Les tables installées sur le parvis du Temple, à Jérusalem, ont dû garder longtemps la mémoire de ce jour durant lequel, à l’approche de la Pâque juive, Jésus prit un fouet pour purifier le sanctuaire. Un "signe" dès le début de l’Évangile de saint Jean, qui préfigure la résurrection du Fils de Dieu et l’avènement d’une liturgie nouvelle, d’un culte porté à son accomplissement. "Dans le Temple, écrit le disciple bien-aimé, [Jésus] trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du Temple […]. Il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs." (Jn 2, 13-15)
Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce
L’épisode a de quoi surprendre tant le Christ habitue ses auditeurs à la douceur de la miséricorde. Cette "sainte colère" est donc vraiment l’annonce de la violence de la Passion. Et de sa divinité : "Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce" (v. 16) dit Jésus, et non "maison de Dieu", selon la formule habituelle. Tables et sanctuaires ne s’accordent pas, semble-t-il, pour le Seigneur. Étonnant, alors, de se promener dans le centre de Montpellier et de découvrir l’église Notre-Dame… des Tables ! Celles des changeurs, justement. Dans cette ville épiscopale passe le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Au XIIIe siècle, les comptoirs pour échanger les monnaies donnent ainsi leur surnom à l’église.
Elle n'existe plus aujourd'hui
À vrai dire, cette église n’existe plus. Elle se trouvait à proximité de celle l'actuelle place Jean Jaurès et a finalement été détruite en 1794. Dans cet édifice, Guilhem V de Montpellier consacra la cité à la Vierge Marie avant de partir à la première croisade, en 1096. Il la fait dès lors représenter sur son blason, assise sur un trône et avec l’Enfant-Jésus dans les bras. "Vierge Notre Mère, prie ton fils de nous venir en aide à toute heure" ajoute-t-il en guise de légende et de prière. La dévotion mariale montpelliéraine prendra son essor quand son fils Guilhem VI reviendra de Terre sainte avec une statue de Vierge noire, en 1129, source de miracles et de guérisons. Libertés communales, prestation de serment des consuls, accueil de visiteurs éminents, Notre-Dame-des-Tables est la témoin de toute la vie de la cité.
La patronne de l’église et la prière des fidèles n’empêcheront pourtant pas l’édifice de connaître jusqu’à sa destruction définitive une histoire rocambolesque, victime des guerres de religions qui agitent cette terre. Un temps affectée au culte protestant, reconstruite deux fois en deux siècles, elle ne résista pas à la Révolution. Pourtant, la statue de la Vierge noire, patronne de Montpellier, trouve un autre écrin : l’ancienne chapelle du collège des Jésuites (actuel musée Fabre), qui devient, tout simplement, Notre-Dame-des-Tables. La Mère de Dieu y est accueillie avec solennité et après quelques travaux, et le nouveau sanctuaire marial devient même basilique en 1939. Le bâtiment de style classique du début du XVIIIe siècle possède un orgue remarquable de la même époque et de beaux tableaux. Les tables des changeurs n’entourent plus Notre-Dame, mais le nom demeure. Témoin de l’histoire de la dévotion à Montpellier, rappel que tout sanctuaire, si beau soit-il, n’est que la figure du Christ qui, par l’Esprit saint, habite en chacun de ses disciples.