Curieuse histoire que celle de ce couple perse et de leurs deux fils, Abachum et Audifax, suppliciés le 20 janvier 270 à Rome, célébrés le 19 janvier, afin que leur mémoire ne fasse pas ombrage à la double fête du pape martyr Fabien et du très populaire saint Sébastien. Marius se nomme en fait Maris et l’on peut s’étonner de sa présence en Italie alors que sa patrie et l’empire romain sont perpétuellement en guerre depuis des siècles. Il y a une explication à cela : l’homme, de noble naissance, serait un otage accordé par la cour de Séleucie comme gage de trêve lors des tractations entamées avec Rome après la victoire remportée par Sapor sur Valérien en 260 devant Édesse.
Probablement chrétien, car le christianisme s’est répandu dans l’empire perse dès le Ier siècle et y fleurit car nombre de chrétiens des provinces romaines d’Orient, las des persécutions, se sont réfugiés chez un ennemi alors tolérant, -cela ne durera pas - Maris ne s’est pas dérobé à un rôle plus agréable qu’il y paraît, qui lui donne statut officiel, maison, serviteurs, pension payée par l’État ; et la possibilité de se rendre sur les tombes des martyrs et des apôtres, pèlerinage qui serait sans cela interdit à un ressortissant ennemi.
Un Perse à Rome
En 270, cela fait près de dix ans que le Perse, venu avec Marthe, sa femme, et leurs deux fils, maintenant grands adolescents, vit à Rome. L’accession à la pourpre de l’empereur Gallien, fils de Valérien, qui a mis fin aux persécutions contre l’Église déclenchées par son père et qui ne lui ont pas porté chance, a accordé aux catholiques un long répit bienvenu et il s’en est fallu de peu qu’il reconnaisse la nouvelle religion. Son assassinat, en 268, a mis un terme à cette période de bienveillante tolérance et si le nouvel empereur, Claude II, a trop à faire aux frontières pour songer à éradiquer le christianisme, le Sénat, que Gallien a voulu museler et qui cherche à reprendre son rôle politique, croit y parvenir en s’en prenant aux protégés du défunt souverain : les adeptes du Christ.
Très maladroitement d’ailleurs ; faute de temps, de moyens, ou par méconnaissance du christianisme, les sénateurs ne prennent pas de véritables mesures de persécution, n’organisent pas de rafles et se contentent de faire arrêter, presque au hasard, des adeptes ou supposés tels de la foi interdite, victimes de dénonciations ou pris en train de pratiquer leur religion.
Le manège de Marius
Pour mal conduite qu’elle soit, cette brève flambée de violences, qui dure une petite année, fait des victimes, à Rome même et dans toute l’Italie. Le véritable massacre ; le 15 mars 269, de 260 chrétiens, peut-être arrêtés à la sortie d’une messe interdite, trucidés sans jugement, femmes et enfants compris, sans même que l’on ait relevé leurs noms, semble avoir constitué pour Maris un révélateur. Cet homme que son statut diplomatique protège, révolté par cette scène d’horreur, jugeant odieux que les corps des martyrs soient laissés sans sépulture via Salaria, là où ils ont été exécutés, commence, de nuit, avec l’aide de ses fils, Audifax et Abachum, à leur rendre un minimum de devoirs funéraires. Et il continue, chaque fois que l’occasion se présente, dans une impunité apparente qui l’enhardit.
Évidemment, ce manège finit par être repéré, Maris, qui a romanisé son patronyme en Marius, est arrêté début janvier 270, puis sa femme et ses fils. S’en prendre à des otages, en principe protégés par des lois internationales, ne saurait être sans conséquence mais, sottise ou conviction que Sapor, le Shah, se moque éperdument de ces sujets en exil, le Sénat les traite comme le commun des citoyens romains, ce qui signifie que les Perses vont subir tous les supplices prévus pour faire abjurer les chrétiens. Mais ni le fouet aux lanières alourdies de billes de plomb, ni les griffes de fer, ni les lames brûlantes appliquées sur les autres blessures n’ont raison du courage des témoins qui confessent le Christ sans faiblir.
Une sinistre mise à mort
Il faut se résoudre, pour l’exemple, à les faire mettre à mort par décapitation mais, trouvant cette fin trop rapide, le juge décide de faire au préalable trancher les mains des trois hommes et cautériser leurs plaies pour que l’hémorragie ne les tue pas tout de suite. Cela fait, alors que le père et ses fils continuent à chanter les louanges de Dieu, il contraint Marthe, qui a assisté à cette scène atroce, à ramasser les mains tranchées de son époux et ses enfants et lui en fait un sinistre collier qu’elle est obligée de porter. Le lendemain, voyant que cette femme qui a regardé sans faiblir tomber les têtes des siens, ne faiblira pas non plus, le magistrat lui inflige la même amputation avant de la faire décapiter, elle aussi.
Des fidèles courageux récupéreront ce qui reste des dépouilles sur les bûchers où l’on a tenté de les brûler. Marius est devenu un prénom à la mode ; c’est fort bien car il n’y a pas à rougir d’un tel saint patron !