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Guerre au Proche-Orient : la question de la proportionnalité

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Jean-Baptiste Noé - publié le 24/10/24
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La proportionnalité est l’un des critères essentiels de la guerre juste, ce qui suppose une modération dans la conduite de l’action militaire. Mais cette notion, reprise sans discontinuer par le pape François, est difficilement compréhensible dans des mondes culturels non chrétiens, observe le géopoliticien Jean-Baptiste Noé.

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Parmi les critères servant à définir une guerre juste, la proportionnalité est l’un des piliers essentiels. La réflexion des théologiens et la doctrine de l’Église sont résumées dans le point 2309 du catéchisme : 

« Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois : Que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain. Que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces. Que soient réunies les conditions sérieuses de succès. Que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition.

Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la “guerre juste”. L’appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun. »

Le quatrième point évoqué ici par le catéchisme fait référence à la question de la proportionnalité. Une intervention militaire doit avoir des chances d’aboutir et ne doit pas conduire à des destructions plus graves encore. La proportionnalité est déjà évoquée dans la loi du talion, connue pour sa célèbre formule : « Œil pour œil, dent pour dent ». Mais la réflexion chrétienne de la guerre juste a cherché à aller plus loin en introduisant la notion clef de pardon, ce qui est exprimé dans la formule du Christ : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre » (Mt, 5, 32). L’idée essentielle exprimée ici est de briser le cycle de la guerre, d’abord en évitant les victimes collatérales innocentes ensuite en assurant les conditions d’une paix juste ; paix qui sera difficilement atteignable si l’on cherche à humilier l’adversaire ou si on lui inflige des dégâts tels qu’il n’aura aucune envie de la paix.

Le Proche-Orient face à la guerre juste

Ce bref cadre posé, la notion de guerre juste est ébranlée par la guerre sans fin qui se déroule au Proche-Orient. Qu’Israël attaqué le 7 octobre 2023, subissant un traumatisme existentiel que l’on a du mal à percevoir en Europe, réponde à l’attaque dans le but d’éviter que celle-ci puisse se répéter, cela se conçoit. C’est le principe même de la légitime défense et tout État a le devoir de protéger la sécurité et la vie de ses habitants. Quand le Hezbollah bombarde, près d’un an durant, le nord d’Israël, depuis ses positions libanaises, on se doute bien que l’armée israélienne finira par intervenir pour sécuriser les villes bombardées et permettre à ses populations qui fuient les bombardements de revenir dans leurs maisons.

Mais la notion de proportionnalité est bien évidemment interrogée. Pour aussi horribles que soient les 1.500 morts du pogrom du 7 octobre 2023, y a-t-il proportionnalité dans la réponse faite à Gaza et dans les bombardements déclenchés au Liban ? Le pape n’a cessé à la fois de montrer sa proximité avec les populations civiles israéliennes touchées par les attaques du 7 octobre, tout en s’élevant contre la brutalité de la guerre et en demandant un arrêt des armes. 

Guerre infinie, paix impossible

Le problème est que nous sommes dans une zone au logiciel intellectuel et religieux très différent du système chrétien. C’est ainsi que la proportionnalité a une signification différente. Quand il s’agit, dans une logique chrétienne, de proportionnalité humaine, conduisant à une équivalence du nombre de morts et des dégâts, il s’agit pour les Israéliens d’une proportionnalité existentielle. En clair, puisque l’objectif du Hamas et du Hezbollah est d’éradiquer Israël, il est proportionnel, pour Israël, d’éradiquer ces deux groupes. On voit bien que cela conduit à un conflit sans fin, qui ne peut se terminer que par l’élimination de l’une ou l’autre partie. L’inverse donc de la vision chrétienne de la guerre où celle-ci doit être au service du rétablissement de la justice et de la mise en place d’un ordre de coopération et d’entente. Dans un entretien accordé à la revue Conflits, « Abu Said », le nom est bien évidemment anonyme, commandant militaire du Hamas pour la région de Saïda au Liban, était on ne peut plus clair : « Nous pouvons perdre un bout de Palestine, comme c’est déjà arrivé par le passé. Mais un jour, nos enfants reprendront tous les territoires perdus. Les Israéliens ne comprennent pas que plus ils nous tuent, plus la détermination de notre peuple grandit. » 

C’est bien le danger perçu par le pape et par la diplomatie vaticane. Outre que les bombardements de Gaza et du Liban tuent des victimes innocentes, ils sèment les germes d’une guerre qui ressurgira quand les enfants d’aujourd'hui seront devenus adultes. Face à ce qui paraît être une impuissance totale pour faire advenir la paix, la réponse de l’Église a toujours été également spirituelle. D’où l’arme de la prière, notamment le rosaire, et du jeûne. À ce titre, et cela est souvent incompris par les non-chrétiens, quand le pape appelle à une journée de prière pour la paix, il est bien dans une action diplomatique puisque cela ne vise qu’un seul but : faire revenir la paix et instaurer la justice. Ce qui est le sens même de la diplomatie.  

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