La manifestation américaine "March for Life" (Marche pour la vie) recouvre quelques singularités intéressantes par rapport à ce que nous pouvons vivre en France. Elles relèvent certes, de la culture américaine, mais aussi d’options stratégiques en termes de mobilisation. La première caractéristique réside dans l'enthousiasme, mot d’ordre général de la mobilisation. Cela se manifeste par la dimension volontairement et systématiquement positive de tous les messages, qu’ils soient énoncés de la tribune ou inscrits sur les milliers de pancartes. Ce combat est résolument celui de l’accueil généreux de la vie, autour de la rédemption ("I regret my abortion") et de la solidarité envers les mères et les familles ("We love you both").
La seconde caractéristique, au-delà de l’enthousiasme exprimé, est la capacité à réunir très largement, avec une forme de magnanimité pragmatique, une immense palette d’acteurs et de mouvements engagés autour de cette cause. La latéralité est secondaire par rapport au but poursuivi. Si le noyau est catholique, d’autres confessions chrétiennes sont présentes et mobilisées, avec l’expression décomplexée de l’identité religieuse ou même politique. La bénédiction est donnée par un évêque orthodoxe, suivie par l’exhortation d’une pasteure de l’église luthérienne et conclue par le témoignage d’une championne de surf évangélique. Dans la foule, au milieu des casquettes Maga et des bannières des saints patrons des universités catholiques, se manifeste un rabbin de l’équipe des Jews for Life, devant la pancarte des Democrats for life ou même des LGBT’s for life.
L'engagement des évêques
Enfin, l’ultime fait marquant est l’engagement résolu de l’USCCB – la conférence des évêques catholiques américains. Cette instance dispose d’un comité et de plusieurs salariés dédiés à la diffusion de la culture de vie dans la société américaine. La veille de la marche, près de 10.000 pèlerins se retrouvent dans l’immense basilique de l’Immaculée Conception de Washington (un peu la cathédrale Notre-Dame des Américains), au cœur de la « petite Rome », quartier occupé par diverses maisons mères de congrégations et par le campus de l’Université Catholique Américaine (CUA). La messe inaugurale de la veillée nocturne de prière pour la vie (Vigil for Life) rassemble près de 50 évêques, quatre cardinaux, et plusieurs centaines de prêtres dans une basilique bondée. De nombreuses communautés religieuses y conduisent des délégations d’étudiants et de lycéens. Nous pouvons remarquer le dynamisme des Sisters of Life et des nombreux franciscains et dominicains, en première ligne sur le front de la mobilisation.
En échangeant avec les dirigeants de la Marche américaine, nous comprenons que l’enjeu n’est pas uniquement politique. Il se situe au-delà des contingences législatives, désormais dévolues aux États. L’enjeu est avant tout culturel, afin de faire de l’avortement un drame impensable dans les esprits. Auprès de la jeunesse américaine, la March for Life, par l’effort qu’elle exige, l’exigence de formation qu’elle convoque et l’enthousiasme qu’elle opère, est un évènement initiatique et mobilisateur qui forge auprès de ses participants une conscience missionnaire de serviteurs et promoteurs de la vie.
Depuis près de 40 ans, au fil des ans, sous un froid glacial, des centaines de milliers de jeunes catholiques ont ainsi convergé vers Washington, capitale fédérale. Au cœur de la société américaine, au gré des gouvernants, ils forment une famille invisible de pèlerins, une génération prolife, toujours active et déterminée à ne pas s’arrêter.