Que faut-il retenir des réussites d’Elon Musk ?

Qu’on le veuille ou non, Elon Musk, avec sa démesure et les nombreuses polémiques qui l’accompagnent, est une figure mondiale de l’entrepreneuriat et de la technologie. Sa mise à l’honneur par Donald Trump le met au premier plan des médias. Ses réussites professionnelles sont impressionnantes : elles ont fait de lui l’homme le plus riche du monde, avec une fortune estimée à 210,3 milliards de dollars en juin 2024. Deux exemples : les voitures Tesla sont une référence en matière de véhicules électriques, la société a augmenté son chiffre d’affaires de 8% en un an, pour atteindre 25,18 milliards de dollars au troisième trimestre 2024. En 2025, Tesla devrait encore augmenter ses ventes de plus de 20% grâce à des modèles plus abordables. Avec SpaceX, Elon Musk a révolutionné l’industrie spatiale en construisant des fusées réutilisables et donc bien plus rentables qu’avant, ce qui lui a permis de réaliser 61 missions orbitales en 2023, un record !

Quels sont les facteurs clés de son ascension ? Selon Elon Musk, ses entreprises contribuent à "changer le monde". Il s’agit de poursuivre de grands projets, comme la transition écologique (Tesla) ou la colonisation de Mars (SpaceX). Les employés sont sélectionnés en fonction de leur adhésion active à ces valeurs. On peut à juste titre trouver délirante la colonisation de Mars. Mais en définissant un tel objectif, Elon Musk présente un rêve à ses employés et ses fans, un projet grandiose. Sans consentir à une telle démesure, les entreprises frileuses qui s’en tiennent à des objectifs de pure rentabilité ne manquent-elles pas d’une vision comportant un élément de grandeur ? L’avenir n’appartient-il pas à ceux qui osent servir de grands projets ?

Elon Musk a la réputation de travailler 80 heures par semaine ! Chez Tesla et SpaceX, ses équipes doivent également travailler d’arrache-pied et mettre souvent leurs activités professionnelles devant leur vie personnelle. Un article du journal Forbes titrait : "Survivriez-vous si vous travailliez avec Elon Musk ?" Lui-même se considère comme un leader par l’exemple, en supervisant personnellement les projets techniquement difficiles. 

On discerne ici un volontarisme incontestable, dans lequel le travail vaut tous les sacrifices. Elon Musk est souvent épinglé pour son management impulsif et abrupt : rappelons le licenciement massif opéré chez Twitter/X. On observe également un management excessivement exigeant des équipes, même si l’on peut accepter dans certaines activités professionnelles de véritables sacrifices pour servir le bien commun, comme le militaire qui accepte le principe de donner sa vie pour défendre son pays, le chirurgien qui se rend immédiatement disponible pour une opération urgente, l’entrepreneur qui ne compte ni son temps ni son argent pour créer son entreprise et défendre ses emplois…

Apprendre vite et combiner des savoirs variés est une exigence d’Elon Musk vis-à-vis de ses employés : ils doivent pouvoir sortir de leur spécialité et explorer de nouveaux domaines, rester des "experts généralistes" capables de combiner des sujets techniques différents. Cette clé illustre encore le dynamisme de la "méthode Musk" : la passion d’apprendre et de mêler différentes technologies est effectivement un instrument de progrès. Mais dans quel but et à quel prix ? C’est cette perspective qui donne du sens au progrès, et l’objectif de colonisation de Mars est par exemple fort contestable.

Les réunions trop longues ou fréquentes sont pour Elon Musk un "poison de la productivité" (insane productivity). Un objectif ambitieux ne peut manquer de rencontrer des obstacles. La meilleure façon de les résoudre est d’éviter les tâches inutiles, de faire en sorte que les employés soient incités à travailler directement avec les personnes concernées, sans s’encombrer de hiérarchies ou de protocoles inutiles. Il y a sans doute du vrai dans cette clé. C’est un thème classique dans les entreprises de dénoncer la réunionite et de favoriser les équipes transverses qui servent un projet important avec une structure hiérarchique légère.

Après le troisième échec consécutif, SpaceX était au bord de la faillite. Musk a investi ses fonds personnels pour soutenir l’entreprise et financer un quatrième lancement en 2008 qui fut un succès grâce à un gros contrat avec la NASA. Accepter l’échec, même publiquement, l’analyser et y répondre rapidement, tels sont certainement des comportements vertueux conduisant à une résilience. Ce qui suppose du courage, de l’intelligence, de la réactivité, bref des vertus dont il est difficile de nier la valeur. Est-ce suffisant pour tempérer la démesure du fondateur de Tesla ? Probablement pas…