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Saint Jean de la Croix, quand la nuit de l’âme devient jardin

"Nuit obscure", éditions du Carmel

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Philippa Zaleski - publié le 13/12/24
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D’où vient la "nuit obscure" de saint Jean de la Croix ? Ce temps symbolique mystérieux où l’âme souffre de l’absence de Dieu, est comme un traitement pour "recouvrer la santé qui est Dieu lui-même". Religieuse carmélite, sœur Philippa nous emmène à la découverte de ce paysage intérieur décrit par le docteur de l’Église dans son poème "La Nuit obscure".

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L’expression de nuit obscure, forgée par saint Jean de la Croix, est bien connue, mais il n’en va pas de même pour le poème de même nom à l’origine de cette doctrine. Il offre pourtant un précieux condensé de la pensée du docteur mystique. Composé par le frère carme peu après son évasion du cachot de Tolède, le chant La Noche oscura raconte "l’heureuse aventure" de l’âme partie de nuit à la recherche de son Dieu :

"Par une nuit obscure
pleine d’angoisses et enflammée d’amour,
Oh ! l’heureuse aventure !
Je suis sortie sans être vue
Quand ma demeure fut enfin apaisée."
(Nuit Obscure, strophe 1)

Disons-le tout de suite : l’âme, protagoniste du récit, désigne ici la personne entière, qui par ce nom est identifiée à la bien-aimée du Cantique des Cantiques, le Bien-Aimé étant Dieu lui-même. Dans la suite des couplets inspirés de ce livre biblique, Jean de la Croix déploie tout un univers d’images et de symboles d’une grande richesse. À l’aide de l’illustration de l’une des dernières strophes et des explications laissées par frère Jean lui-même, partons à la découverte de ce paysage intérieur.

La nuit qui nous transforme

La nuit est chez Jean de la Croix un symbole très large, qu’il décline en plusieurs nuits de l’âme, de la plus légère nuit de sens à la terrible nuit de la foi, ou nuit obscure de l’esprit. Ainsi chacun peut reconnaître sa propre épreuve intérieure et s’appuyer sur les précieux conseils de ce frère aîné : si vous êtes accablés par la sécheresse et l’obscurité, "ne vous en affligez pas ; au contraire, regardez cet état comme une heureuse fortune : Dieu en effet vous délivre peu à peu de vous-même" (Nuit Obscure II, 16, 7). Il nous révèle que ce passage si pénible est absolument nécessaire, qu’il est une chance dans notre vie spirituelle. 

Car l’enjeu n’est rien moins qu’une profonde restructuration de nos facultés pour les rendre capables de l’union à Dieu. On peut l’imaginer comme une lourde opération ou une cure intensive : "L’âme est pour ainsi dire placée là comme en traitement pour y recouvrer la santé qui est Dieu lui-même" (ibid. n. 10). Si, à travers tout, nous persévérons dans la prière et la fidélité au milieu de ces ténèbres, nous pourrons un jour chanter avec lui :

"Ô nuit qui m’as guidée !
Ô nuit plus aimable que l’aurore !
Ô nuit qui as uni
Le Bien-Aimé avec l’aimée
L’aimée en son Bien-Aimé transformée !"
(Nuit Obscure, strophe 5)

Il nous faudra certainement passer par bien des moments de nuit pour que cette transformation soit complète. Mais, pour nous encourager, le saint nous donne un avant-goût des merveilles qui nous attendent. Nous ne manquerons pas de les découvrir, même si ce n’est pas tout de suite avec la plénitude qu’il décrit ici.

Mon âme est un jardin

C’est dans le silence de la prière contemplative, l’oraison, que se vit cette transformation. L’âme cherchait Dieu dans la nuit, mais au cœur de celle-ci, elle se découvre elle-même la demeure de Celui qu’elle croyait absent. C’est comme un sens nouveau qui s’éveille pour percevoir la présence de Dieu au plus profond de notre âme, d’une manière si nouvelle et inconnue que nos sens d’autrefois sont incapable de la saisir. "C’est là dans le secret que Dieu instruit l’âme et lui apprend la perfection de l’amour, sans qu’elle-même y coopère ou comprenne de quelle sorte est cette contemplation infuse" (Nuit obscure II, 5, 1). Ce qui est certain, c’est que l’âme découvre alors un espace intérieur insoupçonné : "Vous êtes la maison de Dieu" (Ep 2,19). 

Jean de la Croix emprunte à nouveau le langage du Cantique des Cantiques pour décrire l’âme comme un fabuleux jardin dont le Seigneur fait ses délices : "Elle est un jardin clos, ma sœur, ma fiancée ; un jardin bien clos, une source scellée. Tes surgeons font un verger de grenadiers, avec les fruits les plus exquis" (Ct 4,12-13). Les images qu’il emploie : fleurs et cèdres majestueux, évoquent ce sentiment de douceur, de grandeur et de mystère qu’elle ressent alors : 

Sur mon sein fleuri
Qui tout entier pour lui seul se gardait,
Mon Bien-Aimé s'est endormi
Et moi je le rafraîchissais,
Et l’éventail des cèdres l’aérait. 

Je restai là, je m’oubliai
Le visage penché sur l'Aimé.
Cessant tout, je m’abandonnais
Abandonnant tous mes soucis
Et m’oubliant parmi les lis.
(Nuit Obscure, strophes 6 et 8) 

Viens, Esprit Saint ! souffle dans mon jardin

Se sachant l’hôte d’un si grand roi, son souci est alors immédiatement de lui faire un meilleur accueil en embellissant son jardin, ce qu’elle ne peut faire qu’avec le secours de l’Esprit Saint. Chacun en effet a reçu au baptême de nombreuses "pousses" de vertus et de dons spirituels qui sont appelés à grandir. Les principales sont les vertus théologales de foi, d’espérance et de charité qui nous unissent à Dieu, mais il en existe une multitude d’autres, ainsi que les dons du Saint-Esprit. Tout cela compose le verger de notre âme mais il est encore à l’état de germes et de boutons. C’est par la grâce de l’Esprit Saint que toutes ces richesses latentes peuvent se déployer : 

L’Esprit, en soufflant par ce jardin fleuri de l’âme, fait éclore tous les boutons où sont renfermées les vertus ; il épanouit toutes les plantes aromatiques des dons, des perfections et des richesses de l’âme, il en dévoile le trésor et l’abondance et en déploie toute la beauté. Aussi n’y a-t-il rien de plus admirable ni de plus doux pour elle que de contempler toute la richesse des dons qu’elle découvre en elle, et la beauté des fleurs des vertus qui sont enfin dans tout leur éclat et dont chacune exhale un parfum exquis qui lui est particulier
(Cantique Spirituel B, 17, 6). 

Ce n’est pas là de la complaisance en soi-même, car ces beautés spirituelles sont toutes orientées vers le Bien-Aimé et issues de Lui seul : notre charité, notre foi, etc. ne sont plus seulement en bourgeons avec nos pauvres petits efforts d’autrefois mais se déploient pour Dieu dans toute leur majesté : "À cause de cette activité actuelle des vertus, elle gagne que le Bien-Aimé se plaise davantage en elle, et c’est cela qui lui fait le plus plaisir : que son Bien-Aimé soit content." (ibid. n. 8)

Plus précieux que toutes les œuvres réunies

Ainsi Jean de la Croix nous décrit comme réalisé en cette âme, au niveau microscopique si l’on peut dire, le dessein d’amour de Dieu symbolisé par le paradis terrestre, où le Seigneur trouvait sa joie à se promener dans le jardin des hommes. Cette transformation d’une seule âme, de friche obscure qu’elle était en jardin d’Eden, a pour lui un retentissement vertigineux au niveau universel de la mission de l’Église. En une formule que sa fille spirituelle Thérèse de Lisieux rendra célèbre, Jean nous résume le secret de la communion des saints : « La plus petite parcelle de ce pur amour est d’un plus grand prix aux yeux de Dieu et de l’âme, et plus utile à l’Église malgré les apparences, que toutes les autres œuvres réunies » (Cantique Spirituel B, 29, 2). Et voilà la conséquence pratique, toujours bien actuelle pour les agités que nous sommes trop souvent : 

Qu’ils réfléchissent donc, ceux qui se livrent à une activité débordante, qui s’imaginent qu’ils vont englober le monde dans leurs prédications et leurs apostolats. Ils seraient beaucoup plus utiles à l’Église et plairaient bien plus à Dieu — sans parler du bon exemple qu’ils donneraient — s’ils employaient à se tenir devant Dieu en oraison la moitié du temps qu’ils consacrent à l’activité, et cela même s’ils n’ont pas encore atteint le degré élevé dont nous parlons ici. (ibid. 3)

Que frère Jean de la Croix nous accompagne sur ce chemin de transformation, pour voir fleurir notre nuit au souffle de l’Esprit.

Découvrez aussi les conseils de saint Jean de la Croix pour trouver la lumière :

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