Dans l’ancien Israël, l’idée d’une rémission des dettes, d’une remise en liberté pour ceux qui avaient contracté un servage conséquent à celles-ci quand elles s’accumulaient, remonte presqu’à la nuit des temps. Le livre du Lévitique, partie pratique de la Torah — l’enseignement de Dieu pour atteindre le bien et la vie, pour être heureux — explicite cette loi de liberté : "Et vous sanctifierez la cinquantième année, vous publierez la liberté dans le pays pour tous ses habitants : ce sera pour vous le Jubilé…" (Lv 25, 10). Il s’agissait à l’époque de la cinquantième année et non de la vingt-cinquième. Comment en est-on venu dans l’Église à décréter un Jubilé tous les quarts de siècle ?
La renaissance du Jubilé
Au XIVe siècle, vu les circonstances alarmantes du moment — pestes, renforcement de l’islam avec la chute de Saint-Jean d’Acre en 1291, guerres intestines en Europe, menace des hordes mongoles —, il est apparu urgent sous le pape Boniface VIII de remettre à l’honneur cette tradition du Jubilé mais seulement chaque cent ans, donc à partir de l’an de grâce 1300. Dès le pape Clément VI (1342), il a semblé interminable d’attendre l’an 1400, et le délai est tombé à cinquante ans comme dans le Lévitique. Cinquante ans, c’est encore bien long ! Et, en commémoration du nombre des années de la vie du Christ, Urbain VI voulut fixer en 1389 le cycle jubilaire tous les 33 ans, et annonça un Jubilé pour 1390. Il fut célébré sans éclat, après la mort d’Urbain VI, par son successeur Boniface IX. Pour l’an 1400, on vit monter quand même à Rome une grande foule qui reçut l’indulgence, "interchangeable avec le terme" miséricorde (selon le pape François), promise aux conditions requises.
La grâce de l’indulgence
Il faut bien comprendre. "Le péché a une double conséquence, explique le catéchisme. Le péché grave nous prive de la communion avec Dieu, et par là il nous rend incapables de la vie éternelle, dont la privation s’appelle la "peine éternelle" du péché. D’autre part, tout péché, même véniel [c’est-à-dire léger], entraîne un attachement malsain aux créatures, qui a besoin de purification, soit ici-bas, soit après la mort, dans l’état qu’on appelle Purgatoire. Cette purification libère de ce qu’on appelle la “peine temporelle” du péché" (CEC, 1472). L’indulgence pallie cette purification nécessaire, comme si on guérissait plus vite à la suite d’une blessure qu’il a fallu de toutes façons panser.
En action de grâce pour la fin du grand schisme, Martin V, le pape du Concile de Florence, célébra un nouveau Jubilé en 1425. Paul II fixa ensuite l’échéance des jubilés à 25 ans avec la bulle Ineffabilis Providentia (19 avril 1470). Le rythme des 25 ans à partir de 1475 devint alors un acquis de la chrétienté. Il fut maintenu sauf lors des guerres de Napoléon en 1800, et sous Napoléon III en 1850 où aucun des deux jubilés ne put avoir lieu. Des Jubilés extraordinaires, en revanche, furent promulgués (1933, 1983, 2015) lors de circonstances graves, urgentes pour l’Église.
La joie d’être sauvé
Selon ce rythme de tous les vingt-cinq ans, 2025 redevient donc une année ordinaire de Jubilé (pape François, bulle Spes non confundit, 9 mai 2024). La joie d’être sauvé doit l’emporter chez les fidèles sur toutes les tristesses du temps, fussent-elles celles des guerres, des épidémies, des gouvernements incohérents vis-à-vis du bien commun, de prélats pas à la hauteur de leur charge pastorale, de la croissance des structures de péché. À la suite des recommandations du Christ (cf. Jn 16, 22-24 ; 17, 13) saint Paul ne cesse d’y exhorter (cf. Ph 4, 4). Saint Augustin écrira sur le bienfait de jubiler (Enarratio in Psalmos, 99/100, 4) :
Jubiler, ce n’est point parler, c’est exhaler sans paroles un cri de joie : c’est la voix d’une âme dont la joie est au comble, qui exhale autant que possible ce qu’elle ressent, mais ne comprenant point ce qu’elle dit dans les transports de son allégresse, l’homme après des paroles indicibles et inintelligibles exhale sa joie en cris inarticulés : en sorte que l’on comprend à la vérité sa joie dans ses cris, mais qu’il ne saurait exprimer en paroles cette joie excessive.
Le pouvoir de remettre les peines
Au soir de sa Résurrection Jésus a soufflé sur les Apôtres l’Esprit saint et leur a demandé d’exercer avec discernement la miséricorde, c’est le pouvoir des clés : "Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus" (Jn 20, 23). Décréter un Jubilé avec la possible rémission des peines conséquentes du péché contribue à l’exécution de cet impératif divin prononcé pour notre bonheur ici-bas, notre béatitude dans l’au-delà. Par sa Passion, Jésus a voulu décisivement affronter le mal moral de l’humanité pécheresse et souffrir le mal physique comme un mal de peine, c’est-à-dire la conséquence réparatrice de nos péchés, le mal moral complet de l’histoire des hommes. Ces peines qu’il a voulu prendre sur lui manifestent son amour (Is 53, 4-5) :
Or ce sont nos souffrances qu’il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison.
Pour soi ou pour un défunt
Tous les apôtres et disciples de Jésus crucifié l’ont reconnu comme accomplissant ces paroles du prophète Isaïe. Désormais le mal physique n’est pas abrogé, ni même expliqué, il a été vécu par amour par Jésus comme route, voie de sanctification, de purification des péchés, ouverte à tous. Par le pouvoir des clés le pape peut remettre une partie de ces peines aux conditions habituelles de l’Église : "Tout fidèle peut gagner des indulgences partielles ou plénières pour lui-même, ou les appliquer aux défunts par mode de suffrage" (Normes générales, n. 3, Enchiridium, 1999). Le suffrage signifie une simple intercession, toujours hypothétique selon la volonté de Dieu. Cette remise de la peine temporelle ne concerne que les péchés qui ont été remis par la contrition et absous par l’absolution sacramentelle du prêtre.
Pour gagner, ou mieux recevoir, l’indulgence plénière, en plus d’exclure toute affection au péché, même véniel, il est requis premièrement d’accomplir l’œuvre indulgenciée (visiter une basilique ou église indiquées pour y prier), et de remplir les trois autres conditions : la confession sacramentelle, la communion eucharistique et la prière aux intentions du Souverain Pontife (au moins un Pater noster et un Ave Maria). Bon et fructueux Jubilé 2025 à tous et à toutes !
Pratique :
Un petit livre qui répond sous forme de réponses simples et vraies aux questions des chercheurs de Dieu : que faut-il croire (credo) ? Si Jésus est le Sauveur, que convient-il de recevoir pour être sauvés (sept sacrements) ? Que faut-il faire pour ne pas perdre ce trésor (dix commandements) ? Que faut-il espérer (prière du Notre Père) ?