain, c'est le village de Dalieh qui a été pris pour cible. En réaction, des miliciens pro-Assad ont tendu une embuscade jeudi 6 mars contre des points de contrôle du gouvernement, dans la région de Jablé (située au sud de Lattaquié). Une centaine d'agents des nouvelles forces de sécurité auraient été tués. Moustapha Kneifati, responsable de la sécurité à Lattaquié, a ainsi accusé "plusieurs groupes de miliciens pro-Assad d’avoir attaqué dans une opération bien planifiée et préméditée nos positions et nos points de contrôle, ciblant un grand nombre de nos patrouilles dans la région de Jablé".

François appelle à la paix en Syrie

Une quinzaine de civils auraient perdu la vie dans ces premiers affrontements, selon le Réseau syrien des droits de l’homme (SNHR), qui affirme que ces factions pro-Assad ont tiré sur des véhicules civils à la périphérie de Jablé. Face à ce soulèvement, les autorités syriennes ont envoyé des renforts pour épauler les opérations des forces de sécurité contre les pro-Assad. C'est dans le cadre de ces opérations destinées à repousser les milices loyales à l’ancien régime qu'ont eu lieu d'innommables tueries : vendredi 8 mars, au moins 125 exécutions sommaires auraient eu lieu, attribuées aux forces gouvernementales, selon le SNHR, et 40 civils auraient été exécutés en masse vendredi dans le village d'al-Moukhtariyya (campagne de Lattaquié), leurs corps abandonnés sur place.

Toujours hospitalisé des suites d'une pneumonie, le pape François a de nouveau appelé à la paix lors de l'Angélus et mentionné spécialement la Syrie, appelant à ce que les violences "cessent définitivement, dans le plein respect de toutes les composantes ethniques et religieuses de la société, spécialement des civils". Les Églises syriennes ont quant à elles condamné samedi les "massacres de civils innocents", appelant "à une fin immédiate de ces actes horribles".

12 chrétiens massacrés en trois jours

Si les massacres ciblent principalement les Alaouites, les chrétiens n'échappent pas à violence. L'archevêque de Homs, Mgr Jacques Mourad, a ainsi affirmé à Aleteia que "12 chrétiens ont été massacrés pendant ces trois derniers jours", ainsi que des Ismaélites. L'Aide à l'Église en détresse mentionne notamment "un père et son fils d’une église évangélique de Lattaquié, qui ont été arrêtés dans leur voiture et tués, ainsi que le père d’un prêtre de Banias". Dans le village chrétien de Belma, "où il n’y a pas d’armes et où la plupart des habitants sont âgés, la population a enduré deux jours de terreur, avec des domiciles profanés et des biens volés ". Si les chrétiens ne sont pour le moment pas visés spécifiquement pour leur religion selon Mgr Mourad, le climat de peur et d'insécurité plane sur eux et ils subissent régulièrement des "actes violents comme des vols et des violences verbales".

L'archevêque, qui espérait il y a quelques semaines encore une Syrie apaisée et unifiée, ne cache pas son inquiétude et tance sévèrement le gouvernement actuel. "Le gouvernement dit que ce n'est pas de sa faute et qu'il s'agit de faits isolés par des éléments incontrôlés. Mais il est forcément responsable de ce qui arrive en ce moment. Il a le devoir de protéger toute la population syrienne, et surtout les minorités", déclare Mgr Mourad, pour qui "seule la présence de l'ONU [Casques Bleus, N.D.L.R] permettra de protéger le peuple syrien". Pour mère Agnès-Myriam de la Croix, supérieure d'un couvent à Qara, la responsabilité du président par intérim Ahmad al-Chareh est indéniable. "Soit il sait ce qu'il s'est passé et il le couvre, soit il ne le sait pas, auquel cas c'est un incompétent", a-t-elle fustigé sur l'antenne de CNEWS. "On vit comme en ghetto, barricadés, personne n'ose sortir, et ce partout en Syrie", a encore affirmé la religieuse. À la peur d'une République islamique autoritaire s'ajoute celle, en filigrane, d'une incursion turque par le biais d'une force d'interposition. "La Turquie peut profiter de la situation pour entrer en Syrie, avertit ainsi Mgr Mourad, et cela nous ne l'accepterons pas, car nous vivrons cela comme une occupation".

Appelant lors d'un discours dans une mosquée de Damas à "préserver l'unité nationale et la paix civile", le dirigeant islamiste Ahmad al-Chareh a annoncé la formation d'une "commission d'enquête indépendante" sur "les exactions contre les civils". "Nous demanderons des comptes (…) sans indulgence, à toute personne impliquée dans l'effusion de sang des civils", a-t-il ensuite assuré, dans une vidéo diffusée par l'agence de presse officielle syrienne Sana. À la tête de la Syrie depuis le renversement du gouvernement Assad, Ahmad al-Chareh était le chef de file du groupe islamiste HTC, faction issue d’Al-Qaïda avec laquelle il a affirmé à plusieurs reprises avoir rompu les liens. Depuis son arrivée au pouvoir, celui qui a été présenté comme un "modéré" n'a eu de cesse de rassurer les minorités aussi bien que la communauté internationale quant à ses intentions politiques, permettant la levée des sanctions contre la Syrie et la normalisation des relations. Mais de nombreux observateurs avaient alerté sur le risque de durcissement du nouveau régime : "On ne connaît encore aucun pays où islamisme et christianisme ont pu cohabiter", prévenait déjà notre chroniqueur Jean-Baptiste Noé en décembre. "Loin d’annoncer une ère de paix, la fin de la dynastie Assad, ouvre une période d’incertitude et, possiblement, de chaos."

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