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[DOCUMENT] Dilexit nos, l’intégralité de l’encyclique du Pape sur le Sacré-Cœur

Le pape François à l'audience générale, place Saint-Pierre, le 23 octobre 2024.

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La rédaction d'Aleteia - publié le 24/10/24
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Le pape François a publié ce 24 octobre 2024 son encyclique "Dilexit nos" consacrée à la spiritualité du Sacré-Cœur. Voici le texte intégral de cette réflexion du pape François qui appelle à « redécouvrir l’importance du cœur » et le disponible pour contempler et recevoir l’amour de Dieu.

LETTRE ENCYCLIQUE

DILEXIT NOS

DU SAINT-PÈRE

FRANÇOIS

SUR L’AMOUR HUMAIN ET DIVIN

DU CŒUR DE JÉSUS-CHRIST

1. "Il nous a aimés" dit saint Paul, en parlant du Christ (Rm 8, 37), nous faisant découvrir que rien "ne pourra nous séparer" (Rm 8, 39) de son amour. Il l’affirme avec certitude car le Christ l’a dit lui-même à ses disciples : "Je vous ai aimés" (Jn 15, 9.12). Il a dit aussi : "Je vous appelle amis" (Jn 15, 15). Son cœur ouvert nous précède et nous attend inconditionnellement, sans exiger de préalable pour nous aimer et nous offrir son amitié : "Il nous a aimés le premier" (1 Jn 4, 19). Grâce à Jésus, "nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru" (1 Jn 4, 16).

I

L’IMPORTANCE DU CŒUR

2. On utilise souvent le symbole du cœur pour parler de l’amour de Jésus-Christ. Certains se demandent si cela a encore un sens aujourd’hui. Or, lorsque nous sommes tentés de naviguer en surface, de vivre à la hâte sans savoir pourquoi, de nous transformer en consommateurs insatiables, asservis aux rouages d’un marché qui ne s’intéresse pas au sens de l’existence, nous devons redécouvrir l’importance du cœur[1].

Quelle compréhension avons-nous du “cœur” ?

3. Dans le grec classique profane, le terme kardia désigne le tréfonds des êtres humains, des animaux et des plantes. Il indique chez Homère, non seulement le centre corporel, mais aussi le centre émotionnel et spirituel de l’homme. Dans l’Iliade, la pensée et le sentiment relèvent du cœur et sont très proches l’un de l’autre.[2] Le cœur apparaît comme le centre du désir et le lieu où se prennent les décisions importantes de la personne.[3] Le cœur acquiert chez Platon une fonction de “synthèse” du rationnel et des tendances de chacun, les passions et les requêtes des facultés supérieures se transmettant à travers les veines et confluant vers le cœur.[4] C’est ainsi que nous voyons depuis l’antiquité l’importance de considérer l’être humain non pas comme une somme de diverses facultés, mais comme un ensemble âme-corps avec un centre unificateur qui donne à tout ce que vit la personne un sens et une orientation.

4. La Bible affirme que « vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace […] elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (He 4, 12). Elle nous parle ainsi d’un centre, le cœur, qui se trouve derrière toute apparence, même derrière les pensées superficielles qui nous trompent. Les disciples d’Emmaüs, dans leur marche mystérieuse avec le Christ ressuscité, ont vécu un moment d’angoisse, de confusion, de désespoir, de désillusion. Mais au-delà et malgré tout, quelque chose se passait au fond d’eux : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous parlait en chemin ? » (Lc 24, 32).

5. En même temps, le cœur est le lieu de la sincérité où l’on ne peut ni tromper ni dissimuler. Il renvoie généralement aux véritables intentions d’une personne, ce qu’elle pense, croit et veut vraiment, les “secrets” qu’elle ne dit à personne et, en fin de compte, sa vérité nue. Il s’agit de ce qui est authentique, réel, vraiment “à soi”, ce qui n’est ni apparence ni mensonge. C’est pourquoi Dalila déclarait à Samson qui ne lui révélait pas le secret de sa force : « Comment peux-tu dire que tu m’aimes, alors que ton cœur n’est pas avec moi ? » (Jg 16, 15). Ce n’est que lorsqu’il lui confia son secret, si caché, qu’elle « comprit qu’il lui avait ouvert tout son cœur » (Jg 16, 18).

6. Cette vérité propre à toute personne est souvent cachée sous beaucoup de feuilles mortes, au point qu’il est difficile de se connaître soi-même et plus difficile encore de connaître l’autre : « Le cœur est rusé plus que tout, et pervers, qui peut le pénétrer ? » (Jr 17, 9). Nous comprenons ainsi pourquoi le livre des Proverbes nous interpelle : « Plus que sur toute chose, veille sur ton cœur, c’est de lui que jaillit la vie. Écarte loin de toi la bouche perverse » (4, 23-24). L’apparence, la dissimulation et la supercherie abîment et pervertissent le cœur. Nombreuses sont nos tentatives pour montrer ou exprimer ce que nous ne sommes pas ; or, tout se joue dans le cœur. On y est soi-même, quelque soit ce que l’on montre extérieurement et ce que l’on cache. C’est la base de tout projet solide pour la vie, car rien de valable ne se construit sans le cœur. L’apparence et le mensonge n’offrent que du vide.

7. En guise de métaphore, je voudrais rappeler une chose que j’ai déjà racontée à d’autres occasions : « Pour le carnaval, quand nous étions enfants, notre grand-mère nous faisait des biscuits, et elle faisait une pâte très fine. Ensuite, elle la mettait dans l’huile et cette pâte gonflait, gonflait et, quand nous la mangions, elle était vide. En dialecte, ces biscuits s’appelaient des “mensonges”. Et la grand-mère nous en expliquait la raison : “Ces biscuits sont comme les mensonges :  ils semblent grands, mais ils n’y a rien dedans, il n’y a là aucune vérité, il n’y a aucune substance” ».[5]

8. Au lieu de rechercher des satisfactions superficielles et de jouer un rôle devant les autres, il vaut mieux laisser surgir les questions décisives : qui suis-je vraiment, qu’est-ce que je cherche ? Quel sens je veux donner à ma vie, à mes choix ou à mes actions ? Pourquoi et dans quel but suis-je dans ce monde ? Comment est-ce que je veux donner de la valeur à mon existence lorsqu’elle s’achèvera ? Quel sens je veux donner à tout ce que je vis ? Qui est-ce que je veux être devant les autres ? Qui suis-je devant Dieu ? Ces questions me ramènent à mon cœur.

Revenir au cœur

9. Dans ce monde liquide, il est nécessaire de parler à nouveau du cœur, d’indiquer le lieu où toute personne, quelque soit sa catégorie et sa condition, fait sa synthèse ; là où l’être concret trouve la source et la racine de toutes ses autres forces, convictions, passions et choix. Mais nous évoluons dans des sociétés de consommateurs en série vivant au jour le jour, dominés par les rythmes et les bruits de la technologie, et qui n’ont pas une grande patience pour accomplir les processus que l’intériorité requiert. Dans la société actuelle, l’être humain « risque de perdre le centre, le centre de lui-même ».[6] « L’homme contemporain est souvent perturbé, divisé, presque privé d’un principe intérieur qui crée l’unité et l’harmonie de son être et de son agir. Malheureusement, des modèles de comportement assez répandus amplifient sa dimension rationnelle et technologique, ou à l’inverse sa dimension instinctive ».[7] Le cœur fait défaut.

10. Certes, le problème d’une la société liquide est d’actualité, mais la dévalorisation du centre intime de l’homme – du cœur – vient de très loin : on la trouve déjà dans le rationalisme grec et préchrétien, dans l’idéalisme postchrétien et dans le matérialisme sous ses diverses formes. Le cœur a peu de place dans l’anthropologie et il est une notion étrangère pour la grande pensée philosophique. D’autres concepts tels que la raison, la volonté ou la liberté lui ont été privilégiés. Sa signification est vague et on ne lui a pas donné de place spécifique dans la vie humaine. Peut-être parce qu’il n’était pas facile de le placer parmi les idées “claires et distinctes” ou en raison de la difficulté à se connaître soi-même : il semblerait que la réalité la plus intime soit aussi la plus lointaine de la connaissance. Souvent la rencontre de l’autre n’est pas un moyen de se trouver soi-même, puisque notre mentalité est dominée par un individualisme malsain. Beaucoup se sont sentis en sécurité dans le domaine plus contrôlable de l’intelligence et de la volonté afin de construire leurs systèmes de pensée. Ils ne trouvaient pas, en effet, de place pour le cœur lui-même, distinct des forces et des passions humaines considérées isolément les unes des autres. L’idée d’un centre personnel, où la seule chose qui puisse tout unifier est en fin de compte l’amour, n’était pas non plus largement développée.

11. Si le cœur est dévalorisé, alors parler avec le cœur, agir avec le cœur, mûrir et prendre soin du cœur est également dévalorisé. Lorsque la spécificité du cœur n’est pas prise en compte, sont perdues les réponses que l’intelligence à elle seule ne peut donner, perdue la rencontre avec les autres, perdue la poésie. Et nous passons à côté de l’histoire et de nos histoires, car la véritable aventure personnelle est celle qui se construit à partir du cœur. À la fin de la vie, c’est tout ce qui comptera.

12. Il faut affirmer que nous avons un cœur, que notre cœur coexiste avec les autres cœurs qui l’aident à être un “tu”. Comme nous ne pouvons pas développer longuement ce thème, nous citerons un personnage de roman, Stavroguine de Dostoïevski.[8] Romano Guardini le décrit comme une incarnation même du mal, car sa principale caractéristique est d’être sans cœur : « Stavroguine n’a pas de cœur, son esprit est donc quelque peu froid et impitoyable, et son corps est empoisonné par l’inertie et la sensualité bestiale. Il ne peut donc pas atteindre les autres hommes, et aucun d’entre eux ne peut vraiment l’atteindre, car c’est le cœur qui crée les possibilités de rencontre. C’est par le cœur que je suis aux côtés de l’autre et que l’autre est proche de moi. Seul le cœur peut accueillir et donner un asile. L’intimité est l’acte, la sphère du cœur. Stavroguin, cependant, est une personne distante, [...] il est très loin, y compris de lui-même, car la partie la plus intime de l’homme se trouve dans le cœur et non dans l’esprit. L’intériorité qui réside dans l’esprit n’est pas le propre de l’homme. Mais quand le cœur n’est pas vivant, l’homme n’est pas en lui-même, mais à côté de lui-même ».[9]

13. Il faut que toutes les actions soient placées sous le “contrôle politique” du cœur, que l’agressivité et les désirs obsessionnels se calment dans le bien le plus grand que leur offre le cœur et dans sa force contre les maux ; il faut que l’intelligence et la volonté se mettent également à son service, en sentant et goûtant les vérités plutôt qu’en voulant les dominer comme certaines sciences ont tendance à le faire ; il faut que la volonté désire le bien le plus grand que le cœur connaît, et que l’imagination et les sentiments se laissent modérer par le battement du cœur.

14. En définitive, on pourrait dire que je suis mon cœur, car c’est lui qui me distingue, me façonne dans mon identité spirituelle et me met en communion avec les autres. Les algorithmes à l’œuvre dans le monde numérique montrent que nos pensées, et ce que décide notre volonté, sont beaucoup plus “standards” que nous ne le pensions. Elles sont facilement prévisibles et manipulables. Il n’en va pas de même pour le cœur.

15. Le mot “cœur” est important pour la philosophie et la théologie qui cherchent à réaliser une synthèse. En effet, le mot “cœur” ne peut être épuisé par la biologie, la psychologie, l’anthropologie ou toute autre science. Il fait partie de ces mots originels « qui désignent les réalités de l’homme qui lui reviennent dans la mesure où il est précisément un être complet (en tant que personne corporelle et spirituelle) ».[10] Ainsi, le biologiste n’est pas plus réaliste que les autres lorsqu’il parle du cœur, car il n’en voit qu’une partie ; or le tout n’est pas moins réel, il l’est même davantage. Un langage abstrait ne pourrait pas non plus avoir la même signification concrète et intégrante en même temps. Si le “cœur” nous conduit au plus profond de notre personne, il nous permet aussi de nous reconnaître dans notre globalité et pas seulement dans un aspect isolé.

16. D’autre part, cette force unique du cœur nous aide à comprendre pourquoi il est dit que, lorsqu’une réalité est saisie avec le cœur il est possible de mieux la connaître, et plus complètement. Cela nous conduit inévitablement à l’amour dont le cœur est capable, car « le fond de la réalité c’est l’amour ».[11] Pour Heidegger, selon l’interprétation qu’en fait un penseur contemporain, la philosophie ne commence pas par un concept pur ou une certitude, mais par une émotion : « La pensée doit être saisie avant ou pendant qu’elle travaille avec les concepts. Sans l’émotion, la pensée ne peut pas commencer. La première image de la pensée, c’est la chair de poule. C’est l’émotion qui fait réfléchir et questionner : “La philosophie se fait toujours dans un état d’âme fondamental” (Stimmung) ».[12] C’est là qu’apparaît le cœur qui « abrite les états d’âme, fonctionne comme un “gardien de l’état de l’âme”. Le “cœur” entend de manière non métaphorique “la voix silencieuse” de l’être, se laissant modérer et déterminer par elle ».[13]

Le cœur qui assemble les fragments

17. En même temps, le cœur rend possible tout lien authentique, car une relation qui n’est pas construite par le cœur ne peut pas surmonter le morcellement de l’individualisme. Deux monades qui se croiseraient pourraient seulement se maintenir, mais elles ne s’uniraient pas vraiment. L’anti-cœur est une société de plus en plus dominée par le narcissisme et l’autoréférence. Nous arrivons finalement à la “perte du désir”, parce que l’autre disparaît de l’horizon et nous nous enfermons dans notre égoïsme, incapables de relations saines.[14] En conséquence, nous devenons incapables d’accueillir Dieu. Comme le dirait Heidegger, pour recevoir le divin, nous devons bâtir une « maison d’hôtes ».[15]

18. Nous voyons ainsi que, dans le cœur de chaque personne, il existe ce lien paradoxal entre la valorisation de soi et l’ouverture à l’autre, entre la rencontre très personnelle avec soi-même et le don de soi à l’autre. Je ne deviens moi-même que lorsque j’acquiers la capacité de reconnaître l’autre, et que je rencontre l’autre qui peut reconnaître et accepter mon identité.

19. Le cœur est également capable d’unifier et d’harmoniser l’histoire personnelle, qui semble fragmentée en mille morceaux mais où tout peut avoir un sens. C’est ce que l’Évangile exprime avec Marie qui regardait avec le cœur. Elle savait dialoguer avec les expériences conservées en y réfléchissant dans son cœur, en leur donnant du temps, les méditant et les conservant intérieurement pour se souvenir. Dans l’Évangile, la meilleure expression de ce que pense le cœur est représentée par les deux passages de saint Luc qui nous disent que Marie « gardait (syneterei) toutes ces choses, les méditant (symballousa) dans son cœur » (cf. Lc 2, 19 ; cf. 2, 51). Le verbe symballein (d’où le terme “symbole”) signifie méditer, unir deux choses dans son esprit, et aussi s’examiner soi-même, réfléchir, dialoguer avec soi-même. En Lc 2, 51 dieterei signifie “conserver avec soin”, et ce qu’elle conservait n’était pas seulement “la scène” qu’elle voyait, mais aussi ce qu’elle ne comprenait pas encore, mais qui était présent et vivant dans l’attente de tout rassembler dans son cœur.

20. À l’ère de l’intelligence artificielle, nous ne pouvons pas oublier que la poésie et l’amour sont nécessaires pour sauver l’homme. Ce qu’aucun algorithme ne pourra jamais prendre en compte, c’est, par exemple, ce temps de l’enfance dont nous nous souvenons avec tendresse et qui continue à se produire aux quatre coins de la planète, même si les années passent. Je pense à l’utilisation de la fourchette pour sceller les bords de ces panzerotti faits maison avec nos mères ou nos grands-mères. C’est ce moment d’apprentissage culinaire, à mi-chemin entre le jeu et l’âge adulte, où l’on prend la responsabilité de travailler pour aider l’autre. Comme la fourchette, je pourrais citer des milliers de petits détails qui se trouvent dans la biographie de chacun : provoquer un sourire avec une plaisanterie, faire un dessin au contrejour d’une fenêtre, jouer son premier match de football avec un ballon en chiffon, conserver des vers dans une boîte à chaussures, faire sécher une fleur entre les pages d’un livre, s’occuper d’un oiseau tombé du nid, faire un vœu en cueillant une marguerite. Tous ces petits détails – ce qui est ordinaire-extraordinaire – ne pourront jamais faire partie des algorithmes. Parce que la fourchette, les plaisanteries, la fenêtre, le ballon, la boîte à chaussures, le livre, l’oiseau, la fleur... reposent sur la tendresse que l’on conserve dans les souvenirs du cœur.

21. Le noyau de tout être humain, son centre le plus intime, n’est pas le noyau de l’âme mais de toute la personne dans son identité unique qui est à la fois âme et corps. Tout s’unifie dans le cœur qui peut être le siège de l’amour avec la totalité de ses composantes spirituelles, émotionnelles et même physiques. En définitive, si l’amour y règne, la personne réalise son identité de manière pleine et lumineuse, car tout être humain a été créé avant tout pour l’amour, il est fait dans ses fibres les plus profondes pour aimer et être aimé.

22. C’est pourquoi, en voyant comment les nouvelles guerres se succèdent avec la complicité, la tolérance ou l’indifférence d’autres pays, ou de simples luttes de pouvoir autour d’intérêts partisans, nous sommes en droit de penser que la société mondiale est en train de perdre son cœur. Il suffit de regarder et d’écouter les femmes âgées – de différentes parties en conflit – qui sont prisonnières de ces affrontements dévastateurs. Il est déchirant de les voir pleurer leurs petits-enfants assassinés ou de les entendre souhaiter leur propre mort parce qu’elles ont perdu la maison dans laquelle elles ont toujours vécu. Elles, qui ont été souvent des modèles de force et d’endurance au cours de vies difficiles et sacrifiées, parviennent aujourd’hui à la dernière étape de leur existence et ne reçoivent pas la paix méritée, mais de l’angoisse, de la peur et de l’indignation. Rejeter la responsabilité sur les autres ne résout pas ce drame honteux. Voir des grands-mères pleurer sans que cela nous soit intolérable est le signe d’un monde sans cœur.

23. Lorsqu’une personne réfléchit, cherche, médite sur son être et son identité ou bien analyse des questions supérieures ; lorsqu’elle réfléchit au sens de sa vie et même lorsqu’elle recherche Dieu, si elle éprouve la joie d’avoir entrevu quelque chose de la vérité, cela trouve son point culminant dans l’amour. En aimant, la personne sent qu’elle sait pourquoi et dans quel but elle vit. Tout converge ainsi vers un état de connexion et d’harmonie. C’est pourquoi, face à son mystère personnel, la question la plus décisive que chacun peut se poser est peut-être la suivante : ai-je un cœur ?

Le feu

24. Cela a des conséquences pour la spiritualité. Par exemple, la théologie des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola a pour principe l’affectus. La dimension discursive repose sur une volonté fondamentale (avec toute la force du cœur) qui donne force et ressources à la tâche de réorganisation de la vie. Les règles et compositions de lieu qu’Ignace met en place fonctionnent sur la base d’un “fondement” différent, l’inconnu du cœur. Michel de Certeau montre comment les “motions” dont parle saint Ignace sont les irruptions d’une volonté de Dieu et d’une volonté du cœur qui reste différente de la réalité présente. Quelque chose d’inattendu commence à parler dans le cœur de la personne, quelque chose qui naît de l’inconnaissable, enlève la surface de ce qui est connu et s’y oppose. C’est l’origine d’un nouvel “ordonnancement de la vie” à partir du cœur. Il ne s’agit pas de discours rationnels qu’il faudrait mettre en pratique en les faisant passer dans la vie, de sorte que l’affectivité et la pratique seraient les simples conséquences – en dépendance – d’un savoir assuré.[16]

25. Là où le philosophe arrête sa réflexion, le cœur croyant aime, adore, demande pardon et s’offre pour servir à l’endroit que le Seigneur lui donne de choisir pour le suivre. Il réalise alors qu’il est le “tu” de Dieu et qu’il peut être un “je” parce que Dieu est un “tu” pour lui. Le fait est que seul le Seigneur nous offre de nous traiter comme un “tu”, toujours et à jamais. Accepter son amitié est une affaire de cœur et nous constitue en tant que personnes au sens plein du terme.

26. Saint Bonaventure disait qu’en fin de compte, on doit demander « non pas la lumière mais le feu ».[17] Et il enseignait que « la foi est dans l’intellect de manière à provoquer le sentiment. Ainsi, le fait de savoir que le Christ est mort pour nous ne reste pas une connaissance mais devient nécessairement sentiment, amour ».[18] Dans cette ligne, saint John Henry Newman a pris pour devise la phrase « Cor ad cor loquitur », parce qu’au-delà de toute dialectique, le Seigneur nous sauve en parlant à nos cœurs à partir de son Sacré-Cœur. Cette même logique faisait que pour lui, grand penseur, le lieu de la rencontre la plus profonde, avec lui-même et avec le Seigneur, n’était pas la lecture ou la réflexion, mais le dialogue priant, cœur à cœur avec le Christ vivant et présent. C’est pourquoi Newman a trouvé dans l’Eucharistie le Cœur de Jésus-Christ vivant, capable de libérer, de donner un sens à chaque instant et de répandre en l’homme une paix véritable: « Ô très Sacré, très aimant Cœur de Jésus, tu es caché dans la Sainte Eucharistie et tu bats toujours pour nous. […] Je t’adore donc avec amour et crainte, avec une affection fervente et une volonté soumise et résolue. Ô mon Dieu, quand tu condescends à me permettre de te recevoir, de te manger et de te boire, et à faire de moi pour un moment ta demeure, oh ! fais battre mon cœur à l’unisson du tien. Purifie-le de tout ce qui est terrestre, fier et sensuel, de tout ce qui est dur et cruel, de toute atonie, de tout désordre, de toute perversité. Remplis-le de ta présence, afin que ni les événements de la journée, ni les circonstances du temps présent n’aient le pouvoir de le troubler ; mais que, dans ton amour et dans ta crainte, il puisse trouver la paix ».[19]

27. Devant le Cœur de Jésus vivant et présent, notre esprit comprend, éclairé par l’Esprit, les paroles de Jésus. Notre volonté se met donc en mouvement pour les mettre en pratique. Mais cela pourrait rester une forme de moralisme autosuffisant. Sentir et goûter le Seigneur, et l’honorer, est une affaire de cœur. Seul le cœur est capable de mettre les autres facultés et passions, et toute notre personne, dans une attitude de révérence et d’obéissance amoureuse au Seigneur.

Le monde peut changer à partir du cœur

28. Ce n’est qu’à partir du cœur que nos communautés parviendront à unir leurs intelligences et leurs volontés, et à les pacifier pour que l’Esprit nous guide en tant que réseau de frères ; car la pacification est aussi une tâche du cœur. Le Cœur du Christ est extase, il est sortie, il est don, il est rencontre. En Lui, nous devenons capables de relations saines et heureuses les uns avec les autres et de construire le Royaume de l’amour et de la justice dans ce monde. Notre cœur uni à celui du Christ est capable de ce miracle social.

29. Prendre le cœur au sérieux a des conséquences sociales. Comme l’enseigne le Concile Vatican II, « nous avons tous assurément à changer notre cœur et à ouvrir les yeux sur le monde, comme sur les tâches que nous pouvons entreprendre tous ensemble pour le progrès du genre humain ».[20] Car « les déséquilibres qui travaillent le monde moderne sont liés à un déséquilibre plus fondamental qui prend racine dans le cœur même de l’homme ».[21] Face aux drames du monde, le Concile nous invite à revenir au cœur, expliquant que l’être humain, « par son intériorité, dépasse l’univers des choses : c’est à ces profondeurs qu’il revient lorsqu’il fait retour en lui-même où l’attend ce Dieu qui scrute les cœurs (cf. 1 S 16, 7 ; Jr 17, 10) et où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de Dieu ».[22]

30. Cela ne signifie pas qu’il faille trop compter sur soi-même. Prenons garde : rendons-nous compte que notre cœur n’est pas autosuffisant, qu’il est fragile et blessé. Il a une dignité ontologique mais, en même temps, il doit chercher une vie plus digne.[23] Le Concile Vatican II déclare également : « Quant au ferment évangélique, c’est lui qui a suscité et suscite dans le cœur humain une exigence incoercible de dignité »,[24] mais pour vivre selon cette dignité, il ne suffit pas de connaître l’Évangile ni de faire mécaniquement ce qu’il nous commande. Nous avons besoin de l’aide de l’amour divin. Allons vers le Cœur du Christ, le centre de son être qui est une fournaise ardente d’amour divin et humain et qui est la plus grande plénitude que l’homme puisse atteindre. C’est là, dans ce Cœur, que nous nous reconnaissons finalement nous-mêmes et que nous apprenons à aimer.

31. En définitive, le Sacré-Cœur est le principe unificateur de la réalité, car « le Christ est le cœur du monde ; sa Pâque de mort et de résurrection est le centre de l’histoire qui, grâce à Lui, est histoire de salut ».[25] Toutes les créatures « avancent, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ».[26] Devant le Cœur du Christ, je demande au Seigneur d’avoir à nouveau compassion pour cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous. Qu’Il répande les trésors de sa lumière et de son amour, afin que notre monde, qui survit au milieu des guerres, des déséquilibres socioéconomiques, du consumérisme et de l’utilisation antihumaine de la technologie, puisse retrouver ce qui est le plus important et le plus nécessaire : le cœur.

II

DES GESTES ET DES PAROLES D’AMOUR

32. Le Cœur du Christ, symbole du centre personnel d’où jaillit son amour pour nous, est le noyau vivant de la première annonce. Là se trouve l’origine de notre foi, la source qui donne vie aux convictions chrétiennes.

Des gestes qui reflètent le cœur

33. Le Christ n’a pas voulu beaucoup nous expliquer son amour pour nous, mais Il l’a manifesté par ses gestes. Nous découvrons en le voyant agir la manière dont Il nous traite chacun, même si nous avons du mal à le percevoir. Allons donc chercher là où notre foi peut le reconnaître : dans l’Évangile.

34. Selon l’Évangile, Jésus est venu chez les siens (cf. Jn 1, 11). Il ne nous traite pas comme des étrangers, par conséquent nous sommes les siens. Il nous considère comme un bien propre sur lequel il veille avec soin, avec affection. Il nous traite comme les siens. Cela ne signifie pas que nous serions ses esclaves, et lui-même le dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs » (Jn 15, 15). Il nous propose l’appartenance réciproque des amis. Il est venu, Il a franchi toutes les distances, Il s’est fait proche de nous dans les choses les plus simples et les plus quotidiennes de l’existence. L’autre nom qu’il porte, “Emmanuel”, signifie en effet “Dieu avec nous”, Dieu proche de notre vie, vivant parmi nous. Le Fils de Dieu s’est incarné et s’est « anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave » (Ph 2, 7).

35. Cela est manifeste lorsque nous le voyons à l’œuvre. Il est toujours à la recherche, toujours proche, toujours ouvert à la rencontre. Nous le contemplons s’arrêter pour parler avec la Samaritaine au puits où elle va prendre de l’eau (cf. Jn 4, 5-7). Nous le voyons, au milieu de la nuit, rencontrer Nicodème qui a peur d’être vu avec Lui (cf. Jn 3,1-2). Nous l’admirons se laisser laver les pieds, sans honte, par une prostituée (cf. Lc 7, 36-50) ; dire à la femme adultère les yeux dans les yeux :  je ne te condamne pas (cf. Jn 8, 11) ; affronter l’indifférence de ses disciples lorsqu’il dit à l’aveugle sur la route avec tendresse : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Mc 10, 51). Le Christ montre que Dieu est proximité, compassion et tendresse.

36. Lorsqu’Il guérit une personne, Il préfère s’en approcher : Jésus « étendit la main et le toucha » (Mt 8, 3). « Il lui toucha la main » (Mt 8,15). « Il leur toucha les yeux » (Mt 9, 29). Il s’arrête même pour guérir des malades avec sa propre salive (cf. Mc 7, 33), comme une mère, afin qu’ils ne le sentent pas étranger à leur vie. « Le Seigneur connaît la belle science des caresses. La tendresse de Dieu ne nous aime pas avec des mots. Il s’approche de nous et, proche de nous, Il nous donne son amour avec toute la tendresse possible ».[27]

37. Alors qu’il nous est difficile de faire confiance, du fait que nombre de mensonges, d’agressions et de déceptions nous ont blessés, Jésus nous murmure à l’oreille : « Aie confiance, mon enfant » (Mt 9, 2), « Aie confiance, ma fille » (Mt 9, 22). Il nous faut vaincre la peur et réaliser que nous n’avons rien à perdre avec Lui. À Pierre qui perd confiance, « Jésus tend la main. Il le saisit, en lui disant : “ […] Pourquoi as-tu douté ?” » (Mt 14, 31). N’aie pas peur. Laisse-le s’approcher de toi, laisse-le se mettre à côté de toi. Nous pouvons douter de beaucoup de monde, mais pas de Lui. Et ne t’arrête pas à cause de tes péchés. Rappelle-toi que de nombreux pécheurs « se sont mis à table avec Jésus » (Mt 9, 10) et qu’Il n’a été scandalisé par aucun d’eux. Les élites religieuses se plaignaient et le traitaient « de glouton et d’ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs » (Mt 11, 19). Lorsque les pharisiens critiquaient sa proximité avec les personnes considérées comme de basse condition ou pécheresses, Jésus leur disait : « C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice » (Mt 9, 13).

38. Ce même Jésus attend aujourd’hui que tu lui donnes la possibilité d’éclairer ton existence, de t’élever, de te remplir de sa force. Il a dit à ses disciples, avant de mourir : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai vers vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous verrez que je vis, et vous aussi vous vivrez » (Jn 14, 18-19). Il trouve toujours un moyen de se manifester dans ta vie pour que tu puisses le rencontrer.

Le regard

39. L’Évangile nous raconte qu’un homme riche vint à lui, rempli d’idéaux mais manquant de force pour changer de vie. Alors, « Jésus fixa sur lui son regard » (Mc 10, 21). Peut-on imaginer cet instant, cette rencontre entre le regard de cet homme et le regard de Jésus ? Lorsqu’Il t’appelle, te convoque pour une mission, Il commence par te regarder, Il pénètre au plus profond de ton être. Il perçoit et connaît tout ce qui est en toi, Il pose son regard sur toi : « Comme Il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, Il vit deux frères [...]. En avançant plus loin et Il vit deux autres frères » (Mt 4, 18.21).

40. De nombreux textes de l’Évangile nous montrent comment Jésus est attentif aux personnes, à leurs préoccupations, à leurs souffrances. Par exemple : « À la vue des foules, Il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés » (Mt 9, 36). Lorsque nous avons l’impression que tout le monde nous ignore, que personne ne s’intéresse à ce qui nous arrive, que nous n’avons d’importance pour personne, Il nous prête attention. C’est ce qu’Il fait remarquer à Nathanaël, solitaire et renfermé : « Avant que Philippe t’appelât, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu » (Jn 1, 48).

41. C’est justement parce qu’Il est attentif à nous qu’Il est capable de reconnaître chaque bonne intention, chaque bonne petite action que nous faisons. L’Évangile raconte qu’« Il vit une veuve indigente qui mettait [dans le Trésor du Temple] deux piécettes » (Lc 21, 2) et qu’Il en fit part immédiatement à ses apôtres. Jésus est attentif de telle sorte qu’Il admire les choses bonnes qu’Il reconnaît en nous. Jésus est dans l’admiration lorsqu’il entend le centurion le prier en toute confiance (cf. Mt 8, 10). Qu’il est beau de savoir que si les autres ignorent nos bonnes intentions ou les choses positives que nous faisons, Jésus ne les ignore pas, au contraire Il les admire.

42. En tant qu’être humain, Il avait appris cela de Marie, sa mère. Elle, qui « conservait avec soin toutes ces choses les méditant en son cœur » (Lc 2, 19), Lui apprit, avec saint Joseph, dès son enfance à être attentif.

Les paroles

43. Nous avons dans les Écritures sa Parole toujours vivante et actuelle, mais il arrive aussi que Jésus nous parle intérieurement et nous appelle pour nous conduire au meilleur endroit. Ce lieu le meilleur, c’est son Cœur. Il nous appelle à entrer là où nous pouvons retrouver des forces et la paix : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai » (Mt 11, 28). C’est pourquoi Il demande à ses disciples : « Demeurez en moi » (Jn 15, 4).

44. Les paroles de Jésus montrent que sa sainteté n’élimine pas les sentiments. Elles révèlent en certaines occasions un amour passionné qui souffre pour nous, s’émeut, s’afflige jusqu’aux larmes. Il est manifeste que les préoccupations et les angoisses courantes des gens, comme la fatigue ou la faim, ne le laissent pas indifférent : « J’ai pitié de la foule, [...] ils n’ont pas de quoi manger [...] ils vont défaillir en route, et il y en a parmi eux qui sont venus de loin » (Mc 8, 2-3).

45. L’Évangile ne cache pas les sentiments de Jésus à l’égard de Jérusalem, la ville bien-aimée : « Quand Il fut proche, à la vue de la ville, Il pleura sur elle » (Lc 19, 41) et exprima son plus grand regret : « Si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! » (19, 42). Les évangélistes, tout en le montrant parfois puissant ou glorieux, ne manquent pas de révéler ses sentiments face à la mort et à la souffrance des amis. Avant de raconter que « Jésus pleura » (Jn 11, 35) sur le tombeau de Lazare, l’Évangile explique qu’« Il aimait Marthe et sa sœur et Lazare » (Jn 11, 5) et que, voyant Marie et ses compagnes pleurer, « Il frémit en son esprit et se troubla » (Jn 11, 33). Le récit ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit de pleurs sincères provenant d’un trouble intérieur. Enfin, l’angoisse de Jésus face à sa mort violente de la main de ceux qu’Il aime tant n’est pas non plus cachée : « Il commença à ressentir effroi et angoisse » (Mc 14, 33), au point de dire : « Mon âme est triste à en mourir » (Mc 14, 34). Ce trouble intérieur s’exprime avec toute sa force dans le cri du Crucifié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34).

46. Ce qui précède pourrait ressembler à du romantisme religieux. Or rien n’est plus sérieux et décisif, et trouve sa plus haute expression se trouve dans le Christ cloué sur la croix qui est la parole d’amour la plus éloquente. Il ne s’agit pas d’une coquille vide, d’un pur sentiment, d’une évasion spirituelle. Il s’agit d’amour. C’est pourquoi, lorsque saint Paul cherche les mots justes pour expliquer sa relation avec le Christ, il écrit : « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2, 20). Telle était sa plus grande conviction : se savoir aimé. Le don de soi du Christ sur la croix l’a subjugué, mais il n’avait de sens que parce qu’il y avait une chose encore plus grande que ce don même : “Il m’a aimé”. Alors que nombre de personnes cherchaient leur salut, leur bien-être ou leur sécurité dans diverses propositions religieuses, Paul, touché par l’Esprit, a su regarder au-delà et s’émerveiller de ce qu’il y a de plus grand et de plus fondamental : “Il m’a aimé”.

47. Après avoir contemplé le Christ, ce que ses gestes et ses paroles laissent entrevoir de son cœur, rappelons maintenant comment l’Église réfléchit sur le saint mystère du Cœur du Seigneur.

III

VOICI LE CŒUR QUI A TANT AIMÉ

48. La dévotion au Cœur du Christ n’est pas le culte d’un organe séparé de la personne de Jésus. Nous contemplons et adorons Jésus-Christ tout entier, le Fils de Dieu fait homme, représenté dans une image où son cœur est mis en évidence. Le cœur de chair est considéré comme l’image ou le signe privilégié du centre le plus intime du Fils incarné et de son amour à la fois divin et humain car, plus que tout autre membre de son corps, il est « signe ou symbole naturel de son immense charité ».[28]

L’adoration du Christ

49. Il est indispensable de souligner que nous sommes dans une relation d’amitié et d’adoration avec la personne du Christ, attirés par son amour représenté par l’image de son Cœur. Nous vénérons cette image qui le représente, mais l’adoration ne s’adresse qu’au Christ vivant, dans sa divinité et dans toute son humanité, afin de nous laisser étreindre par son amour humain et divin.

50. Au-delà de l’image utilisée, il est certain que le Cœur vivant du Christ – jamais une image – est objet d’adoration car il fait partie de son Corps très saint et ressuscité, inséparable du Fils de Dieu qui l’a assumé pour toujours. Il est adoré en tant que « Cœur de la personne du Verbe auquel il est inséparablement uni ».[29] Nous ne l’adorons pas isolément mais dans la mesure où, avec ce Cœur, c’est le Fils incarné lui-même qui vit, aime et reçoit notre amour. Par conséquent, tout acte d’amour ou d’adoration envers son Cœur « s’adresse en réalité au Christ Lui-même »,[30] puisqu’il renvoie spontanément à Lui et qu’il est « le symbole et l’image expresse de l’amour infini de Jésus-Christ ».[31]

51. C’est pourquoi personne ne doit penser que cette dévotion pourrait nous séparer ou nous éloigner de Jésus-Christ et de son amour. De manière spontanée et directe, elle nous oriente vers Lui, et vers Lui seul, qui nous appelle à une précieuse amitié faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration. Ce Christ au cœur transpercé et brûlant est le même qui est né à Bethléem par amour, qui a parcouru la Galilée en guérissant, en caressant, en répandant la miséricorde, le même qui nous a aimés jusqu’au bout en ouvrant les bras sur la croix. Enfin, c’est le même qui est ressuscité et qui vit glorieusement au milieu de nous.

La vénération de son image

52. Il faut noter que l’image du Christ avec son cœur, même si elle n’est en aucun cas objet d’adoration, n’est pas pour autant une image parmi d’autres que nous pourrions choisir. Elle n’a pas été inventée dans un bureau ni dessinée par un artiste. « Elle n’est pas un symbole imaginaire, elle est un symbole réel qui représente le centre, la source d’où a jailli le salut de l’humanité tout entière ».[32]

53. Une expérience humaine universelle rend cette image unique. Il est en effet incontestable qu’au cours de l’histoire et dans diverses parties du monde, le cœur est devenu le symbole de l’intimité la plus personnelle, ainsi que de l’affection, des émotions et de la capacité d’aimer. Au-delà de toute explication scientifique, une main posée sur le cœur d’un ami exprime une affection particulière ; lorsqu’une personne tombe amoureuse et qu’elle est proche de l’être aimé, les battements de son cœur s’accélèrent ; lorsqu’une personne souffre d’abandon ou de tromperie de la part d’un être aimé, elle ressent une forte oppression au niveau du cœur. Pour exprimer qu’une chose est sincère et vient vraiment du centre de la personne, on dit : “Je te le dis du fond du cœur”. Le langage poétique ne peut ignorer la puissance de ces expériences. C’est pourquoi le cœur a acquis incontestablement au cours de l’histoire une force symbolique unique qui n’est pas seulement conventionnelle.

54. Il est donc compréhensible que l’Église ait choisi l’image du cœur pour représenter l’amour humain et divin de Jésus-Christ et le centre le plus intime de sa personne. Si l’image d’un cœur avec des flammes de feu est un symbole éloquent nous rappelant l’amour de Jésus-Christ, il convient cependant que ce cœur fasse partie d’une représentation de Lui. Son appel à une relation personnelle de rencontre et de dialogue est de cette manière plus significatif.[33] L’image vénérée du Christ, de laquelle se détache son cœur aimant, inclut un regard qui nous appelle à la rencontre, au dialogue et à la confiance ; des mains fortes, capables de nous soutenir ; une bouche qui nous adresse la parole d’une manière unique et très personnelle.

55. Le cœur a la particularité d’être perçu non pas comme un organe séparé mais comme un centre intime unificateur et donc comme expression de la totalité de la personne, ce qui n’est pas le cas des autres organes du corps humain. Puisqu’il est le centre intime de la totalité de la personne, et donc une partie représentant le tout, il serait facile de le dénaturer en le contemplant séparément de la figure du Seigneur. L’image du cœur doit nous renvoyer à la totalité de Jésus-Christ en son centre unificateur et, simultanément à partir de ce centre unificateur, elle nous doit nous amener à contempler le Christ dans toute la beauté et la richesse de son humanité et de sa divinité.

56. Cela va au-delà de l’attrait qu’exercent les diverses images qui ont été faites du Cœur du Christ. On ne doit pas, en effet, « mettre notre confiance dans des images ou leur demander quelque chose, comme le faisaient autrefois les païens », mais, « à travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons ».[34]

57. Par ailleurs, nous pouvons trouver certaines de ces images peu attrayantes et invitant peu à l’amour et à la prière. Cela est secondaire car l’image n’est rien d’autre qu’une figure incitative et, comme diraient les Orientaux, nous ne devons pas en rester au doigt qui montre la lune. Bien que bénie, il ne s’agit ici que d’une image nous invitant à aller au-delà, nous incitant à élever notre cœur jusqu’à celui du Christ vivant, et à l’unir à lui ; alors que l’Eucharistie est présence réelle devant être adorée. L’image vénérée convoque, indique et porte, afin de nous faire passer du temps dans la rencontre avec le Christ et dans son adoration, comme il nous semble le mieux de l’imaginer. En regardant l’image, nous nous mettons face au Christ et, devant Lui, « l’amour se fixe, contemple le mystère, en profite en silence ».[35]

58. Cela dit, nous ne devons pas oublier que cette image du cœur nous parle de chair humaine, de terre, et donc aussi de Dieu qui a voulu entrer dans notre condition historique, devenir histoire et partager notre cheminement terrestre. Une forme de dévotion plus abstraite ou stylisée ne sera pas nécessairement plus fidèle à l’Évangile, car la manière dont Dieu a voulu se révéler et se faire proche de nous se manifeste dans ce signe sensible et accessible.

Un amour sensible

59. Amour et cœur ne sont pas nécessairement reliés, car la haine, l’indifférence, l’égoïsme peuvent régner dans un cœur humain. Mais nous n’atteignons pas notre pleine humanité si nous ne sortons pas de nous-mêmes ; et nous ne devenons pas pleinement nous-mêmes si nous n’aimons pas. Le centre le plus intime de notre personne, créé pour l’amour, ne réalise le projet de Dieu que lorsqu’il aime. C’est pourquoi le symbole du cœur symbolise en même temps l’amour.

60. Le Fils éternel de Dieu, qui me transcende infiniment, a aussi voulu m’aimer avec un cœur humain. Ses sentiments humains deviennent le sacrement d’un amour infini et définitif. Son cœur n’est donc pas un symbole physique qui n’exprimerait qu’une réalité purement spirituelle ou séparée de la matière. Un regard tourné vers le Cœur du Seigneur contemple une réalité physique, sa chair humaine qui permet au Christ d’avoir des émotions et des sentiments bien humains, comme nous, quoi qu’entièrement transformés par son amour divin. La dévotion doit atteindre l’amour infini de la personne du Fils de Dieu, mais nous devons dire que cet amour est inséparable de son amour humain, et nous sommes aidés en cela par l’image de son cœur de chair.

61. Si aujourd’hui encore le cœur est perçu dans le sentiment populaire comme le centre affectif de tout être humain, c’est lui qui peut le mieux signifier l’amour divin du Christ uni pour toujours et inséparablement à son amour humain. Pie XII rappelait déjà que la Parole de Dieu, « qui décrit les dispositions du Cœur de Jésus-Christ, ne rend pas seulement compte de la charité divine mais aussi des sentiments d’affection humaine [...]. Les battements du Cœur de Jésus-Christ, uni hypostatiquement à la divine personne du Verbe, ont sans aucun doute été inspirés par l’amour et par toutes les autres affections sensibles ».[36]

62. Chez les Pères de l’Église, contrairement à d’autres qui niaient ou relativisaient la véritable humanité du Christ, nous trouvons une forte affirmation de la réalité concrète et tangible des affections humaines du Seigneur. Ainsi, saint Basile souligne que l’incarnation n’est pas une chose imaginaire mais que « le Seigneur a pris sur Lui les passions de la nature ».[37] Saint Jean Chrysostome propose un exemple : « S’Il n’avait pas eu notre nature, Il n’aurait jamais été en proie à la douleur ».[38] Saint Ambroise affirme : « Puisqu’Il a pris une âme, Il a pris les passions de l’âme ».[39] Et saint Augustin présente les affections humaines comme une réalité qui, une fois assumée par le Christ, n’est plus étrangère à la vie de la grâce : « Ce qui affecte la faiblesse humaine, comme la chair même de l’humaine faiblesse ainsi que la mort de la chair humaine, le Seigneur Jésus l’a pris non par une nécessité de sa condition, mais par sa volonté de miséricorde […] afin que, s’il arrive  à quelqu’un d’être affligé et de souffrir au milieux des tentations humaines, il ne se croie pas pour autant étranger à sa grâce ».[40] Enfin, saint Jean Damascène considère l’expérience affective réelle du Christ dans son humanité comme un signe qu’Il a assumé notre nature dans sa totalité et non partiellement, afin de la racheter et de la transformer entièrement. Le Christ a donc assumé tous les éléments qui composent la nature humaine, afin que tous soient sanctifiés.[41]

63. Il vaut la peine d’inclure ici la réflexion d’un théologien qui reconnaît qu’ « en raison de l’influence de la pensée grecque, la théologie a longtemps relégué le corps et les sentiments dans le monde du pré-humain, du sous-humain ou tentateur du véritable humain. Mais ce que la théologie n’a pas résolu en théorie a été résolu dans la pratique par la spiritualité. Celle-ci et la religiosité populaire ont maintenu vivante la relation avec les aspects somatiques, psychologiques et historiques de Jésus. Les Chemins de Croix, la dévotion aux plaies, la spiritualité du précieux sang, la dévotion au Cœur de Jésus, les pratiques eucharistiques [...]. Tout cela a suppléé aux lacunes de la théologie en nourrissant l’imagination et le cœur, l’amour et la tendresse pour le Christ, l’espérance et la mémoire, le désir et la nostalgie. La raison et la logique ont pris d’autres chemins ».[42]

Un triple amour

64. Nous n’en restons pas cependant aux seuls sentiments humains, aussi beaux et émouvants soient-ils. En contemplant le Cœur du Christ, nous reconnaissons que dans ses sains et nobles sentiments, dans sa tendresse, dans le tressaillement de son affection humaine, toute la vérité de son amour divin et infini se manifeste. Benoît XVI l’a exprimé ainsi : « De l’horizon infini de son amour, Dieu a voulu entrer dans les limites de l’histoire et de la condition humaine, prenant un corps et un cœur ; si bien que nous pouvons contempler et rencontrer l’infini dans le fini, le Mystère invisible et ineffable dans le Cœur humain de Jésus, le Nazaréen ».[43]

65. Dans l’image du Cœur du Seigneur un triple amour est en effet représenté et nous éblouit. Tout d’abord, l’amour divin infini qui se trouve dans le Christ. Mais nous pensons aussi à la dimension spirituelle de l’humanité du Seigneur. De ce point de vue, le cœur est « le symbole de cette ardente charité qui, infuse dans le Christ, anime sa volonté humaine ». Enfin, il est « le symbole de son amour sensible ».[44]

66. Ces trois amours ne sont pas des facultés séparées fonctionnant de manière parallèle ou sans lien, mais elles agissent et s’expriment ensemble en un flux constant de vie : « À la lumière de la foi, par laquelle nous croyons que les deux natures, humaine et divine, sont unies dans la personne du Christ, notre esprit est rendu capable de concevoir les liens très étroits qui existent entre l’amour sensible du cœur physique de Jésus et son double amour spirituel, l’humain et le divin ».[45]

67. C’est pourquoi, en entrant dans le Cœur du Christ, nous nous sentons aimés par un cœur humain, plein d’affections et de sentiments comme le nôtre. Sa volonté humaine veut nous aimer librement, et cette volonté spirituelle est pleinement illuminée par la grâce et la charité. Lorsque nous atteignons les profondeurs de ce Cœur, nous sommes inondés par la gloire incommensurable de son amour infini de Fils éternel que nous ne pouvons plus séparer de son amour humain. C’est précisément dans son amour humain, et non pas en nous en éloignant, que nous trouvons son amour divin : nous trouvons « l’infini dans le fini ».[46]

68. L’Église enseigne de manière constante et définitive que l’adoration que nous rendons à sa personne est unique et englobe inséparablement sa nature divine et sa nature humaine. Depuis les temps anciens, elle a enseigné que nous devons « adorer un seul et même Christ, Fils de Dieu et Fils d’homme, de deux natures et en deux natures inséparables et indivisées » ;[47] et cela d’ « une seule adoration [… ] selon que le Verbe s’est fait chair ».[48] Le Christ n’est en aucune manière adoré en deux natures, à partir de quoi seraient introduites deux adorations, mais « d’une seule adoration le Dieu Verbe incarné avec sa propre chair » est adoré.[49]

69. Saint Jean de la Croix exprime que, dans l’expérience mystique, l’amour incommensurable du Christ ressuscité n’est pas ressenti comme étranger à notre vie. L’infini s’abaisse en quelque sorte pour que, à travers le Cœur ouvert du Christ, nous puissions vivre une rencontre d’amour vraiment réciproque : « Il est croyable qu’un oiseau qui vole terre à terre prenne la haute Aigle royale, si [celle-ci] descend en bas, voulant être prise ».[50] Et il explique que, « voyant l’Épouse navrée de son amour, Il accourt à sa plainte, étant aussi blessé de son amour, parce qu’en matière de personnes éprises d’amour, la blessure de l’une est commune à l’autre et ils éprouvent à eux deux une commune souffrance ».[51] Ce mystique comprend la figure du côté blessé du Christ comme un appel à la pleine union avec le Seigneur. Il est le cerf blessé du fait que nous ne nous sommes pas encore laissés toucher par son amour. Il descend aux cours d’eau pour étancher sa soif et trouve le réconfort chaque fois que nous nous tournons vers lui :

« Reviens, colombe,

Car sur le sommet des monts

Apparaît le cerf blessé,

Savourant la brise fraîche de ton vol ».[52]

Perspectives trinitaires

70. La dévotion au Cœur de Jésus est nettement christologique. Il s’agit d’une contemplation directe du Christ qui nous invite à l’union avec Lui. Cela est légitime si nous gardons à l’esprit ce que demande la Lettre aux Hébreux : courir notre course « fixant nos yeux sur Jésus » (12, 2). Cependant, nous ne pouvons pas ignorer que Jésus se présente en même temps comme le chemin vers le Père : « Je suis le chemin [...]. Nul ne vient au Père que par moi » (Jn 14, 6). Il veut nous conduire au Père. On comprend pourquoi la prédication de l’Église, et cela dès les origines, ne nous arrête pas à Jésus-Christ, mais nous conduit au Père. C’est Lui qui, en fin de compte, doit être glorifié en tant que plénitude originelle.[53]

71. Attardons-nous, par exemple, sur la Lettre aux Éphésiens où nous lisons avec force et clarté comment notre adoration s’adresse au Père : « Je fléchis les genoux en présence du Père » (Ep 3, 14). « Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (Ep 4, 6). « En tout temps et à tout propos, rendez grâces à Dieu le Père » (Ep 5, 20). Le Père est celui « pour qui nous sommes faits » (1 Co 8, 6). C’est pourquoi saint Jean-Paul II déclare que « toute la vie chrétienne est comme un grand pèlerinage vers la maison du Père ».[54] Saint Ignace d’Antioche fait l’expérience de cela sur le chemin du martyre : « En moi une eau vive murmure et dit au dedans de moi : Viens vers le Père ».[55]

72. Le Père est avant tout le Père de Jésus-Christ : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ » (Ep 1, 3). Il est « le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père le la gloire » (Ep 1, 17). Lorsque le Fils se fait homme, tous les désirs et les aspirations de son cœur humain se tournent vers le Père. Observant comment le Christ se rapportait au Père, nous remarquons la fascination de son cœur humain, son orientation parfaite et constante vers le Père.[56] Sa vie sur cette terre a consisté en un parcours où il a ressenti, dans son cœur d’homme, un appel incessant à aller vers le Père.[57]

73. Nous savons qu’Il s’adressait au Père avec le mot araméen “Abba”, c’est-à-dire “papa”. À l’époque, certains furent gênés par cette familiarité (cf. Jn 5, 18). C’est l’expression que Jésus a utilisée pour communiquer avec le Père lorsque l’angoisse de la mort est apparue : « Abba ! tout t’est possible, éloigne de moi cette coupe, pourtant pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Mc 14, 36). Il s’est toujours reconnu aimé du Père : « Tu m’as aimé avant la fondation du monde » (Jn 17, 24). Et Jésus, dans son cœur d’homme, s’extasiait en entendant le Père lui dire : « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Mc 1, 11).

74. Le quatrième Évangile dit que le Fils éternel est tourné vers « le sein du Père » (1, 18) depuis toujours.[58] Saint Irénée affirme que « le Fils de Dieu existe depuis toujours auprès du Père ».[59] Et Origène soutient que le Fils demeure « dans la contemplation ininterrompue de l’abysse paternelle ».[60] C’est pourquoi, lorsque le Fils se fait homme, il passe des nuits entières à converser avec le Père bien-aimé sur le sommet de la montagne (cf. Lc 6, 12). Il dit : « Je dois être dans la maison de mon Père ? » (Lc 2, 49). Regardons sa louange : « Il tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et dit : “Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre” » (Lc 10, 21). Et ses dernières paroles, pleines de confiance, sont : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46).

75. Tournons maintenant notre regard vers l’Esprit Saint qui remplit le Cœur du Christ et brûle en lui. Comme l’a dit saint Jean-Paul II, le Cœur du Christ est « le chef-d’œuvre de l’Esprit Saint ».[61] Il ne s’agit pas seulement du passé, car « dans le Cœur du Christ, est vivante l’action de l’Esprit Saint, auquel Jésus a attribué l’inspiration de sa mission (cf. Lc 4, 18 ; Is 61, 1) et dont il avait promis l’envoi lors de la dernière Cène. C’est l’Esprit qui aide à saisir la richesse du signe du côté transpercé du Christ, dont l’Église est issue (cf. Const. Sacrosanctum Concilium, n. 5) ».[62] En définitive, « seul l’Esprit Saint peut ouvrir devant nous cette plénitude de “l’homme intérieur” qui se trouve dans le Cœur du Christ. Lui seul peut introduire progressivement la force de cette plénitude dans nos cœurs humains ».[63]

76. Essayant de pénétrer le mystère de l’action de l’Esprit, nous voyons qu’Il gémit en nous et dit Abba : « La preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4, 6). En effet, « l’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » (Rm 8, 16). L’action de l’Esprit Saint dans le cœur humain du Christ provoque en permanence cette attirance vers le Père. Et lorsqu’il nous unit aux sentiments du Christ par la grâce, il nous fait participer à la relation de celui-ci avec le Père, il est « un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! » (Rm 8, 15).

77. Notre relation avec le Cœur du Christ se transforme alors sous l’impulsion de l’Esprit qui nous oriente vers le Père, source paternelle de la vie et origine suprême de la grâce. Le Christ ne désire pas que nous nous arrêtions à Lui. L’amour du Christ est une « révélation de la miséricorde du Père ».[64] Son désir est que, poussés par l’Esprit qui jaillit de son cœur, « avec Lui et en Lui » nous allions vers le Père. La gloire est adressée au Père « par » le Christ,[65] « avec » le Christ[66] et « dans » le Christ.[67] Saint Jean-Paul II a enseigné que « le Cœur du Sauveur nous invite à remonter à l’amour du Père qui est la source de tout amour authentique ».[68] C’est précisément cela que l’Esprit Saint cherche à cultiver dans nos cœurs en venant à nous à partir du Cœur du Christ. C’est pourquoi la liturgie, sous l’action vivifiante de l’Esprit, se tourne toujours vers le Père à partir du cœur ressuscité du Christ.

Expressions magistérielles récentes

78. Le Cœur du Christ est présent de différentes manières dans l’histoire de la spiritualité chrétienne. Dans la Bible et dans les premiers siècles de l’Église, il apparait sous la forme du côté blessé du Seigneur, comme source de grâce ou bien comme appel à une rencontre intime d’amour. Il ne cesse de réapparaître dans le témoignage de nombreux saints jusqu’à nos jours. Au cours des derniers siècles, cette spiritualité a pris la forme d’un véritable culte du Cœur du Seigneur.

79. Nombre de mes prédécesseurs ont évoqué le Cœur du Christ et, de manières très diverses, nous ont invités à nous unir à Lui. À la fin du XIXème siècle, Léon XIII nous invita à nous consacrer à Lui, unissant dans sa proposition l’invitation à l’union avec le Christ à l’admiration de la splendeur de son amour infini.[69] Une trentaine d’années plus tard, Pie XI présenta cette dévotion comme une synthèse de l’expérience de foi chrétienne.[70] Pie XII affirma ensuite que le culte du Sacré-Cœur exprime de manière excellente, en une sublime synthèse, notre culte envers Jésus-Christ.[71]

80. Plus récemment, saint Jean-Paul II a présenté le développement de ce culte au cours des siècles passés comme une réponse à la croissance de formes de spiritualités rigoristes et désincarnées qui oubliaient la miséricorde du Seigneur, mais aussi comme un appel actuel à un monde qui cherche à se construire sans Dieu : « La dévotion au Sacré-Cœur, telle qu’elle s’est développée en Europe il y a deux siècles, sous l’impulsion des expériences mystiques de sainte Marguerite-Marie Alacoque, a été une réponse au rigorisme janséniste qui avait fini par ignorer la miséricorde infinie de Dieu. [...] L’homme de l’an 2000 a besoin du Cœur du Christ pour connaître Dieu et se connaître lui-même ; il en a besoin pour construire la civilisation de l’amour ».[72]

81. Benoît XVI a invité à reconnaître le Cœur du Christ comme une présence intime et quotidienne dans la vie de chacun : « Toute personne a besoin d’avoir un “centre” dans sa vie, une source de vérité et de bonté à laquelle puiser pour affronter les diverses situations et difficultés de la vie quotidienne. Chacun de nous, lorsqu’il fait silence, a besoin d’entendre non seulement les battements de son propre cœur, mais aussi, plus profondément, les battements d’une présence sûre, perceptible avec les sens de la foi et pourtant bien plus réelle : la présence du Christ, cœur du monde ».[73]

Approfondissement et actualité

82. L’image symbolique et expressive du Cœur du Christ n’est pas l’unique moyen que nous donne l’Esprit Saint pour rencontrer l’amour du Christ ; et elle aura toujours besoin d’être enrichie, éclairée et renouvelée par la méditation, la lecture de l’Évangile et la maturation spirituelle. Pie XII disait déjà que l’Église ne prétend pas que « dans le Cœur de Jésus l’on doive voir et adorer l’image dite formelle, c’est‑à‑dire le signe parfait et absolu de son amour divin, puisqu’il n’est pas possible d’en représenter l’essence intime d’une façon adéquate par une quelconque image créée ».[74]

83. La dévotion au Cœur du Christ est essentielle à notre vie chrétienne car elle signifie notre ouverture, pleine de foi et d’adoration, au mystère de l’amour divin et humain du Seigneur, au point que nous pouvons affirmer une fois de plus que le Sacré-Cœur est une synthèse de l’Évangile.[75] Nous devons rappeler que les croyants ne sont pas obligés de croire, comme s’il s’agissait de la Parole de Dieu, aux visions ou manifestations mystiques racontées par les saints qui ont proposé avec passion la dévotion au Cœur du Christ.[76] Ce sont de beaux stimuli qui peuvent motiver et faire beaucoup de bien, mais personne ne doit se sentir obligé de les suivre s’il ne trouve pas qu’ils l’aident à avancer dans sa vie spirituelle. Cependant, il est important de garder à l’esprit, comme Pie XII l’a déclaré, que l’on ne peut pas dire que ce culte « viendrait d’une révélation privée ».[77]

84. La proposition de la Communion eucharistique des premiers vendredis du mois, par exemple, était un message fort à une époque où de nombreuses personnes cessaient de recevoir la Communion parce qu’elles n’avaient pas confiance dans le pardon divin, dans sa miséricorde, et considéraient la Communion comme une sorte de prix pour les parfaits. Dans ce contexte janséniste, la promotion de cette pratique a fait beaucoup de bien, en aidant à reconnaître dans l’Eucharistie l’amour proche et gratuit du Cœur du Christ qui nous appelle à l’union avec Lui. Elle ferait beaucoup de bien également aujourd’hui pour une autre raison : parce qu’au milieu du tourbillon du monde actuel et de notre obsession pour les loisirs, la consommation et le divertissement, les téléphones et les réseaux sociaux, nous oublions de nourrir notre vie de la force de l’Eucharistie.

85. De même, personne ne doit se sentir obligé de faire une heure d’adoration le jeudi. Mais comment ne pas la recommander ? Lorsque quelqu’un vit cette pratique avec ferveur, avec de nombreux frères, et qu’il trouve dans l’Eucharistie l’amour du Cœur du Christ, « il adore avec l’Église le symbole et comme l’empreinte de la charité divine qui a été jusqu’à aimer le genre humain avec le Cœur du Verbe Incarné ».[78]

86. Cela était difficile à comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion nous éloigne de la pure adoration du Dieu du Très-Haut. Pie XII qualifia de « faux mysticisme »[79] cette attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle ecclésiastique.

87. Plus encore qu’avec le jansénisme, on peut dire que nous sommes confrontés aujourd’hui à une forte avancée de la sécularisation qui aspire à un monde libéré de Dieu. En outre, diverses formes de religiosité privées de références à une relation personnelle avec un Dieu d’amour se multiplient dans la société, et sont de nouvelles manifestations d’une “spiritualité sans chair”. Cela est vrai. Mais je dois souligner qu’un dualisme janséniste préjudiciable renaît sous de nouveaux traits au sein même de l’Église. Il a acquis une nouvelle force au cours des dernières décennies. Il est une manifestation de ce gnosticisme qui ignorait la vérité du “salut de la chair” et qui fut dommageable à la spiritualité des premiers siècles de la foi chrétienne. C’est pourquoi je tourne mon regard vers le Cœur du Christ et je vous invite à renouveler votre dévotion. J’espère qu’elle pourra aussi toucher la sensibilité contemporaine et nous aider à faire face à ces dualismes anciens et nouveaux auxquels elle offre une réponse adéquate.

88. Je voudrais ajouter que le Cœur du Christ nous libère en même temps d’un autre dualisme : celui des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l’on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. Il s’agit d’une autre forme de transcendantalisme trompeur, tout aussi désincarné.

89. Ce sont ces maladies très actuelles, dont nous ne ressentons même pas le désir de guérir lorsque nous nous sommes laissés piéger, qui me poussent à proposer à toute l’Église un nouveau développement sur l’amour du Christ représenté dans son saint Cœur. Là nous rencontrons la totalité de l’Évangile, là se résume la vérité à laquelle nous croyons, là se trouve ce que nous adorons et cherchons dans la foi, là se trouve ce dont nous avons le plus besoin.

90. Devant le Cœur du Christ il est possible de revenir à la synthèse incarnée de l’Évangile et de vivre ce que je proposais il y a peu, en rappelant la chère sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : « L’attitude la plus appropriée est de placer la confiance du cœur hors de soi-même, en la miséricorde infinie d’un Dieu qui aime sans limites et qui a tout donné sur la Croix de Jésus-Christ ».[80] Elle a vécu cela intensément parce qu’elle avait découvert dans le cœur du Christ que Dieu est amour : « À moi Il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines ».[81] C’est pourquoi la prière la plus populaire, adressée comme une flèche au Cœur du Christ, dit simplement : « J’ai confiance en toi ».[82] Aucune autre parole n’est nécessaire.

91. Dans les chapitres suivants, nous allons souligner deux aspects fondamentaux que la dévotion au Sacré-Cœur doit réunir aujourd’hui pour continuer à nous nourrir et à nous rapprocher de l’Évangile : l’expérience spirituelle personnelle et l’engagement communautaire et missionnaire.

IV

L’AMOUR QUI DONNE À BOIRE

92. Revenons aux Saintes Écritures, les textes inspirés qui sont le lieu principal où nous trouvons la Révélation. En elles et dans la Tradition vivante de l’Église, se découvre ce que le Seigneur lui-même a voulu nous dire tout au long de l’histoire. À la lecture des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, nous recueillerons quelques-uns des effets de cette Parole au cours du long cheminement spirituel du Peuple de Dieu.

Soif de l’amour de Dieu

93. Selon la Bible, une abondance d’eau vivifiante était annoncée au peuple errant dans le désert et attendant la délivrance : « Dans l’allégresse vous puiserez de l’eau aux sources du salut » (Is 12, 3). Les annonces messianiques prennent la forme d’une source d’eau purificatrice : « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés [...]. Je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36, 25-26). Cette eau redonnera au peuple une plénitude d’existence, telle une source qui jaillira du Temple et répandra la vie et la santé sur son passage : « Voici qu’au bord du torrent il y avait une quantité d’arbres de chaque côté [...]. Partout où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra [...] car là où cette eau pénètre, elle assainit, et la vie se développe partout où va le torrent » (Ez 47, 7. 9).

94. La fête juive des Tentes (Souccot), qui commémorait les quarante années passées dans le désert, avait progressivement pris le symbole de l’eau comme élément central, avec le rite d’une offrande d’eau chaque matin qui devenait très solennel le dernier jour de la fête : une grande procession se rendait au Temple où, à la fin, on faisait sept fois le tour de l’autel, et l’eau était offerte à Dieu au milieu d’un grand vacarme.[83]

95. L’annonce des temps messianiques se présentait comme une source ouverte pour le peuple : « Je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé [...]. En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte pour David et pour les habitants de Jérusalem, pour laver péché et souillure » (Za 12, 10 ; 13, 1).

96. Un côté transpercé, une fontaine ouverte, un esprit de grâce et de prière. Les premiers chrétiens ont inévitablement vu cette promesse s’accomplir dans le côté transpercé du Christ, la source d’où jaillit la vie nouvelle. En parcourant l’Évangile de Jean, nous voyons comment la prophétie s’est accomplie dans le Christ. Nous contemplons son côté ouvert d’où jaillit l’eau de l’Esprit : « Un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19, 34). L’évangéliste ajoute ensuite : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Il reprend ainsi l’annonce du prophète qui promettait au peuple une source ouverte à Jérusalem lorsqu’ils regarderaient celui qu’ils auraient transpercé (cf. Za 12, 10). La source ouverte, c’est le côté blessé de Jésus-Christ.

97. Nous constatons que l’Évangile situe ce moment sacré précisément « le dernier jour de la fête » des Tentes (Jn 7, 37). Jésus proclame au peuple qui célèbre la grande procession : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive. […] De son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 37.38). C’est pour cela que son « heure » devait venir, car Jésus « n’avait pas encore été glorifié » (Jn 7, 39). Tout s’accomplira dans la fontaine débordante de la Croix.

98. Dans le livre de l’Apocalypse, le Transpercé réapparaît : « Chacun le verra, même ceux qui l’ont transpercé » (Ap 1, 7) ; tout comme la fontaine ouverte : « Que l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie, gratuitement » (Ap 22, 17).

99. Le côté transpercé est en même temps le siège de l’amour, un amour que Dieu a déclaré à son peuple avec des paroles si variées qu’il vaut la peine de les rappeler :

« Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t’aime » (Is 43, 4).

« Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas. Vois, je t’ai gravée sur les paumes de mes mains » (Is 49, 15-16).

« Les montagnes peuvent s’écarter et les collines chanceler, mon amour ne s’écartera pas de toi, mon alliance de paix ne chancellera pas » (Is 54, 10).

« D’un amour éternel je t’ai aimée, aussi t’ai-je maintenu ma faveur » (Jr 31, 3).

« Ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur ! Il exultera pour toi de joie, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie » (So 3, 17).

100. Le prophète Osée va jusqu’à parler du cœur de Dieu qui « les menait avec des attaches humaines, avec des liens d’amour » (Os 11, 4). À cause de cet amour méprisé, il pouvait dire : « Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent » (Os 11, 8). Mais la miséricorde l’emportera toujours (cf. Os 11, 9), elle atteindra sa plus haute expression dans le Christ, parole ultime d’amour.

101. Dans le Cœur transpercé du Christ se concentrent, inscrites dans la chair, toutes les expressions d’amour des Écritures. Il ne s’agit pas d’un amour simplement déclaré, mais son côté ouvert est source de vie pour celui qui est aimé, il est cette fontaine qui étanche la soif de son peuple. Comme l’a enseigné saint Jean-Paul II, « les éléments essentiels de cette dévotion appartiennent aussi de façon permanente à la spiritualité de l’Église au long de son histoire ; car, dès le début, l’Église a porté son regard vers le Cœur du Christ transpercé sur la croix ».[84]

Résonances de la Parole dans l’histoire

102. Voyons quelques-uns des effets que cette Parole de Dieu a produits dans l’histoire de la foi chrétienne. Plusieurs Pères de l’Église, particulièrement en Asie Mineure, ont mentionné la blessure du côté de Jésus comme l’origine de l’eau de l’Esprit : la Parole, sa grâce et les sacrements qui la communiquent. La force des martyrs provient de la « source de vie qui jaillit du corps du Christ »[85] ou, comme le traduit Rufin, des « sources célestes et éternelles qui sortent du sein du Christ ».[86] Nous, les croyants qui sommes renés de l’Esprit, nous venons de cette grotte du rocher : « Nous avons été extraits du sein du Christ ».[87] Son côté blessé, que nous interprétons comme son cœur, est rempli de l’Esprit Saint, et des fleuves d’eau vive proviennent de lui : « La source de l’Esprit saint tout entier demeure dans le Christ ».[88] Mais l’Esprit que nous recevons ne nous éloigne pas du Seigneur ressuscité, au contraire il nous remplit de Lui, car en buvant l’Esprit, nous buvons le Christ lui-même : « Bois le Christ car Il est le rocher d’où l’eau a coulé, bois le Christ car Il est la source de la vie ; bois le Christ car Il est le fleuve dont le jaillissement réjouit la cité de Dieu ; bois le Christ car Il est la paix ; bois le Christ car de son sein coulent des fleuves d’eau vive ».[89]

103. Saint Augustin a ouvert la voie à la dévotion au Sacré-Cœur en tant que lieu de rencontre personnelle avec le Seigneur. Pour lui, la poitrine du Christ n’est pas seulement la source de la grâce et des sacrements, mais elle la personnalise en la présentant comme symbole de l’union intime avec Lui, comme lieu de la rencontre d’amour. Là se trouve l’origine de la sagesse la plus précieuse qui consiste à Le connaître. Augustin écrit en effet que Jean, le bien-aimé, lorsqu’il pencha la tête sur la poitrine de Jésus, s’approcha du lieu secret de la sagesse.[90] Il ne s’agit pas de la simple contemplation intellectuelle d’une vérité théologique. Saint Jérôme explique qu’une personne capable de contempler « ne jouit pas de la beauté des cours d’eau, mais boit l’eau vive du côté du Seigneur ».[91]

104. Saint Bernard reprend le symbolisme du côté transpercé du Seigneur en le comprenant explicitement comme une révélation et un don de l’amour de son Cœur. À travers la blessure, le grand mystère de l’amour et de la miséricorde devient accessible et nous pouvons le faire nôtre : « Je prends avec confiance ce qui me manque dans les entrailles du Seigneur, car elles débordent de miséricorde et ne manquent pas d’ouverture par où jaillir. Ils lui ont percé les mains et les pieds, et ils lui ont perforé le côté. À travers ces fissures, je peux boire le miel du rocher et l’huile de la pierre la plus dure, autrement dit goûter et voir comme est bon le Seigneur [...]. Le fer a transpercé son âme, et son cœur s’est fait proche : il n’est plus incapable de comprendre mes faiblesses. Les blessures ouvertes dans son corps nous révèlent le secret de son cœur, elles nous font contempler le grand mystère de la compassion ».[92]

105. Ceci réapparaît de manière particulière chez Guillaume de Saint-Thierry qui nous invite à entrer dans le Cœur de Jésus nous nourrissant à son sein.[93] Ce n’est pas surprenant si l’on se souvient que, pour cet auteur, « l’art des arts c’est l’art de l’amour […]. L’amour est suscité par le Créateur de la nature. L’amour est une force de l’âme qui, comme par un poids naturel, la conduit à sa place et à son but ».[94] Le cœur du Christ est le lieu où l’amour règne en plénitude : « Seigneur, où conduis-tu ceux que tu embrasses et serres dans tes bras, sinon à ton cœur ? Ton cœur, Jésus, est la douce manne de ta divinité (cf. He 9, 4) que tu conserves en toi dans le vase d’or de ton âme qui dépasse toute connaissance. Heureux ceux qui y sont portés par ton étreinte. Heureux ceux qui, plongés dans ces profondeurs, ont été cachés par Toi dans le secret de ton cœur ».[95]

106. Saint Bonaventure réunit les deux lignes spirituelles autour du Cœur du Christ.  Tout en le présentant comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle d’amour.

107. D’un côté, il nous aide à reconnaître la beauté de la grâce et des sacrements qui jaillissent de cette source de vie qu’est le côté blessé du Seigneur : « Afin que, du côté du Christ endormi sur la Croix, l’Église soit formée et que s’accomplisse l’Écriture qui dit : “Ils verront Celui qu’ils ont transpercé”, il fut accordé, par une disposition divine, qu’un des soldats ouvrit de sa lance ce côté sacré et le perfora entièrement, au point de faire couler le sang et l’eau en répandant le prix de notre salut qui, depuis la source – le secret de son cœur –, donnerait à profusion leur puissance aux sacrements de l’Église pour conférer la vie de la grâce, et serait désormais, pour ceux qui vivraient dans le Christ, une coupe [puisée à] la source vive qui jaillit pour la vie éternelle ».[96]

108. Il nous invite ensuite à faire un pas de plus afin que l’accès à la grâce ne devienne pas une chose magique, ni une sorte d’émanation néo-platonicienne, mais une relation directe avec le Christ en demeurant dans son cœur. En effet, celui qui boit est un ami du Christ, un cœur qui aime : « Lève-toi donc, âme amie du Christ et sois la colombe qui fait son nid dans le mur d’une grotte, sois le moineau qui a trouvé une maison et ne cesse de la garder, sois la tourterelle qui cache les petits de son chaste amour dans cette ouverture sacrée ».[97]

La diffusion de la dévotion au Cœur du Christ

109. Le côté blessé, où réside l’amour du Christ et d’où jaillit la vie de la grâce a, peu à peu, pris la forme du cœur, surtout dans la vie monastique. Nous savons que le culte du Cœur du Christ ne s’est pas manifesté de la même manière au cours de l’histoire et que les aspects développés à l’époque moderne, liés à diverses expériences spirituelles, ne peuvent être extrapolés des formes médiévales et encore moins des formes bibliques dans lesquelles nous pouvons entrevoir des germes de ce culte. Cependant, l’Église aujourd’hui ne néglige rien du bien que l’Esprit Saint nous a donné au cours des siècles, sachant qu’il sera toujours possible de reconnaître un sens plus clair et plus complet à certains détails de la dévotion, ou d’en comprendre et d’en dévoiler de nouveaux aspects.

110. Plusieurs saintes femmes ont raconté des expériences de rencontre avec le Christ, caractérisées par le repos dans le Cœur du Seigneur, source de vie et de paix intérieure. C’est le cas de sainte Lutgarde, de sainte Mechtilde de Hackeborn, de sainte Angèle de Foligno, de Julienne de Norwich, entre autres. Sainte Gertrude de Helfta, moniale cistercienne, a raconté un moment de prière au cours duquel elle posa sa tête sur le Cœur du Christ et entendit ses battements. Dans un dialogue avec saint Jean l’Évangéliste, elle lui demande pourquoi il n’a pas parlé dans son Évangile de ce qu’il avait ressenti lorsqu’il avait fait la même expérience. Gertrude conclut que « la douce éloquence de ces battements est réservée aux temps actuels, afin qu’en les écoutants le monde, déjà vieilli et engourdi dans son amour envers Dieu, puisse retrouver sa ferveur ».[98] Pourrions-nous y voir une affirmation pour notre époque, un appel à reconnaître combien ce monde est devenu “vieux” et a besoin de percevoir le message toujours nouveau de l’amour du Christ ? Sainte Gertrude et sainte Mechtilde ont été considérées comme les « confidentes les plus intimes du Sacré-Cœur ».[99]

111. Les chartreux, encouragés surtout par Ludolphe de Saxe, ont trouvé dans la dévotion au Sacré-Cœur un moyen de remplir d’affection et de proximité leur relation avec Jésus-Christ. Celui qui entre par la blessure de son cœur est enflammé d’affection. Sainte Catherine de Sienne écrivait qu’on ne peut être témoin des souffrances endurées par le Seigneur, mais le Cœur ouvert du Christ nous offre la possibilité d’une rencontre réelle et personnelle avec beaucoup d’amour : « J’ai voulu que vous voyiez le secret de mon cœur, en vous le montrant ouvert afin que vous voyiez que je vous aimais plus que ne pouvait le montrer la souffrance finie ».[100]

112. La dévotion au Cœur du Christ a progressivement dépassé la vie monastique et a rempli la spiritualité de saints maîtres, prédicateurs et fondateurs de congrégations religieuses qui l’ont répandue dans les régions les plus reculées de la terre.[101]

113. L’initiative de saint Jean Eudes est particulièrement intéressante. « Après avoir mené avec ses missionnaires, à Rennes, une mission très fervente, il réussit à faire approuver par l’évêque de ce diocèse la célébration de la fête du Cœur adorable de Notre Seigneur Jésus-Christ. C’était la première fois que cette fête était officiellement autorisée dans l’Église. Par la suite, les évêques de Coutances, d’Évreux, de Bayeux, de Lisieux et de Rouen autorisèrent la même fête pour leurs diocèses respectifs entre 1670 et 1671 ». [102]

Saint François de Sales

114. À l’époque moderne, la contribution de saint François de Sales est à souligner. Il a souvent contemplé le Cœur ouvert du Christ qui nous invite à y demeurer dans une relation personnelle d’amour où les mystères de la vie sont éclairés. On peut voir dans la pensée de ce saint Docteur comment, face à une morale rigoriste et à une religiosité de simple observance, le Cœur du Christ se présente comme un appel à la pleine confiance en l’action mystérieuse de sa grâce. Il l’exprime ainsi dans une proposition à la Baronne de Chantal : « Il m’est bien d’avis que nous ne demeurerons plus en nous-mêmes, […] nous nous logerons pour jamais dans le côté percé du Sauveur ; car, sans lui, non seulement nous ne pouvons, mais quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire ».[103]

115. Pour lui, la dévotion est loin de devenir une forme de superstition ou une objectivation indue de la grâce ; elle est une invitation à la relation personnelle où chaque personne se sent unique devant le Christ, prise en compte dans sa réalité irremplaçable, pensée par le Christ et valorisée de manière directe et exclusive : « Ce cœur très adorable et très aimable de notre Maître tout ardent de l’amour qu’Il nous porte, cœur auquel nous verrons tous nos noms inscrits […]. Ce sera un sujet de très grande consolation que nous soyons si chèrement aimés de Notre Seigneur qu’Il nous porte toujours en son cœur ».[104] Ce nom propre écrit dans le Cœur du Christ est la manière dont Saint François de Sales veut symboliser jusqu’à quel point l’amour du Christ pour chacun n’est pas générique ni abstrait, mais personnel, où le croyant se sent valorisé et reconnu pour lui-même : « Que ce Ciel est beau maintenant que le Sauveur y sert de soleil, et la poitrine d’icelui d’une source d’amour de laquelle les bienheureux boivent à souhait ! Chacun se va regarder là-dedans et y voit son nom écrit d’un caractère d’amour que le seul amour peut lire, et que le seul amour a gravé. Dieu, ma chère fille, les nôtres n’y seront-ils pas ? Si seront sans doute ; car bien que notre cœur n’a pas l’amour, il y a néanmoins le désir de l’amour ».[105]

116. Il considère cette expérience comme fondamentale pour une vie spirituelle qui place cette conviction parmi les grandes vérités de la foi : « Oui, ma très chère fille, Il pense en vous ; et non seulement en vous, mais au moindre cheveu de votre tête : c’est un article de foi et n’en faut nullement douter ». [106] La conséquence est que le croyant devient capable de s’abandonner complètement dans le Cœur du Christ où il trouve repos, consolation et force : « Ô Dieu ! Quel bonheur d’être ainsi entre les bras et les mamelles du Sauveur. […] Demeurez ainsi, chère fille ; et comme un autre petit saint Jean, tandis que les autres mangent à la table du Sauveur diverses viandes, reposez et penchez par une toute simple confiance votre tête, votre âme, votre esprit sur la poitrine amoureuse de ce cher Seigneur ».[107] « J’espère que vous serez dans la caverne de la tourterelle et au côté percé de notre cher Sauveur. [...] Que ce Seigneur est bon, ma chère fille, que son cœur est aimable ! Demeurons là en ce saint domicile ».[108]

117. Mais, fidèle à son enseignement sur la sanctification dans la vie ordinaire, il propose que cela soit vécu au milieu des activités, des tâches et des devoirs quotidiens : « Vous me demandez comment les âmes qui sont attirées en l’oraison à cette sainte simplicité et ce parfait abandonnement à Dieu se doivent conduire en toutes leurs actions ? Je réponds que, non seulement en l’oraison, mais en la conduite de toute leur vie, elles doivent marcher invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute leur âme, leurs actions et leurs succès au bon plaisir de Dieu, par un amour de parfaite et très absolue confiance, se délaissant à la merci et au soin de l’amour éternel que la divine Providence a pour elles ».[109]

118. Pour toutes ces raisons, lorsqu’il s’agit de penser à un symbole qui puisse résumer sa proposition de vie spirituelle, il conclut : « J’ai pensé, ma chère Mère, si vous en êtes d’accord, qu’il nous faut prendre pour armes un unique cœur percé de deux flèches enfermé dans une couronne d’épines ».[110]

Une nouvelle déclaration d’amour

119. Les événements de Paray-le-Monial, à la fin du XVIIème siècle, se sont déroulés sous l’influence salutaire de cette spiritualité salésienne. Sainte Marguerite-Marie Alacoque a fait le récit d’importantes apparitions entre la fin de décembre 1673 et juin 1675. De la première grande apparition, ressort essentiellement une déclaration d’amour. Jésus dit : « Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen et qu’il se manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors que je te découvre ».[111]

120. Sainte Marguerite-Marie résume cela avec force et ferveur : « Il me découvrit les merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son Sacré Cœur qu’Il m’avait toujours tenus cachés, jusqu’alors qu’Il me l’ouvrit pour la première fois, mais d’une manière si effective et sensible qu’Il ne me laissa aucun lieu d’en douter ».[112] Dans les déclarations suivantes, la beauté de ce message est réaffirmée : « Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté d’aimer les hommes ». [113]

121. Cette reconnaissance intense de l’amour de Jésus-Christ que sainte Marguerite-Marie nous a transmise nous offre de précieux stimulants pour notre union avec Lui. Cela ne signifie pas que nous nous sentions obligés d’accepter ou d’assumer tous les détails de cette proposition spirituelle, où, comme c’est souvent le cas, l’action divine est mêlée à des éléments humains liés à nos désirs, à nos préoccupations et à nos images intérieures.[114] Il faut toujours la relire à la lumière de l’Évangile et de la riche tradition spirituelle de l’Église, en reconnaissant tout le bien qu’elle a fait à tant de sœurs et de frères. Cela nous permet de reconnaître les dons de l’Esprit Saint dans cette expérience de foi et d’amour. Plus que les détails, le noyau du message qui nous est transmis peut se résumer dans ces mots que sainte Marguerite-Marie a entendus : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ».[115]

122. Cette manifestation est une invitation à grandir dans la rencontre avec le Christ grâce à une confiance sans réserve, jusqu’à atteindre une union pleine et définitive : « Il faut que ce divin Cœur de Jésus soit tellement substitué en la place du nôtre que Lui seul vive et agisse en nous et pour nous ; que sa volonté […] puisse agir absolument sans résistance de notre part ; et enfin que ses affections, ses pensées et ses désirs soient en la place des nôtres, mais surtout son amour, qui s’aimera Lui-même en nous et pour nous. Et ainsi, cet aimable Cœur nous étant tout en toute chose, nous pourrons dire avec saint Paul que nous ne vivons plus, mais que c’est Lui qui vit en nous ».[116]

123. Elle présente dans le premier message reçu cette expérience de manière plus personnelle, plus concrète, pleine de feu et de tendresse : « Il me demanda mon cœur, lequel je le suppliai de prendre, ce qu’Il fit, et le mit dans le sien adorable, dans lequel Il me le fit voir comme un petit atome qui se consommait dans cette ardente fournaise ».[117]

124. À un autre moment, nous constatons que celui qui se donne à nous c’est le Christ ressuscité, plein de gloire, de vie et de lumière. Certes, Il parle ailleurs des souffrances endurées pour nous et de l’ingratitude qu’Il reçoit ; mais ici ce ne sont ni le sang ni les blessures souffrantes qui ressortent, mais la lumière et le feu du Vivant. Les plaies de la Passion ne disparaissent pas mais sont transfigurées. Le Mystère pascal est ainsi exprimé dans son intégralité : « Et une fois, entre les autres, que le saint Sacrement était exposé, […] Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi, tout éclatant de gloire avec ses cinq plaies brillantes comme cinq soleils, et de cette sacrée humanité sortaient des flammes de toutes parts, mais surtout de son adorable poitrine qui ressemblait une fournaise; et s’étant ouverte, me découvrit son tout aimant et tout aimable Cœur qui était la vive source de ces flammes. Ce fut alors qu’Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté, d’aimer les hommes, dont Il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances ».[118]

Saint Claude de La Colombière

125. Lorsque saint Claude de La Colombière prend connaissance des expériences de sainte Marguerite-Marie, il s’en fait immédiatement le défenseur et le diffuseur. Il a joué un rôle particulier dans la compréhension et la diffusion de cette dévotion au Sacré-Cœur, mais aussi dans son interprétation à la lumière de l’Évangile.

126. Certaines expressions de sainte Marguerite-Marie mal comprises pourraient conduire à une trop grande confiance dans les sacrifices et offrandes personnels. Or, saint Claude montre que la contemplation du Cœur du Christ, si elle est authentique, ne provoque pas de complaisance en soi-même ni de vaine gloire dans les expériences ou les efforts humains, mais un abandon indescriptible dans le Christ qui remplit la vie de paix, de sécurité et de résolutions. Cette confiance absolue, il l’a très bien exprimée dans une célèbre prière :

« Pour moi, mon Dieu je suis si persuadé que vous veillez sur ceux qui espèrent en vous, je suis si persuadé qu’on ne peut manquer de rien quand on attend tout de vous, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur vous de toutes mes inquiétudes […]. Jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher […]. Que les uns attendent leur bonheur ou de leurs richesses, ou de leurs talents ; que les autres s’appuient ou sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières, […] pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même : cette confiance ne trompe jamais personne […]. Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de vous, ô mon Dieu, que je l’espère ». [119]

127. Saint Claude écrit une note en janvier 1677, précédée de quelques lignes évoquant la certitude qu’il a de sa mission : « J’ai reconnu que Dieu voulait que je le servisse en procurant l’accomplissement de ses désirs touchant la dévotion qu’Il a suggérée à une personne à qui Il se communique fort confidemment, et pour laquelle Il a bien voulu se servir de ma faiblesse ».[120]

128. Il est important de noter comment, dans la spiritualité de La Colombière, se trouve une belle synthèse entre la riche et magnifique expérience spirituelle de sainte Marguerite-Marie et la contemplation très concrète des Exercices ignatiens. Il écrit au début de la troisième semaine du mois des Exercices : « Deux choses m’ont extrêmement touché. La première, c’est la disposition avec laquelle Jésus-Christ alla au-devant de ceux qui le cherchaient […]. Son cœur est plongé dans une horrible amertume, toutes les passions sont déchainées au-dedans de lui, toute la nature est déconcertée, et à travers tous ces désordres, toutes ces tentations, le cœur se porte droit à Dieu, ne fait pas un faux pas, ne balance point à prendre le parti que la vertu et la plus haute vertu lui suggère […]. La seconde chose, c’est la disposition de ce même cœur à l’égard de Judas qui le trahissait, des Apôtres qui l’abandonnaient lâchement, des Prêtres et des autres qui étaient les auteurs de la persécution qu’il souffrait ; il est certain que tout cela ne fut pas capable d’exciter en lui le moindre ressentiment de haine ou d’indignation […]. Je me représente donc ce cœur sans fiel, sans aigreur, plein d’une véritable tendresse pour ses ennemis ».[121]

Saint Charles de Foucauld et Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

129. Saint Charles de Foucauld et Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ont involontairement remodelé certains éléments de la dévotion au Cœur du Christ, nous aidant à la comprendre, toujours plus fidèlement à l’Évangile. Voyons comment cette dévotion s’est exprimée dans leur vie. Dans le prochain chapitre, nous reviendrons à eux pour montrer l’originalité de la dimension missionnaire qu’ils ont tous deux développée de manière différente.

Iesus Caritas

130. Saint Charles de Foucauld visitait un jour à Louÿe le Saint Sacrement avec sa cousine, Madame de Bondy, et elle lui montra une image du Sacré-Cœur.[122] Cette cousine  joua un rôle déterminant dans la conversion de Charles, comme il le reconnaît lui-même : « Puisque le Bon Dieu vous a fait le premier instrument de ses miséricordes à mon égard, c’est de vous qu’elles découlent toutes : si vous ne m’aviez pas converti, ramené à Jésus, appris petit à petit, comme mot à mot tout ce qui est pieux et bon, en serais-je là aujourd’hui? ».[123] Mais ce qu’elle éveilla en lui, c’est la conscience brûlante de l’amour de Jésus. Tout était là, c’était le plus important. Et cela se focalisa en particulier sur la dévotion au Cœur du Christ où il découvrit une miséricorde sans limites : « Espérons dans la miséricorde infinie de Celui dont vous m’avez fait connaître le Sacré-Cœur ».[124]

131. Ensuite, son directeur spirituel, l’abbé Henri Huvelin, l’aida à approfondir ce précieux mystère : « Ce cœur béni dont vous m’avez parlé si souvent ».[125] Le 6 juin 1889, Charles se consacra au Sacré-Cœur où il trouva un amour très tendre et très absolu. Il dit au Christ : « Vous m’avez tellement comblé de bienfaits qu’il me semble que ce serait être ingrat envers votre cœur que de ne pas croire qu’il est prêt à me combler de tout bien, si grand qu’il soit, et que son amour comme sa libéralité sont sans mesure ».[126] Il sera le premier ermite « sous le nom du Sacré-Cœur ».[127]

132. Le 17 mai 1906, le jour même où frère Charles, seul, ne peut plus célébrer la messe, il écrit avoir promis : « Laisser vivre en moi le cœur de Jésus, pour que ce ne soit plus moi qui vive, mais le Cœur de Jésus qui vive en moi, comme il vivait à Nazareth ».[128] Son amitié avec Jésus, cœur à cœur, n’avait rien d’une dévotion intimiste. Elle était la racine de cette vie dépouillée de Nazareth par laquelle Charles voulait imiter le Christ et se configurer à Lui. Cette tendre dévotion au Cœur du Christ eut des conséquences très concrètes sur son mode de vie, et son Nazareth s’est nourri de cette relation très personnelle avec le Cœur du Christ.

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

133. Comme saint Charles de Foucauld, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a respiré l’immense dévotion qui inonda la France au XIXème siècle. L’abbé Pichon, considéré comme un grand apôtre du Sacré-Cœur, était le directeur spirituel de sa famille. Une des sœurs de Thérèse prit comme nom de religion “Marie du Sacré-Cœur” et le monastère dans lequel la sainte entra était voué au Sacré-Cœur. Cependant, sa dévotion prit certaines caractéristiques propres, au-delà des formes dans lesquelles elle s’exprimait à l’époque.

134. À quinze ans, elle trouva une manière de résumer sa relation avec Jésus : « Celui dont le cœur battait à l’unisson du mien ».[129] Deux ans plus tard, lorsqu’on lui parla d’un cœur couronné d’épines, elle écrivit dans une lettre : « Tu sais, moi je ne vois pas le Sacré-Cœur comme tout le monde, je pense que le cœur de mon époux est à moi seule, comme le mien est à lui seul et je lui parle alors dans la solitude de ce délicieux cœur à cœur en attendant de le contempler un jour face à face ».[130]

135. Dans une poésie, elle exprime le sens de sa dévotion, faite plus d’amitié et de confiance que de sécurité dans ses propres sacrifices :

« J’ai besoin d’un cœur brûlant de tendresse

Restant mon appui sans aucun retour

Aimant tout en moi, même ma faiblesse…

Ne me quittant pas, la nuit et le jour. [...]

Il me faut un Dieu prenant ma nature

Devenant mon frère et pouvant souffrir ! [...]

Ah ! je le sais bien, toutes nos justices

N’ont devant tes yeux aucune valeur [...].

Et moi je choisis pour mon purgatoire

Ton Amour brûlant, ô Cœur de mon Dieu ».[131]

136. Le texte le plus important pour comprendre le sens de sa dévotion au Cœur du Christ est sans doute la lettre qu’elle écrivit, trois mois avant sa mort, à son ami Maurice Bellière : « Lorsque je vois Madeleine s’avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu’elle touche pour la première fois ; je sens que son cœur a compris les abîmes d’amour et de miséricorde du Cœur de Jésus, et que toute pécheresse qu’elle est ce Cœur d’amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l’élever jusqu’aux plus hauts sommets de la contemplation. Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu’il m’a été donné de comprendre aussi l’amour du Cœur de Jésus, je vous avoue qu’il a chassé de mon cœur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m’humilie, me porte à ne jamais m’appuyer sur ma force qui n’est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d’amour ».[132]

137. Les esprits moralisateurs, qui prétendent garder le contrôle de la miséricorde et de la grâce, diraient qu’elle pouvait écrire cela parce qu’elle était une sainte, mais qu’une pécheresse ne l’aurait pas pu. Ce faisant, ils privent la spiritualité de Thérèse de sa belle nouveauté qui reflète le cœur de l’Évangile. Il est malheureusement devenu courant, dans certains cercles chrétiens, d’essayer d’enfermer l’Esprit Saint dans un schéma qui leur permet de tout superviser. Mais ce sage Docteur de l’Église les fait taire et contredit directement cette interprétation réductrice par ces mots très clairs : « Si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent ».[133]

138. Elle répond longuement à sœur Marie qui la louait pour son amour généreux pour Dieu, amour disposé au martyre, dans une lettre qui constitue l’un des grands jalons de l’histoire de la spiritualité. Cette page devrait être lue mille fois pour sa profondeur, sa clarté et sa beauté. Thérèse aide sa sœur “du Sacré-Cœur” à ne pas centrer cette dévotion sur un aspect doloriste, certains ayant compris la réparation comme une sorte de primat des sacrifices ou des observances austères. Au contraire, elle la résume dans la confiance qui est l’offrande la plus agréable au Cœur du Christ : « Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon cœur. Ce sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, lorsqu’on s’y repose avec complaisance et que l’on croit qu’ils sont quelque chose de grand. [...] Ce qui lui plaît, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul trésor. [...] Si vous désirez sentir de la joie avoir de l’attrait pour la souffrance, c’est votre consolation que vous cherchez […]. Comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant. [...] Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !... C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour ».[134]

139. Il est possible de voir dans nombre de ses textes sa lutte contre des formes de spiritualité trop centrées sur l’effort humain, sur le mérite propre, sur l’offrande de sacrifices, sur certaines observances pour “gagner le ciel”. Pour elle, « le mérite ne consiste pas à faire ni à donner beaucoup, mais plutôt à recevoir ».[135] Relisons quelques textes très significatifs où elle insiste sur cette voie qui est un moyen simple et rapide de gagner le Seigneur par le cœur.

140. Elle écrit à sa sœur Léonie : « Je t’assure que le Bon Dieu est bien meilleur que tu le crois. Il se contente d’un regard, d’un soupir d’amour… Pour moi je trouve la perfection bien facile à pratiquer, parce que j’ai compris qu’il n’y a qu’à prendre Jésus par le Cœur... Regarde un petit enfant, qui vient de fâcher sa mère [...] s’il vient lui tendre ses petits bras en souriant et disant : “Embrasse-moi, je ne recommencerai plus”. Est-ce que sa mère pourra ne pas le presser contre son cœur avec tendresse et oublier ses malices enfantines ?... Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, s’il la prend encore par le cœur jamais il ne sera puni ».[136]

141. Dans une lettre à l’abbé Roulland elle dit : « Ma voie est toute de confiance et d’amour, je ne comprends pas les âmes qui ont peur d’un si tendre Ami. Parfois lorsque je lis certains traités spirituels où la perfection est montrée à travers mille entraves, environnée d’une foule d’illusions, mon pauvre petit esprit se fatigue bien vite, je ferme le savant livre qui me casse la tête et me dessèche le cœur et je prends l’Écriture Sainte. Alors tout me semble lumineux, une seule parole découvre à mon âme des horizons infinis, la perfection me semble facile, je vois qu’il suffit de reconnaître son néant et de s’abandonner comme un enfant dans les bras du Bon Dieu ». [137]

142. Et s’adressant à l’abbé Bellière à propos d’un père de famille elle dit : « Je ne crois pas que le cœur de l’heureux père puisse résister à la confiance filiale de son enfant dont il connaît la sincérité et l’amour. Il n’ignore pas cependant que plus d’une fois son fils retombera dans les mêmes fautes, mais il est disposé à lui pardonner toujours, si toujours son fils le prend par le cœur ».[138]

Résonances dans la Compagnie de Jésus

143. Nous avons vu comment saint Claude de La Colombière avait relié l’expérience spirituelle de sainte Marguerite-Marie à la proposition des Exercices spirituels. Je crois que la place du Sacré-Cœur dans l’histoire de la Compagnie de Jésus mérite une brève mention.

144. La spiritualité de la Compagnie de Jésus a toujours proposé une « connaissance intérieure du Seigneur, afin [de] l’aimer et le suivre davantage ».[139] Saint Ignace nous invite dans ses Exercices Spirituels à nous mettre devant l’Évangile qui nous dit : « Le côté [de Jésus] fut blessé par la lance, et il en coula de l’eau et du sang ».[140] Lorsque le retraitant se trouve devant le côté blessé du Christ, Ignace lui propose d’entrer dans son cœur. C’est une manière de faire mûrir le cœur sous la conduite d’un “maître des affections”, selon l’expression utilisée par saint Pierre Fabre dans l’une de ses lettres à saint Ignace.[141] Le Père jésuite Juan Alfonso de Polanco le mentionne également dans sa biographie de saint Ignace : « [le Cardinal Contarini] reconnut avoir trouvé chez le Père Ignace un maître des affections ».[142] Les entretiens que propose saint Ignace sont une partie essentielle de cette éducation du cœur, parce qu’ils font sentir et goûter avec le cœur le message de l’Évangile ; et en parler avec le Seigneur. Saint Ignace affirme que nous pouvons dire au Seigneur ce qui nous concerne et Lui demander son conseil. Chaque retraitant peut reconnaître, dans les Exercices, un dialogue cœur à cœur.

145. Saint Ignace termine ses contemplations au pied du Crucifix en invitant le retraitant à s’adresser avec grande affection au Seigneur crucifié, Lui demandant « comme un ami parle à un ami ou un serviteur à son seigneur » ce qu’il devra faire pour Lui.[143] L’itinéraire des Exercices culmine dans la « Contemplation pour parvenir à l’amour », d’où découlent l’action de grâce et l’offrande de « la mémoire, de l’intelligence et de la volonté » au Cœur qui est source et origine de tout bien.[144] Cette connaissance intérieure du Seigneur ne se construit pas à partir de nos capacités et de nos efforts, mais elle se demande comme don.

146. Cette même expérience sera faite par une longue chaîne de prêtres jésuites qui font explicitement référence au Cœur de Jésus, comme saint François de Borgia, saint Pierre Favre, saint Alonso Rodriguez, le Père Alvarez de Paz, le Père Vincenzo Caraffa, le Père Kasper Druźbicki et bien d’autres. En 1883, les jésuites déclarent « que la Compagnie de Jésus accepte et reçoit avec un esprit débordant de joie et de gratitude le très doux fardeau que lui a confié notre Seigneur Jésus-Christ de pratiquer, de promouvoir et de propager la dévotion à son divin Cœur ».[145] En décembre 1871, le Père Pieter Jan Beckx consacre la Compagnie au Sacré-Cœur de Jésus et, pour témoigner que cela a toujours fait partie intégrante de la vie de la Compagnie, le Père Pedro Arrupe le fait de nouveau en 1972, avec une conviction exprimée en ces termes : « Je veux dire à la Compagnie quelque chose que j’estime ne pas devoir taire. Depuis mon noviciat, j’ai toujours été convaincu que ce que nous appelons la dévotion au Sacré-Cœur contient une expression symbolique du plus profond de l’esprit ignatien, et une efficacité extraordinaire - ultra quam speraverint - tant pour sa propre perfection que pour sa fécondité apostolique. Je suis toujours convaincu de la même chose. […] Dans cette dévotion, je trouve une des sources les plus intimes de ma vie intérieure ».[146]

147. Lorsque saint Jean-Paul II invitait « tous les membres de la Compagnie à promouvoir avec plus de zèle encore cette dévotion qui correspond plus que jamais aux attentes de notre temps », il le faisait parce qu’il reconnaissait les liens intimes entre la dévotion au Cœur du Christ et la spiritualité ignatienne, car « le désir de “connaître intimement le Seigneur” et de “faire un colloque” avec lui, cœur à cœur, est caractéristique, grâce aux Exercices spirituels, du dynamisme spirituel et apostolique ignacien, tout entier au service de l’amour du Cœur de Dieu ».[147]

Un long courant de vie intérieure

148. La dévotion au Cœur du Christ réapparaît dans l’itinéraire spirituel de nombreux saints très différents les uns des autres, et cette dévotion revêt chez chacun d’eux des aspects nouveaux. Saint Vincent de Paul, par exemple, disait que ce que Dieu veut, c’est le cœur : « Dieu demande principalement le cœur, le cœur, et c’est le principal. D’où vient qu’un qui n’aura pas de bien méritera plus que celui qui aura de grandes possessions auxquelles il renonce ? Parce que celui qui n’a rien y va avec plus d’affection ; et c’est ce que Dieu veut particulièrement... ».[148] Cela implique d’accepter d’unir son cœur à celui du Christ : « Une fille qui fait tout ce qu’elle peut faire pour mettre son cœur en état d’être uni à celui de Notre Seigneur, […] quelle bénédiction ne doit elle pas espérer de Dieu ».[149]

149. Nous sommes parfois tentés de considérer ce mystère d’amour comme un fait admirable du passé, comme une belle spiritualité d’autrefois. Or nous devons toujours nous rappeler, comme le disait un saint missionnaire, que « ce cœur divin, qui a supporté d’être transpercé par une lance ennemie afin de répandre, par cette ouverture sacrée, les sacrements par lesquels l’Église a été formée, n’a jamais cessé d’aimer ».[150] D’autres saints plus récents, comme saint Pio de Pietrelcina, sainte Teresa de Calcutta et bien d’autres, parlent avec profonde dévotion du Cœur du Christ. Et je voudrais aussi rappeler les expériences de sainte Faustine Kowalska qui propose à nouveau la dévotion au Cœur du Christ en mettant fortement l’accent sur la vie glorieuse du Ressuscité et sur la miséricorde divine. À la suite de quoi, motivé par ces expériences de cette sainte et puisant dans l’héritage spirituel de l’évêque saint Józef Sebastian Pleczar (1842-1924),[151] saint Jean-Paul II rattache étroitement sa réflexion sur la miséricorde à la dévotion au Cœur du Christ : « L’Église semble professer et vénérer d’une manière particulière la miséricorde de Dieu quand elle s’adresse au cœur du Christ. En effet, nous approcher du Christ dans le mystère de son cœur nous permet de nous arrêter sur ce point […] de la révélation de l’amour miséricordieux du Père, qui a constitué le contenu central de la mission messianique du Fils de l’homme ».[152] Le même saint Jean-Paul II, se référant au Sacré-Cœur, reconnait de façon très personnelle : « Il m’a parlé dès mon plus jeune âge ».[153]

150. L’actualité de la dévotion au Cœur du Christ est manifeste en particulier dans l’œuvre évangélisatrice et éducative de nombreuses congrégations religieuses féminines et masculines qui ont été marquées, dès leurs origines, par cette expérience spirituelle christologique. Les citer toutes serait une tâche interminable. Voici seulement deux exemples pris au hasard : « Le Fondateur [S. Daniele Comboni] trouva dans le mystère du Cœur de Jésus la force de son engagement missionnaire ».[154] « Poussées par l’amour du Cœur de Jésus, nous cherchons à faire grandir les personnes dans leur dignité humaine, comme fils et filles de Dieu, à partir de l’Évangile et de ses exigences d’amour, de pardon, de justice et de solidarité avec les pauvres et les marginalisés ».[155] De même, les sanctuaires consacrés au Cœur du Christ, répandus dans le monde entier, sont une source attirante de spiritualité et de ferveur. À tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se rendent en ces lieux de foi et de charité, j’adresse ma bénédiction paternelle.

La dévotion de la consolation

151. La blessure du côté d’où jaillit l’eau vive est encore ouverte chez le Christ ressuscité. Cette large blessure faite par la lance, ainsi que les blessures de la couronne d’épines qui apparaissent souvent dans les représentations du Sacré-Cœur, sont inséparables de cette dévotion. Nous contemplons en elles l’amour de Jésus-Christ qui fut capable de se donner jusqu’au bout. Le cœur du Ressuscité conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous. Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté d’endurer pour tant d’amour.

Avec Lui sur la Croix

152. Il vaut la peine de mentionner cette expression de l’expérience spirituelle qui s’est développée autour du Cœur du Christ : le désir intérieur de Le consoler. Je n’aborderai pas ici la pratique de la “réparation” que je considère mieux placée dans le contexte de la dimension sociale de cette dévotion et que je développerai dans le chapitre suivant. Pour l’instant, je voudrais seulement me concentrer sur ce désir qui apparaît souvent dans le cœur du croyant amoureux lorsqu’il contemple le mystère de la Passion du Christ et qu’il la vit comme un mystère, non pas seulement rappelé mais, par grâce rendu présent, ou mieux, nous rendant mystiquement présents à ce moment rédempteur. Comment ne pas vouloir consoler le Bien-aimé, s’Il est le plus important ?

153. Le Pape Pie XI a voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes les distances de temps et d’espace. S’Il s’est donné sur la croix pour les péchés à venir, les nôtres ; de la même manière nos actes offerts aujourd’hui pour sa consolation parviennent, par-delà le temps, jusqu’à son cœur blessé : « Si, à cause de nos péchés futurs, mais prévus, l’âme du Christ devint triste jusqu’à la mort, elle a, sans nul doute, recueilli quelque consolation, prévue elle aussi, de nos actes de réparation, alors qu’un ange venant du ciel (Lc 22, 43) lui apparut, pour consoler son cœur accablé de dégoût et d’angoisse. Ainsi donc, ce cœur sacré incessamment blessé par les péchés d’hommes ingrats, nous pouvons maintenant, et même nous devons, le consoler d’une manière mystérieuse, mais réelle ».[156]

Les raisons du cœur

154. Il pourrait sembler que cette expression de dévotion n’ait pas de support théologique suffisant. Mais en réalité le cœur a ses raisons. Le sensus fidelium perçoit qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et que la Passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y participer par la foi. Méditer le don de soi du Christ sur la croix est plus qu’un simple souvenir pour la piété des fidèles. Cette conviction est solidement fondée dans la théologie.[157] À cela s’ajoute la conscience de notre péché qu’Il a porté sur ses épaules blessées, et de notre insuffisance devant tant d’amour qui nous dépasse toujours infiniment.

155. Quoi qu’il en soit, nous nous demandons comment il est possible d’être en relation avec le Christ vivant, ressuscité, pleinement heureux, et en même temps de le consoler dans sa Passion. Il convient de considérer que le Cœur ressuscité conserve sa blessure comme un souvenir constant, et que l’action de la grâce provoque une expérience qui n’est pas entièrement contenue dans l’instant chronologique. Ces deux convictions nous permettent d’admettre que nous nous trouvons sur un chemin mystique qui dépasse les tentatives de la raison et exprime ce que la Parole de Dieu elle-même nous suggère : « Mais – écrivait le Pape Pie XI –  quelle consolation peuvent apporter au Christ régnant dans la béatitude céleste ces rites expiatoire ? Nous répondrons avec Saint Augustin : “Prenez une personne qui aime : elle comprendra ce que je dis.” Toute âme aimant Dieu avec ferveur, quand elle regarde le passé, peut voir et contempler dans ses méditations le Christ travaillant pour l’homme, affligé, souffrant les plus dures épreuves “pour nous les hommes et pour notre salut”, presque abattu par la tristesse, l’angoisse et les opprobres ; bien plus, “écrasé à cause de nos fautes” (Is 53, 5), dans ses blessures nous trouvons la guérison. Tout cela, les âmes pieuses ont d’autant plus de raison de le méditer que ce sont les péchés et les crimes des hommes commis en n’importe quel temps qui ont causé la mort du Fils de Dieu ».[158]

156. Cet enseignement de Pie XI mérite d’être pris en considération. En effet, lorsque l’Écriture affirme que les croyants qui ne vivent pas en accord avec leur foi « crucifient pour leur compte le Fils de Dieu » (He 6, 6), ou que lorsque j’endure les souffrances pour les autres « je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ » (Col 1, 24), ou que le Christ durant sa Passion a prié non seulement pour ses disciples d’alors, mais « pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en Lui » (Jn 17, 20), elle dit une chose qui brise nos schémas limités. Elle nous montre qu’il n’est pas possible d’établir un avant et un après sans aucun lien, même si notre pensée ne sait pas comment l’expliquer. L’Évangile n’est pas seulement à réfléchir ou à remémorer dans ses différents aspects, mais à vivre, tant dans les œuvres d’amour que dans l’expérience intérieure. Et cela vaut surtout pour le mystère de la mort et de la résurrection du Christ. Les séparations temporelles que notre esprit utilise ne semblent pas contenir la vérité de cette expérience croyante dans laquelle se fusionnent l’union avec le Christ souffrant et, en même temps, la force, la consolation et l’amitié dont nous jouissons avec le Ressuscité.

157. Voyons alors l’unité du Mystère pascal dans ses deux aspects inséparables qui s’éclairent mutuellement. Ce Mystère unique, rendu présent par la grâce dans ses deux dimensions, fait que nos souffrances sont illuminées et transfigurées par la lumière pascale de l’amour, alors même que nous cherchons à offrir quelque chose au Christ pour le consoler. Nous participons à ce Mystère dans notre vie concrète parce que, par avance, le Christ a voulu participer à notre vie, Il a voulu par avance vivre en tant que tête ce que son Corps ecclésial allait vivre, tant dans les blessures que dans les consolations. Lorsque nous vivons dans la grâce de Dieu, cette participation mutuelle devient une expérience spirituelle. En définitive, le Ressuscité par l’action de sa grâce nous permet d’être mystérieusement unis à sa Passion. Les cœurs croyants qui font l’expérience de la joie de la résurrection le savent, mais ils désirent en même temps participer au destin de leur Seigneur. Ils sont prêts à cette participation par les souffrances, les peines, les déceptions et les peurs qui font partie de leur vie. Ils ne vivent pas ce Mystère dans la solitude parce que ces blessures sont également une participation au destin du Corps mystique du Christ qui marche au milieu du peuple saint de Dieu. Celui-ci porte en lui le destin du Christ en tout temps et en tout lieu de l’histoire. La dévotion de consolation n’est pas anhistorique ni abstraite, elle se fait chair et sang dans le cheminement de l’Église.

La Componction

158. Le désir nécessaire de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non correspondance de nos cœurs à son amour et à son projet. Cette expérience nous purifie car l’amour a besoin de la purification des larmes qui, en fin de compte, nous rendent plus assoiffés de Dieu et moins obsédés de nous-mêmes.

159. Nous voyons ainsi que plus le désir de consoler le Seigneur est profond, plus la componction du cœur croyant est profonde.  Celle-ci « n’est pas un sentiment de culpabilité qui abat, ni un scrupule qui paralyse, mais une piqûre salutaire qui brûle à l’intérieur et guérit, parce que le cœur, lorsqu’il voit son mal et se reconnaît pécheur, s’ouvre, accueille l’action de l’Esprit Saint, eau vive qui l’émeut et fait couler des larmes sur son visage [...]. Il ne s’agit pas de pleurer sur nous-mêmes, comme nous sommes souvent tentés de le faire. [...] Avoir des larmes de componction c’est au contraire nous repentir sérieusement d’avoir attristé Dieu par le péché ; c’est reconnaître que nous sommes toujours en dette et jamais en crédit [...]. Comme la goutte creuse la pierre, les larmes creusent lentement les cœurs endurcis. On assiste ainsi au miracle de la tristesse, de la bonne tristesse, qui conduit à la douceur [...]. La componction n’est pas tant le fruit de notre exercice, mais elle est une grâce et, comme telle, doit être demandée dans la prière ».[159] Il s’agit de « demander […] la douleur avec le Christ douloureux ; l’accablement avec le Christ accablé, les larmes, et la peine intérieure pour la peine si grande que le Christ a enduré pour moi ».[160]

160. Je demande donc que personne ne se moque des expressions de ferveur croyante du peuple saint et fidèle de Dieu qui, dans sa piété populaire, cherche à consoler le Christ. Et j’invite chacun à se demander s’il n’y a pas davantage de rationalité, de vérité et de sagesse dans certaines manifestations de cet amour qui cherche à consoler le Seigneur que dans les froids, distants, calculés et minuscules actes d’amour dont nous sommes capables, nous qui prétendons posséder une foi plus réfléchie, plus cultivée, et plus mature.

Consolés pour consoler

161. Nous sommes consolés dans cette contemplation du Cœur du Christ donné jusqu’au bout. La douleur que nous ressentons dans notre cœur cède la place à une confiance totale, et il ne reste à la fin que de la gratitude, de la tendresse, de la paix, son amour régnant dans notre vie. La componction « ne provoque pas d’angoisse mais soulage l’âme de ses fardeaux parce qu’elle agit dans la blessure du péché en nous disposant à recevoir la caresse du Seigneur ».[161] Et notre souffrance s’unit à celle du Christ sur la croix car affirmer que la grâce nous permet de surmonter toutes les distances c’est affirmer aussi que le Christ, lorsqu’il souffrait, s’unissait aux souffrances de ses disciples tout au long de l’histoire. Ainsi, lorsque nous souffrons, nous pouvons éprouver la consolation intérieure de savoir que le Christ lui-même souffre avec nous. Désireux de le consoler, nous en sortons consolés.

162. Mais à un moment donné de cette contemplation du cœur croyant, l’appel dramatique du Seigneur doit retentir : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40, 1). Et nous viennent à l’esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu nous console « afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2 Co 1, 4).

163. Cela nous invite à chercher à approfondir la dimension communautaire, sociale et missionnaire de toute dévotion authentique au Cœur du Christ. En même temps que le Cœur du Christ nous conduit au Père, il nous envoie vers nos frères. Dans les fruits de service, de fraternité et de mission que le Cœur du Christ produit à travers nous, la volonté du Père s’accomplit. De la sorte, le cercle se referme : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit » (Jn 15, 8).

V

AMOUR POUR AMOUR

164. Dans les expériences spirituelles de sainte Marguerite-Marie, à côté de l’ardente déclaration d’amour de Jésus-Christ, il y a aussi une résonance intérieure qui nous appelle à donner notre vie. Se savoir aimé et mettre toute sa confiance en cet amour ce n’est pas annuler nos capacités de don de soi, ce n’est pas renoncer au désir irrépressible de donner quelque réponse à partir de nos capacités, petites et limitées.

Une plainte et une requête

165. Dans la deuxième grande manifestation à sainte Marguerite-Marie, Jésus exprime sa douleur parce que son grand amour pour les hommes ne reçoit en retour que « des ingratitudes et méconnaissances », « des froideurs et du rebut », « ce qui – dit le Seigneur – m’est beaucoup plus sensible que tout ce que j’ai souffert en ma Passion ».[162]

166. Jésus parle de sa soif d’être aimé, Il nous montre que son Cœur n’est pas indifférent à la manière dont nous réagissons à son désir : « J’ai soif, mais d’une soif si ardente d’être aimé des hommes au Saint Sacrement, que cette soif me consomme ; et je ne trouve personne qui s’efforce, selon mon désir, pour me désaltérer en rendant quelque retour à mon amour ».[163] La demande de Jésus est l’amour. Lorsque le cœur croyant le découvre, la réponse qui jaillit spontanément n’est pas une pesante quête de sacrifices ni le simple accomplissement d’un devoir pénible, mais elle concerne l’amour : « Je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour, et me sentis touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour ».[164] Léon XIII enseigne cela lorsqu’il écrit que, par l’image du Sacré-Cœur, la charité du Christ « nous pousse à l’aimer en retour ».[165]

Prolonger son amour chez les frères

167. Nous devons revenir à la Parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l’amour de son cœur est l’amour pour nos frères. Il n’y a pas d’acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La Parole de Dieu le dit avec une totale clarté :

« Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

Toute la Loi trouve sa plénitude dans un seul précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14).

« Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jn 3, 14).

« Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).

168. L’amour pour les frères ne se fabrique pas, il n’est pas le résultat de notre effort naturel mais il exige une transformation de notre cœur égoïste. C’est alors que surgit spontanément la célèbre supplique : “Jésus, rends notre cœur semblable au tien”. C’est pour cette même raison que l’invitation de saint Paul n’est pas : “Efforcez-vous de faire de bonnes œuvres”. Son invitation est plus précisément : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5).

169. Il est bon de rappeler que, dans l’Empire romain, beaucoup de pauvres, d’étrangers et autres laissés-pour-compte trouvaient auprès des chrétiens respect, affection et attention. Cela explique le raisonnement de l’empereur apostat Julien qui se demandait pourquoi les chrétiens étaient si respectés et suivis, et qui pensait que l’une des raisons était leur engagement dans l’assistance des pauvres et des étrangers, puisque l’Empire les ignorait et les méprisait. Il était intolérable pour cet empereur que ses pauvres ne reçoivent aucune aide de sa part, alors que les chrétiens détestés, « en plus de nourrir les leurs, nourrissent encore les nôtres ».[166] Dans une lettre, il ordonna de créer des institutions caritatives pour rivaliser avec les chrétiens et attirer le respect de la société : « Établis dans chaque cité de nombreux hospices, afin que les étrangers aient à se louer de notre humanité [...]. Apprends aux amis de l’hellénisme à apporter leur contribution à de pareilles bienfaisances ».[167] Mais il n’atteignit pas son objectif, probablement parce qu’il n’y avait pas derrière ces œuvres l’amour chrétien qui permet de reconnaître à toute personne une dignité unique.

170. S’identifiant aux derniers de la société (cf. Mt 25, 31-46) « Jésus a apporté la grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et surtout de ces personnes qualifiées d’“indignes”. Ce principe nouveau dans l’histoire de l’humanité, selon lequel les êtres humains sont d’autant plus “dignes” de respect et d’amour qu’ils sont plus faibles, plus misérables et plus souffrants – jusqu’à perdre leur “figure” humaine –, a changé la face du monde en donnant naissance à des institutions qui s’occupent des personnes en situation défavorisée : bébés abandonnés, orphelins, personnes âgées laissées seules, malades mentaux, personnes atteintes de maladies incurables ou de graves malformations, personnes vivant dans la rue ».[168]

171. Regarder la blessure du cœur du Seigneur qui « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » (Mt 8, 17) nous aide à être plus attentifs aux souffrances et aux besoins des autres, nous rend assez forts pour participer à son œuvre de libération en tant qu’instruments de diffusion de son amour.[169] Lorsque nous contemplons le don du Christ pour chacun, nous nous demandons inévitablement pourquoi nous ne sommes pas capables de donner notre vie pour les autres : « À ceci nous avons connu l’Amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères » (1 Jn 3, 16).

Quelques résonances dans l’histoire de la spiritualité

172. Ce lien entre dévotion au Cœur de Jésus et engagement envers les frères traverse l’histoire de la spiritualité chrétienne. Voyons-en quelques exemples.

Être une source pour les autres

173. À partir d’Origène, plusieurs Pères de l’Église ont interprété le texte de Jean 7, 38 – « de son sein couleront des fleuves d’eau vive » – comme se référant au croyant lui-même, bien qu’il s’agisse de la conséquence d’avoir bu au Christ. L’union au Christ n’est donc pas destinée seulement à étancher sa propre soif mais à devenir aussi une source d’eau fraîche pour les autres. Origène dit que le Christ accomplit sa promesse en faisant jaillir de nous des torrents d’eau : « L’âme de l’homme, qui est à l’image de Dieu, peut avoir en soi et produire hors de soi des puits, des sources et des fleuves ».[170]

174. Saint Ambroise recommande de s’abreuver au Christ « afin que la source d’eau abonde en toi qui jaillit pour la vie éternelle ».[171] Et Marius Victorinus affirme que l’Esprit Saint est donné en telle abondance que « celui qui le reçoit devient un sein qui déverse des fleuves d’eau vive ».[172] Saint Augustin dit que ce fleuve qui jaillit du croyant est la bienveillance.[173] Saint Thomas d’Aquin réaffirme cette idée en soutenant que lorsque quelqu’un « s’empresse de communiquer aux autres les divers dons de grâce qu’il a reçus de Dieu, l’eau vive jaillit de son sein ».[174]

175. En effet, si « le sacrifice de la croix, offert avec un cœur aimant et obéissant, présente une satisfaction surabondante et infinie »[175], l’Église qui naît du Cœur du Christ prolonge et communique en tout temps et en tout lieu les effets de cette unique Passion rédemptrice qui conduit les personnes à l’union directe avec le Seigneur.

176. Au sein de l’Église, la médiation de Marie, mère qui intercède, ne peut être comprise que « comme une participation à l’unique source qu’est la médiation du Christ lui-même »,[176] l’unique Rédempteur. « Ce rôle subordonné de Marie, l’Église le professe sans hésitation ».[177] La dévotion au cœur de Marie n’entend pas affaiblir l’adoration unique due au Cœur du Christ, mais la stimuler : « Le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu ».[178] Grâce à l’immense source qui jaillit du côté ouvert du Christ, l’Église, Marie et tous les croyants, deviennent de diverses manières des canaux d’eau vive. Le Christ déploie, de cette manière, sa gloire dans notre petitesse.

Fraternité et mystique

177. Saint Bernard, alors qu’il invite à l’union avec le Cœur du Christ, utilise la richesse de cette dévotion pour proposer un changement de vie fondé sur l’amour. Il croit possible de transformer l’affectivité, esclave des plaisirs dont on ne se libère pas par une obéissance aveugle à un commandement mais par la réponse à la douceur de l’amour du Christ. Le mal est vaincu par le bien, le mal est vaincu par la croissance de l’amour : « Aime donc le Seigneur ton Dieu d’une affection de cœur pleine et entière ; aime-le de toute la sagesse et de toute la vigilance de la raison ; aime-le aussi de toute ta force, sans même craindre de mourir par amour pour lui […]. Que le Seigneur Jésus soit pour ton cœur un objet suave et doux, toujours opposé à la douceur criminelle des charmes de la vie de la chair ; qu’une douceur surmonte une autre douceur, comme un clou chasse un autre clou ».[179]

178. Saint François de Sales a été éclairé par la demande de Jésus : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). De cette façon, disait-il, dans les choses les plus simples et les plus ordinaires, nous volons le cœur du Seigneur : « Il faut avoir grand soin de le bien servir, aux choses grandes et hautes et aux choses petites et abjectes, puisque nous pouvons également, et par les unes et par les autres, lui dérober son cœur par amour [...]. Ces petites charités quotidiennes, ce mal de tête, ce mal de dents, cette défluxion, cette bizarrerie du mari ou de la femme, ce cassement d’un verre, ce mépris ou cette moue, cette perte de gants, d’une bague, d’un mouchoir, cette petite incommodité que l’on se fait, d’aller coucher de bonne heure et de se lever matin pour prier, pour se communier, cette petite honte que l’on a à faire certaines actions de dévotion en publique : bref, toutes ces petites souffrances, étant prises et embrassées avec amour, contentent extrêmement la Bonté divine ».[180] Mais en définitive, la clé de notre réponse à l’amour du Cœur du Christ est l’amour du prochain : « La marque que je vous donne pour connaître si vous aimez bien Dieu, est que vous aimez aussi bien le prochain [...] d’un amour pur, solide, ferme, constant et invariable, qui ne s’attache point aux qualités ou condition des personnes […] qui ne sera point sujet au changement ni aux aversions. [...] Notre Seigneur nous aime sans discontinuation, Il nous supporte en nos défauts et en nos imperfections ; il faut donc que nous fassions de même à l’endroit de nos frères, ne nous lassant jamais de les supporter ».[181]

179. Saint Charles de Foucauld voulait imiter Jésus-Christ, vivre comme Il a vécu, agir comme Il a agi, toujours faire ce que Jésus aurait fait à sa place. Pour réaliser pleinement son objectif, il était nécessaire qu’il se conforme aux sentiments du Cœur du Christ ; d’où l’expression “amour pour amour” qui apparaît une fois encore lorsqu’il écrit : « Désir des souffrances pour Lui rendre amour pour amour, pour l’imiter, [...] pour entrer dans son travail, et pour m’offrir avec Lui, tout néant que je suis, en sacrifice, en victime, pour la sanctification des hommes ».[182] Le désir d’apporter l’amour de Jésus, par son engagement missionnaire, aux plus pauvres et aux plus oubliés de la terre, l’amènent à prendre comme devise Iesus Caritas, avec le symbole du Cœur du Christ surmonté d’une croix.[183] Ce n’est pas une décision superficielle : « De toutes mes forces, je tâche de montrer, de prouver à ces pauvres frères égarés que notre religion est toute charité, toute fraternité, que son emblème est un Cœur ».[184] Et il veut s’installer avec d’autres frères au Maroc au nom du Cœur de Jésus.[185] Leur tâche évangélisatrice se fera par rayonnement : « La charité doit rayonner des fraternités, comme elle rayonne du Cœur de Jésus ».[186] Ce désir fait de lui progressivement un frère universel car il veut embrasser dans son cœur fraternel toute l’humanité souffrante en se laissant modeler par le Cœur du Christ : « Notre cœur, comme celui de l’Église, comme celui de Jésus, doit embrasser tous les hommes ».[187] « L’amour du Cœur de Jésus pour les hommes, cet amour qu’Il montre dans sa passion, voilà celui que nous devons avoir pour tous les humains ».[188]

180. L’abbé Huvelin, directeur spirituel de saint Charles de Foucauld, disait que « lorsque Notre Seigneur habite un cœur, Il lui donne ces sentiments, et ce cœur s’ouvre aux petits. Telle était la disposition du cœur d’un Vincent de Paul [...] Quand Notre Seigneur habite l’âme d’un prêtre, Il l’incline vers les pauvres ».[189] Il est important de noter que ce don de soi chez saint Vincent, décrit par l’abbé Huvelin, était aussi alimenté par la dévotion au Cœur du Christ. Vincent exhortait à « prendre dans le Cœur de Notre Seigneur quelque parole de consolation pour tel pauvre malade ».[190] Pour que cela soit vrai il fallait que son cœur ait été transformé par l’amour et la douceur du Cœur du Christ. Et saint Vincent a souvent répété cette conviction dans ses sermons et ses conseils au point d’en faire un élément important des Constitutions de sa Congrégation : « Tous étudieront soigneusement la leçon que Jésus-Christ nous a enseignée en disant : “Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur” ; considérant que, comme il assure lui-même, par la douceur on possède la terre, parce qu’agissant dans cet esprit, on gagne les cœurs des hommes, pour les convertir à Dieu, à quoi l’esprit de rigueur met empêchement ».[191]

La réparation : construire sur les ruines

181. Tout cela nous permet de comprendre, à la lumière de la Parole de Dieu, quel sens nous devons donner à la “réparation” que nous offrons au Cœur du Christ, ce que le Seigneur attend vraiment que nous réparions avec l’aide de sa grâce. Cette question a fait l’objet de nombreuses discussions mais saint Jean-Paul II a donné une réponse claire pour nous guider, chrétiens d’aujourd’hui, dans un esprit de réparation plus conforme à l’Évangile.

Sens social de la réparation au Cœur du Christ

182. Saint Jean-Paul II dit que, « la civilisation du Cœur du Christ pourra être bâtie sur les ruines accumulées par la haine et la violence » en nous abandonnant à ce Cœur. Cela implique certainement que nous soyons capables de « joindre l’amour filial envers Dieu à l’amour du prochain ». Telle est en réalité « la véritable réparation demandée par le Cœur du Sauveur ».[192] Avec le Christ, nous sommes appelés à construire une nouvelle civilisation de l’amour sur les ruines que nous avons laissées en ce monde par notre péché. Telle est la réparation que le Cœur du Christ attend de nous. Au milieu du désastre laissé par le mal, le Cœur du Christ veut avoir besoin de notre collaboration pour reconstruire le bien et le beau.

183. Il est vrai que tout péché nuit à l’Église et à la société, de sorte qu’ « on peut attribuer indiscutablement à tout péché le caractère de péché social ». Cependant, cela est particulièrement vrai pour certains péchés qui « constituent, par leur objet même, une agression directe envers le prochain ».[193] Saint Jean-Paul II explique que la répétition de ces péchés contre les autres finit souvent par renforcer une « structure de péché » nuisant au développement des peuples.[194] Cela est souvent ancré dans une mentalité dominante qui considère normal ou rationnel ce qui n’est rien d’autre que de l’égoïsme et de l’indifférence. Ce phénomène peut être défini comme une “aliénation sociale” : « Une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation de ce don et la constitution de cette solidarité entre hommes ».[195] Ce n’est pas seulement une norme morale qui nous pousse à résister à ces structures sociales aliénées, les mettre à nu et susciter un dynamisme social qui restaure et construit le bien, mais c’est la « conversion du cœur » elle-même qui « impose l’obligation »[196] de restaurer ces structures. Telle est notre réponse au Cœur aimant de Jésus-Christ qui nous apprend à aimer.

184. C’est précisément parce que la réparation évangélique a cette forte signification sociale que nos actes d’amour, de service, de réconciliation, pour être effectivement réparateurs, ont besoin que le Christ les pousse, les motive, les rende possibles. Saint Jean-Paul II a également déclaré que, pour construire la civilisation de l’amour, l’humanité a aujourd’hui besoin du Cœur du Christ. [197] La réparation chrétienne ne peut être comprise uniquement comme un ensemble d’œuvres extérieures, bien qu’indispensables et parfois admirables. Elle exige une mystique, une âme, un sens qui leur donne force, élan et créativité inlassables. Elle a besoin de la vie, du feu et de la lumière qui procèdent du Cœur du Christ.

Réparer les cœurs blessés

185. Par ailleurs, la réparation extérieure ne suffit ni au monde ni au Cœur du Christ. Si chacun pense à ses propres péchés et à leurs conséquences sur les autres, il découvrira que la réparation des dommages causés au monde implique également le désir de réparer les cœurs blessés, là où a été causé le dommage le plus profond, la blessure la plus douloureuse.

186. Un esprit de réparation « nous invite à espérer que toute blessure peut être guérie, même si elle est profonde. La complète réparation semble parfois impossible, lorsque des biens, des êtres chers, sont définitivement perdus ou lorsque des situations sont devenues irréversibles. Mais l’intention de réparer et d’en poser concrètement les actes est capitale à la démarche de réconciliation et au retour de la paix du cœur ».[198]

La beauté de demander pardon

187. Les bonnes intentions ne suffisent pas. Un dynamisme intérieur de désir qui entraîne des conséquences extérieures est indispensable. En bref, « la réparation, pour être chrétienne, pour toucher le cœur de la personne offensée et ne pas être un simple acte de justice commutative, suppose deux attitudes qui engagent : se reconnaître fautif et demander pardon. [...] C’est de cette honnête reconnaissance du tort causé au frère, et du sentiment profond et sincère que l’amour a été blessé, que nait le désir de réparer ».[199]

188. Il ne faut pas penser que reconnaître son propre péché devant les autres serait dégradant ou nuirait à notre dignité humaine. Au contraire, c’est cesser de se mentir à soi-même, c’est reconnaître son histoire telle qu’elle est, marquée par le péché, surtout lorsque nous avons fait du mal à nos frères : « S’accuser soi-même fait partie de la sagesse chrétienne. [...] Cela plaît au Seigneur, parce que le Seigneur reçoit le cœur contrit ».[200]

189. L’habitude de demander pardon aux frères fait partie de cet esprit de réparation ; elle démontre une grande noblesse au cœur de notre fragilité. La demande de pardon est un moyen de guérir les relations parce qu’elle « rouvre le dialogue et manifeste la volonté de renouer dans la charité fraternelle, [...] elle touche le cœur du frère, le console et suscite en lui l’accueil du pardon demandé. Alors, si l’irréparable ne peut être totalement réparé, l’amour, lui, peut toujours renaître, rendant la blessure supportable ».[201]

190. Un cœur capable de compassion peut grandir dans la fraternité et la solidarité car « celui qui ne pleure pas régresse, il vieillit intérieurement tandis que celui qui parvient à une prière plus simple et plus intime, faite d’adoration et d’émotion devant Dieu, celui-là mûrit. Il s’attache de moins en moins à lui-même, de plus en plus au Christ, et devient pauvre en esprit. Il se sent ainsi plus proche des pauvres, les bien-aimés de Dieu ».[202] C’est ainsi que naît un authentique esprit de réparation, car « celui qui a de la componction dans le cœur se sent de plus en plus frère de tous les pécheurs du monde, il se sent davantage frère, sans aucun sentiment de supériorité ou de dureté de jugement, mais toujours avec le désir d’aimer et de réparer ».[203] Cette solidarité qui génère la compassion rend en même temps possible la réconciliation. La personne capable de componction, « au lieu de se mettre en colère et de se scandaliser du mal fait par ses frères, pleure leurs péchés. Elle ne se scandalise pas. Il se produit une sorte de renversement. La tendance naturelle à être indulgent avec soi-même et inflexible avec les autres s’inverse et, par la grâce de Dieu, on devient ferme avec soi-même et miséricordieux avec les autres ».[204]

La réparation : un prolongement pour le Cœur du Christ

191. Il y a une autre manière complémentaire de comprendre la réparation, qui place celle-ci dans une relation encore plus directe avec le Cœur du Christ, sans pour autant exclure l’engagement concret envers les frères dont nous avons parlé.

192. Dans un autre contexte, j’ai affirmé que Dieu « a voulu se limiter lui-même de quelque manière » et que « beaucoup de choses que nous considérons mauvaises, dangereuses ou sources de souffrances, font en réalité partie des douleurs de l’enfantement qui nous stimulent à collaborer avec le Créateur ».[205] Notre coopération peut permettre à la puissance et à l’amour de Dieu de se répandre dans nos vies et dans le monde, tandis que le rejet ou l’indifférence peuvent l’empêcher. Certaines expressions bibliques expriment cela de manière métaphorique, comme lorsque le Seigneur s’écrie : « Si tu reviens Israël, c’est à moi que tu reviendras » (Jr 4, 1). Ou lorsqu’il dit, face aux rejets de son peuple : « Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent » (Os 11, 8).

193. Bien qu’il ne soit pas possible de parler d’une nouvelle souffrance du Christ glorieux, « le Mystère pascal du Christ […] et tout ce qu’Il a fait et souffert pour tous les hommes participe de l’éternité divine et surplombe tous les temps et y est rendu présent ».[206] Nous pouvons dire qu’Il a lui-même accepté de limiter la gloire débordante de sa résurrection, de contenir la diffusion de son amour immense et brûlant afin de laisser de la place à notre libre coopération avec son cœur. Cela est si vrai que notre refus l’arrête dans cet élan de don, tout comme notre confiance et notre offrande de nous-mêmes ouvrent un espace, offrent un canal sans obstacles à l’effusion de son amour. Notre refus ou notre indifférence limitent les effets de sa puissance et la fécondité de son amour en nous. S’Il ne trouve pas en moi confiance et ouverture, son amour se trouve privé – parce que Lui-même le veut ainsi – de son prolongement dans ma vie qui est unique et ne peut être répétée, et dans le monde où Il m’appelle à le rendre présent. Cela ne vient pas d’une faiblesse de sa part mais de son infinie liberté, de sa puissance paradoxale et de la perfection de son amour pour chacun de nous. Lorsque la toute-puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse de notre liberté, « seule la foi peut la discerner ».[207]

194. De fait, sainte Marguerite-Marie raconte que, dans l’une de ses manifestations, le Christ lui parla de son cœur passionné d’amour pour nous qui, « ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il fallait qu’il les répande ».[208]  Puisque le Seigneur tout-puissant, dans sa liberté divine, a voulu avoir besoin de nous, la réparation se comprend comme une libération des obstacles que nous mettons à l’expansion de son amour dans le monde, par notre manque de confiance, de gratitude et de don de soi.

L’offrande à l’Amour

195. Pour mieux réfléchir à ce mystère, nous sommes à nouveau aidés par la spiritualité lumineuse de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Elle savait que certaines personnes avaient développé une forme extrême de réparation, avec la bonne volonté de se donner pour les autres, qui consistait à s’offrir comme une sorte de “paratonnerre” pour que la justice divine s’accomplisse : « Je pensais aux âmes qui s’offrent comme victimes à la justice de Dieu afin de détourner et d’attirer sur elles les châtiments réservés aux coupables ».[209] Mais, si admirable que soit cette offrande, elle n’en était pas très convaincue : « J’étais loin de me sentir portée à la faire ».[210] Cette insistance sur la justice divine conduit finalement à penser que le sacrifice du Christ est incomplet ou partiellement efficace, ou que sa miséricorde n’est pas assez grande.

196. Avec son intuition spirituelle, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus découvre qu’il existe une autre façon de s’offrir selon laquelle il n’est pas nécessaire de satisfaire la justice divine mais de permettre à l’amour infini du Seigneur de se répandre sans entrave : « Ô mon Dieu, votre amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur ? Il me semble que si vous trouviez des âmes s’offrant en Victimes d’holocauste à votre Amour, vous les consumeriez rapidement, il me semble que vous seriez heureux de ne point comprimer les flots d’infinie tendresse qui sont en vous ».[211]

197. Il n’y a rien à ajouter à l’unique sacrifice rédempteur du Christ, mais il est vrai que le refus de notre liberté ne permet pas au Cœur du Christ de répandre ses « flots de tendresse infinie » dans le monde. Et cela parce que le Seigneur lui-même veut respecter cette possibilité. Cela troublait sainte Thérèse de l’Enfant Jésus plus que la justice divine car, pour elle, la justice ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’amour. Nous avons vu qu’elle adorait toutes les perfections divines au travers de la miséricorde, et qu’elle les voyait ainsi transfigurées, rayonnantes d’amour. Elle disait : « La Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour ».[212]

198. C’est ainsi que naît son acte d’offrande, non pas à la justice divine, mais à l’Amour miséricordieux : « Je m’offre comme victime d’holocauste à votre Amour miséricordieux, vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont enfermés en vous, et qu’ainsi je devienne Martyre de votre Amour ».[213] Il est important de noter qu’il ne s’agit pas seulement, par une confiance totale, de permettre au Cœur du Christ de répandre la beauté de son amour dans son cœur, mais aussi de faire en sorte qu’il rejoigne les autres et transforme le monde à travers sa vie : « Dans le Cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour. [...] Ainsi mon rêve sera réalisé ».[214] Les deux aspects sont indissociables.

199. Le Seigneur accepta son offrande. Elle exprimera un peu plus tard son amour intense pour les autres et soutiendra qu’il provient du Cœur du Christ qui se prolonge à travers elle. C’est ainsi qu’elle écrira à Sœur Léonie : « Je t’aime mille fois plus tendrement que ne s’aiment des sœurs ordinaires, puisque je puis t’aimer avec le Cœur de notre Céleste Époux ».[215] Et quelque temps après, elle écrira à Maurice Bellière : « Ah ! Que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Cœur de Jésus, ce qu’Il attend de vous ».[216]

Intégrité et harmonie

200. Sœurs et frères, je propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en définitive, à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse. S’il est vrai que la réparation implique le désir de compenser les outrages commis contre l’Amour incréé par les oublis ou les offenses,[217] le chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité de s’étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se produit en allant au-delà de la simple “consolation” au Christ dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et se traduit par des actes d’amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du Cœur du Christ.

201. Les renoncements et les souffrances qu’exigent ces actes d’amour pour le prochain nous unissent à la Passion du Christ et, en souffrant avec le Christ en « cette crucifixion mystique dont parle l’Apôtre, nous recevrons les fruits plus abondants de propitiation et d’expiation, pour nous et pour les autres ».[218] Seul le Christ nous sauve par le don de Lui-même sur la Croix, seul il rachète car « Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2, 5-6). La réparation que nous offrons est une participation que nous acceptons librement à son amour rédempteur et à son unique sacrifice. Ainsi, nous complétons dans notre chair « ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps qui est l’Église » (Col 1, 24) et c’est le Christ lui-même qui prolonge à travers nous les effets de son don total d’amour.

202. Les souffrances sont souvent liées à notre ego blessé, mais c’est précisément l’humilité du Cœur du Christ qui nous montre le chemin de l’abaissement. Dieu a voulu venir à nous en s’humiliant, en se faisant petit. L’Ancien Testament nous l’enseigne à travers diverses métaphores montrant un Dieu qui entre dans la petitesse de l’histoire et se laisse rejeter par son peuple. Son amour se mêle à la vie quotidienne du peuple aimé et devient le mendiant d’une réponse, comme s’il demandait la permission de montrer sa gloire. D’autre part, « peut-être une seule fois Notre Seigneur Jésus a-t-il parlé de son cœur. C’était pour mettre en évidence sa douceur et son humilité, comme s’il signifiait que c’est seulement de cette manière qu’il veut conquérir l’homme ».[219] Lorsque le Christ dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29), il nous indique que « pour s’exprimer, il a besoin de notre petitesse, de notre abaissement ».[220]

203. Il est important de noter, dans ce que nous avons dit, plusieurs aspects inséparables. En effet, ces actes d’amour du prochain, avec les renoncements, les abnégations, les souffrances et les peines qu’ils comportent, remplissent cette fonction réparatrice lorsqu’ils sont nourris par la charité du Christ qui nous rend capables d’aimer comme Il a aimé. Et c’est de cette manière qu’Il aime et sert à travers nous. Si, d’un côté, il semble s’abaisser, s’humilier parce qu’Il a voulu montrer son amour à travers nos gestes, d’un autre côté son cœur est glorifié et manifeste toute sa grandeur dans les œuvres de miséricorde les plus simples. Un cœur humain qui fait place à l’amour du Christ par une confiance totale, et qui Lui permet de se déployer dans sa vie par son feu, devient capable d’aimer les autres comme Lui, en se faisant petit et proche de tous. C’est ainsi que le Christ se désaltère et répand glorieusement en nous et à travers nous les flammes de sa tendresse brûlante. Remarquons la belle harmonie de tout cela.

204. Enfin, pour comprendre cette dévotion dans toute sa richesse, il faut ajouter, en reprenant ce que nous avons dit sur sa dimension trinitaire, que la réparation au Christ en tant qu’être humain est offerte au Père par l’action de l’Esprit Saint en nous. Notre réparation au Cœur du Christ s’adresse donc en définitive au Père qui se réjouit de nous voir unis au Christ lorsque nous nous offrons par Lui, avec Lui et en Lui.

Rendre le monde amoureux

205. La proposition chrétienne est attrayante lorsqu’elle est vécue et manifestée dans son intégralité, non pas comme un simple refuge dans des sentiments religieux ou dans des rites somptueux. Quel culte serait rendu au Christ si nous nous contentions d’une relation individuelle, sans nous intéresser à aider les autres à moins souffrir et à mieux vivre ? Peut-on plaire au Cœur qui a tant aimé en restant dans une expérience religieuse intime, sans conséquences fraternelles et sociales ? Soyons honnêtes et lisons la Parole de Dieu dans son intégralité. Cependant, et pour cette même raison, il ne s’agit pas non plus d’œuvrer à une promotion sociale dépourvue de sens religieux qui, en fin de compte, voudrait donner à l’homme moins que ce que Dieu veut pour lui. C’est pourquoi nous devons conclure ce chapitre en rappelant la dimension missionnaire de notre amour pour le Cœur du Christ.

206. Saint Jean-Paul II, outre la dimension sociale de la dévotion au Cœur du Christ, a parlé de la « réparation qui est une coopération apostolique pour le salut du monde ».[221] De même, la consécration au Cœur du Christ « doit être envisagée en relation avec l’action missionnaire de l’Église, parce qu’elle répond au désir du Cœur de Jésus de répandre dans le monde, à travers les membres de son Corps, son dévouement total au Royaume ».[222] Par conséquent, à travers les chrétiens, « l’amour se répandra dans le cœur des hommes, pour que se construise le Corps du Christ qui est l’Église et que s’édifie aussi une société de justice, de paix et de fraternité ».[223]

207. Les flammes d’amour du Cœur du Christ se prolongent également dans l’œuvre missionnaire de l’Église qui porte l’annonce de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ. Saint Vincent de Paul l’a bien enseigné lorsqu’il invitait ses disciples à demander au Seigneur « ce cœur, ce cœur qui nous fait aller partout, ce cœur du Fils de Dieu, cœur de Notre-Seigneur, qui nous dispose à aller comme il irait [...] et nous envoie comme il envoie [les Apôtres] pour porter partout son feu ».[224]

208. Saint Paul VI, s’adressant aux Congrégations qui propageaient la dévotion au Sacré-Cœur, rappelait qu’ « il ne fait aucun doute que l’engagement pastoral et le zèle missionnaire brûleront plus intensément si les prêtres et les fidèles, pour propager la gloire de Dieu, contemplent l’exemple de l’amour éternel que le Christ nous a montré et orientent leurs efforts pour faire participer tous les hommes à l’insondable richesse du Christ ».[225] À la lumière du Sacré-Cœur, la mission devient une question d’amour, et le plus grand risque est que beaucoup de choses qui sont dites et faites dans cette mission ne parviennent pas à provoquer la rencontre heureuse avec l’amour du Christ qui embrasse et sauve.

209. La mission, comprise dans la perspective du rayonnement de l’amour du Cœur du Christ, a besoin de missionnaires amoureux, toujours captivés par le Christ et qui transmettent inlassablement cet amour qui a changé leur vie. Il leur sera alors pénible de perdre leur temps à discuter de questions secondaires ou à imposer des vérités et des règles. Leur souci majeur sera de communiquer ce qu’ils vivent, et surtout que d’autres puissent percevoir la bonté et la beauté du Bien Aimé à travers leurs pauvres tentatives. N’est-ce pas ce qui se passe avec toute personne amoureuse ? Prenons l’exemple des paroles par lesquelles Dante Alighieri, amoureux, tentait d’exprimer cette logique :

« Je dis qu’au seul penser de sa valeur

Amour en moi si doux se fait sentir,

que si alors je ne perdais courage

mon vers ferait les gens d’amour éprendre ».[226]

210. Parler du Christ, par le témoignage ou la parole, de telle manière que les autres n’aient pas à faire un grand effort pour l’aimer, voilà le plus grand désir d’un missionnaire de l’âme. Il n’y a pas de prosélytisme dans cette dynamique de l’amour : les paroles de l’amoureux ne dérangent pas, n’imposent pas, ne forcent pas. Elles poussent seulement les autres à se demander comment un tel amour est possible. Dans le plus grand respect de la liberté et de la dignité de l’autre, l’amoureux attend simplement qu’on lui permette de raconter cette amitié qui remplit sa vie.

211. Le Christ te demande, sans négliger la prudence et le respect, de ne pas avoir honte de reconnaître ton amitié pour Lui. Il te demande d’oser dire aux autres qu’il est bon pour toi de L’avoir rencontré : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux » (Mt 10, 32). Mais ce n’est pas une obligation pour le cœur aimant, c’est un besoin difficile à contenir : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16). « C’était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir, mais je n’ai pas pu » (Jr 20, 9).

En communion de service

212. Il ne faut pas penser à cette mission de communiquer le Christ comme s’il s’agissait d’une chose entre Lui et moi seuls. Elle se vit en communion avec la communauté et avec l’Église. Si nous nous éloignons de la communauté, nous nous éloignons aussi de Jésus. Si nous l’oublions et si nous ne nous en préoccupons pas, notre amitié avec Jésus se refroidit. Il ne faut jamais oublier ce secret. L’amour pour les frères de la communauté – religieuse, paroissiale, diocésaine, etc. – est comme un carburant qui alimente notre relation amicale avec Jésus. Les actes d’amour envers les frères et sœurs de la communauté peuvent être la meilleure et parfois la seule façon d’exprimer l’amour de Jésus-Christ aux autres. Le Seigneur lui-même le dit : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35).

213. Cet amour devient un service communautaire. Je ne me lasserai pas de rappeler que Jésus l’a exprimé avec une grande clarté : « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Il te propose de le trouver là aussi, dans chaque frère et chaque sœur, surtout les plus pauvres, les plus méprisés et les plus abandonnés de la société. Quelles belles rencontres !

214. Par conséquent, si nous nous engageons à aider quelqu’un, cela ne signifie pas que nous oublions Jésus. Au contraire, nous le rencontrons d’une autre manière. Et lorsque nous essayons de relever et de guérir quelqu’un, Jésus est là, à nos côtés. En fait, il est bon de se rappeler qu’en envoyant ses disciples en mission, « le Seigneur agissait avec eux » (Mc 16, 20). Il est là, travaillant, luttant et faisant le bien avec nous. D’une manière mystérieuse, c’est son amour qui se manifeste par notre service, c’est lui qui parle au monde dans ce langage qui parfois n’a pas de mots.

215. Il t’envoie faire le bien et t’y pousse de l’intérieur. Pour cela, Il t’appelle par une vocation de service : tu feras le bien comme médecin, comme mère, comme professeur, comme prêtre. Où que tu sois, tu pourras sentir qu’Il t’appelle et t’envoie vivre cette mission sur terre. Il nous dit lui-même : « Je vous envoie » (Lc 10, 3). Cela fait partie de l’amitié avec Lui. Pour que cette amitié mûrisse, tu dois te laisser envoyer par Lui pour remplir une mission dans le monde, avec confiance, avec générosité, avec liberté, sans peur. Si tu t’enfermes dans ton confort, cela ne te donnera pas de sécurité. Les peurs, les tristesses et les angoisses apparaîtront toujours. Celui qui ne remplit pas sa mission sur terre ne peut pas être heureux. Il devient frustré. Alors laisse-toi envoyer, laisse-toi conduire par Lui, là où Il veut que tu ailles. N’oublie pas qu’Il t’accompagne. Il ne te jette pas dans l’abîme et ne t’abandonne pas à ton sort. Il te conduit et t’accompagne. Il a promis et Il tient sa promesse : « Je suis avec vous pour toujours » (Mt 28, 20).

216. En un sens, il faut être missionnaire à la manière des apôtres de Jésus et des premiers disciples. Ils sont allés proclamer l’amour de Dieu. Ils sont allés dire que le Christ est vivant et qu’il vaut la peine de le connaître. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a vécu cela comme une partie inséparable de son offrande à l’Amour miséricordieux : « Je voulais donner à boire à mon Bien-aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes ».[227] Telle est aussi ta mission. Chacun la remplit à sa manière, et tu verras comment tu pourras être missionnaire. Jésus le mérite. Si tu l’oses, Il t’éclairera. Il t’accompagnera et te fortifiera, et tu vivras une expérience précieuse qui te fera beaucoup de bien. Peu importe que tu puisses voir des résultats, laisse cela au Seigneur qui travaille dans le secret des cœurs, mais ne cesse pas de vivre la joie d’essayer de communiquer l’amour du Christ aux autres.

CONCLUSION

217. Ce document nous a permis de découvrir que le contenu des encycliques sociales Laudato si’ et Fratelli tutti n’est pas étranger à notre rencontre avec l’amour de Jésus-Christ. En nous abreuvant de cet amour, nous devenons capables de tisser des liens fraternels, de reconnaître la dignité de tout être humain et de prendre soin ensemble de notre maison commune.

218. Aujourd’hui, tout s’achète et se paie, et il semble que le sens même de la dignité dépende de ce que l’on peut obtenir par le pouvoir de l’argent. Nous sommes pressés d’accumuler, de consommer et de nous distraire, prisonniers d’un système dégradant qui ne nous permet pas de voir au-delà de nos besoins immédiats et mesquins. L’amour du Christ est en dehors de cet engrenage pervers et Lui seul peut nous libérer de cette fièvre où il n’y a plus de place pour un amour gratuit. Il est en mesure de donner du cœur à cette terre et de réinventer l’amour, là où nous pensons que la capacité d’aimer est définitivement morte.

219. L’Église aussi en a besoin pour ne pas remplacer l’amour du Christ par des structures dépassées, des obsessions d’un autre âge, adoration de sa propre mentalité, des fanatismes de toutes sortes qui finissent par prendre la place de l’amour gratuit de Dieu qui libère, vivifie, réjouit le cœur et nourrit les communautés. Un fleuve qui ne s’épuise pas, qui ne passe pas, qui s’offre toujours de nouveau à qui veut aimer, continue de jaillir de la blessure du côté du Christ. Seul son amour rendra possible une nouvelle humanité.

220. Je prie le Seigneur Jésus-Christ que jaillissent pour nous tous de son saint Cœur ces fleuves d’eau vive qui guérissent les blessures que nous nous infligeons, qui renforcent notre capacité d’aimer et de servir, qui nous poussent à apprendre à marcher ensemble vers un monde juste, solidaire et fraternel. Et ce, jusqu’à ce que nous célébrions ensemble, dans la joie, le banquet du Royaume céleste. Le Christ ressuscité sera là, harmonisant nos différences par la lumière jaillissant inlassablement de son Cœur ouvert. Qu’il soit béni !

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 24 octobre 2024, en la douzième année de mon Pontificat.


[1] Une grande partie des réflexions de ce premier chapitre sont inspirées des écrits inédits du Père Diego Fares S.I. Que le Seigneur l’accueille dans sa sainte gloire.

[2] Cf. Homère, Iliade, 21, 441.

[3] Cf. Ibid., 10, 244.

[4] Cf. Timée 65 c-d ; 70.

[5] Homélie de la messe à Sainte Marthe, 14 octobre 2016: L’Osservatore Romano, 15 octobre 2016, p. 8.

[6] S. Jean-Paul II, Angélus, 2 juillet 2000 : L’Osservatore Romano, 3-4 juillet 2000, p. 4

[7] Id., Catéchèse, 8 juin 1994 : L’Osservatore Romano, 9 juin 1994, p. 5

[8] Les démons (1873).

[9] Religiöse Gestalten in Dostojewskijs Werk, Mainz/Paderborn 1989, p. 236.

[10] Karl Rahner, Einige Thesen zur Theologie der Herz-Jesu-Verehrung“, in Schriften zur Theologie, Band 3, Einsiedeln 1956, p. 392.

[11] Ibid., p. 393.

[12] Byung-Chul Han, Heideggers Herz. Zum Begriff der Stimmung bei Martin Heidegger, München 1996, p. 39.

[13] Ibid., p. 60; cf. p. 176.

[14] Cf. Id., Agonie des Eros, Berlin 2012.

[15] Martin Heidegger, Erläuterungen zu Hölderlins Dichtung, Frankfurt a. M. 1981, p. 120.

[16] Cf. Michel de Certeau, L’espace du désir, Christus, t. 20, n. 77, 1973, pp. 118-128.

[17] Itinerarium mentis in Deum, 7, 6 : Opera Omnia, Quaracchi 1891, t. 5, p. 313.

[18] Id., Proemium in I Sent., q. 3 : Opera Omnia, Quaracchi 1882, t. 1, p. 13.

[19] Méditations sur la doctrine chrétienne, Paris 2008, pp. 133.134.

[20] Const. past. Gaudium et spes, n. 82.

[21] Ibid., n. 10.

[22] Ibid., n. 14.

[23] Cf. Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Déc. Dignitas infinita (12 avril 2024), n. 8 : Cf. L’Osservatore Romano, 8 avril 2024.

[24] Const. past. Gaudium et spes, n. 26.

[25] S. Jean-Paul II, Angélus, 28 juin 1998 : L’Osservatore Romano, 30 juin-1er juillet 1998, p. 7.

[26] Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 83 : AAS 107 (2015), p. 880.

[27] Homélie de la messe à Sainte Marthe, 7 juin 2013: L’Osservatore Romano, 8 juin 2013, p. 8.

[28] Pie XII, Lett. enc. Haurietis aquas (15 mai 1956), I : AAS 48 (1956), p. 316.

[29] Pie VI, Const. Auctorem fidei (28 août 1794), n. 63 : Denz. n. 2663.

[30] Léon XIII, Lett. enc. Annum sacrum (25 mai 1899), n. 7 : AAS 31 (1898-99), p. 649.

[31] Ibid. : « Inest in Sacro Corde symbolum atque expressa imago infinitae Iesu Christi caritatis ».

[32] Angélus,9 juin 2013 : L’Osservatore Romano, 10-11 juin 2013, p. 8.

[33] On comprend donc pourquoi l’Église a interdit de placer sur l’autel des représentations du seul cœur de Jésus ou de Marie (cf. Réponse de la Congrégation des Rites au prêtre Charles Lecoq P.S.S., 5 avril 1879 : Decreta authentica Congregationis Sacrorum Rituum ex actis ejusdem Collecta, vol. III, 107.108, n. 3492). En dehors de la liturgie, « pour la dévotion privée » (ibid.), le symbolisme du cœur peut être utilisé comme une expression didactique, une figure esthétique ou un emblème qui invite à penser à l’amour du Christ, mais il y a un risque de prendre le cœur comme un objet d’adoration ou de dialogue spirituel séparément de la personne du Christ. Le 31 mars 1887, la Congrégation donne une réponse similaire (idem., 187, n. 3673).

[34] Conc. Œcum. de Trente, Sess. 25, Décr. Mandat Sancta Synodus (3 décembre 1563) : Denz. n. 1823.

[35] 5ème Conférence Générale de l’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin 2007), n. 259.

[36] Lett. enc. Haurietis aquas (15 mai 1956), I : AAS 48 (1956), pp. 323-324.

[37] Ep. 261, 3: PG 32, 972.

[38] In Io. homil. 63, 2 : PG 59, 350.

[39] De fide ad Gratianum, II, 7, 56 : PL 16, 594 (ed. 1880).

[40] Enarr. in Ps. 87, 3: PL 37, 1111.

[41] Cf. De fide orth. 3, 6.20 : PG 94, 1006.1081.

[42] Olegario González de Cardedal, La entraña del cristianismo, Secretariado Trinitario, Salamanca 2010, pp. 70-71.

[43] Angélus, 1er juin 2008 : L’Osservatore Romano, 2-3 juin 2008, p. 1.

[44] Pie XII, Lett. enc. Haurietis aquas (15 mai 1956), II : AAS 48 (1956), pp. 327-328.

[45] Ibid., n. 28 : AAS 48 (1956), pp. 343-344.

[46] Benoît XVI, Angélus, 1er juin 2008 : L’Osservatore Romano, 2-3 juin 2008, p. 1.

[47] Vigile, Const. Inter innumeras solicitudines (14 mai 553) : Denz. n. 420.

[48] Conc. Œcum. d’Ephèse, Anathèmes de Cyrille d’Alexandrie, n. 8 : Denz. n. 259.

[49] IIème Conc. Œcum.  de Constantinople, Sess. 8 (2 juin 553), Can. 9 : Denz. n. 431.

[50] Cantique spirituel A, Chant 23, 4 : Œuvres complètes, Paris 1959, p. 837.

[51] Ibid., 13, 4, pp. 769-770.

[52] Ibid., 12, 1, p. 764.

[53] « Pour nous en tout cas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père de qui tout vient et pour qui nous sommes » (1 Co 8, 6). « Gloire à ce Dieu, notre Père, dans les siècles des siècles ! Amen. » (Ph 4, 20). « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation » (2 Co 1, 3).

[54] Lett. ap. Tertio millennio adveniente (10 novembre 1994), n. 49 : AAS 87 (1995), p. 35.

[55] Ad Rom., 7 : PG 5, 694.

[56] « Il faut que le monde reconnaisse que j’aime le Père » (Jn 14, 31). « Moi et le Père nous sommes un » (Jn 10, 30). « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14, 10).

[57] « Je vais au Père » (pros ton Patéra : Jn 16, 28). « Moi, je viens à toi » (pros se : Jn 17, 11).

[58] « Eis ton kolpon tou Patrós ».

[59] Adv Haer 3, 18, 1 : PG 7, 932.

[60] In Joh. 2, 2 : PG 14, 110.

[61] Angelus, 23 juin 2002 : L’Osservatore Romano, 24-25 juin 2002, p. 1.

[62] S. Jean-Paul II, Message à l’occasion du centenaire de la Consécration du genre humain au Sacré Cœur réalisée par Léon XIII, Varsovie (11 juin 1999) : L’Osservatore Romano, 12 juin 1999, p. 5.

[63] Id., Angelus, 8 juin 1986, n. 4 : L’Osservatore Romano, 9-10 juin 1986, p. 5.

[64] Homélie lors de la visite à la Polyclinique Gemelli et à la Faculté de Médecine de l’Université Catholique du Sacré-Cœur (27 juin 2014) : L’Osservatore Romano, 29 juin 2014, p. 7.

[65] Ep 1, 5.7; 2, 18; 3, 12.

[66] Ep 2, 5.6; 4, 15.

[67] Ep 1, 3.4.6.7.11.13.15; 2, 10.13.21.22; 3, 6.11.21.

[68] Message à l’occasion du centenaire de la Consécration du genre humain au Sacré Cœur réalisé par Léon XIII, Varsovie, 11 juin 1999 : L’Osservatore Romano, 12 juin 1999, p. 5.

[69] « Quoniamque inest in Sacro Corde symbolum atque expressa imago infinitae Iesu Christi caritatis, quae movet ipsa nos ad amandum mutuo, ideo consentaneum est dicare se Cordi eius augustissimo: quod tamen nihil est aliud quam dedere atque obligare se Iesu Christo […]. En alterum hodie oblatum oculis auspicatissimum divinissimumque signum: videlicet Cor Iesu sacratissimum, superimposita cruce, splendidissimo candore inter flammas elucens. In eo omnes collocandae spes: ex eo hominum petenda atque expectanda salus » (Lett. enc., Annum sacrum [25 mai 1899] : AAS 31 [1898-99], pp. 649, 651 : Denz. n. 3353).

[70] « Car ce signe éminemment propice et la forme de dévotion qui en découle ne renferment-ils point la synthèse de la religion et la norme d’une vie d’autant plus parfaite qu’elle achemine les âmes à connaître plus profondément et plus rapidement le Christ Seigneur, à l’aimer plus ardemment et à l’imiter avec plus d’application et plus d’efficacité ? » (Lett. enc. Miserentissimus Redemptor [8 mai 1928],n. 3 : AAS 20 (1928), p. 167).

[71] « C’est par excellence un acte de la vertu de religion dans la mesure où il requiert de nous la volonté pleine et absolue de nous consacrer à l’amour du divin Rédempteur, dont le cœur blessé est le vivant témoignage et le signe […]. Et nous pouvons considérer en lui, non seulement le symbole, mais comme un résumé de tout le mystère de notre Rédemption. […] Le Christ montra expressément à plusieurs reprises son cœur comme le symbole qui conduira à reconnaître son amour ; et en même temps, il fit de son cœur un signe et un gage de miséricorde et de grâce pour les besoins de l’Église à notre époque ». (Lett. enc. Haurietis aquas [15 mai 1986], Proemio ; III ; IV : AAS 48 [1956], pp. 311, 336, 340).

[72] Catéchèse, 8 juin 1994, n. 2 : L’Osservatore Romano, 9 juin 1994, p. 5.

[73] Angélus, 1er juin 2008 : L’Osservatore Romano, 2-3 juin 2008, p. 1.

[74] Lett. enc. Haurietis aquas (15 mai 1956), IV : AAS 48 (1956), p. 344.

[75] Cf. Ibid. : AAS 48 (1956), p. 336.

[76] « La valeur des révélations privées est foncièrement diverse de l’unique révélation publique : celle-ci exige notre foi […]. Une révélation privée, […] c’est une aide qui nous est offerte mais il n’est pas obligatoire de s’en servir » (Benoît XVI, Exhort. ap. Verbum Domini [30 septembre 2010], n. 14 : AAS 102 [2010], p. 696).

[77] Lett. enc. Haurietis aquas (15 mai 1956), IV : AAS 48 (1956), p. 340.

[78] Ibid. : AAS 48 (1956), p. 344.

[79] Ibid.

[80] Exhort. ap. C’est la confiance (15 octobre 2023), n. 20 : L’Osservatore Romano, 16 octobre 2023.

[81] S. Thérèse de l’Enfant Jésus, Manuscrit autobiographique A, 83v° : Œuvres complètes, Cerf, Paris 1992, p. 211.

[82] S. Faustina Kowalska, Diaire, 22 février 1931.

[83] Cf. Mišna Sukkâ 4, 5.9.

[84] Lettre au Révérend Père Peter-Hans Kolvenbach, Préposé général de la Compagnie de Jésus, Paray-le-Monial, 5 octobre 1986 : L’Osservatore Romano, 7 octobre 1986, p. 9.

[85] Actes des martyrs de Lyon in Eusèbe de Césarée, Hist. eccles, 5, 1, 22 : PG 20, 418.

[86] Rufin, 5, 1, 22 in GCS Eusebius 2, 1, p. 411, 13s.

[87] S. Justin, Dial. 135 : PG 6, 787.

[88] Novatien, De Trinitate,29 : PL 3, 944. Cf. S. Grégoire d’Elvire, Tractatus Origenis de libris Sanctarum Scripturarum, 20, 12 : CCSL 69, 144.

[89] S. Ambroise, Expl. Ps. 1, 33 : PL 14, 983-984.

[90] Cf. Tract. in Joann. 61, 6 : PL 35, 1801.

[91] Epist. ad Rufinum, 3, 4.3 : PL 22, 334.

[92] Sermones in Cant. 61, 4 : PL 183, 1072.

[93] Cf. Expositio altera super Cantica Canticorum, c. 1 : PL 180, 487.

[94] Id., De natura et dignitate amoris, 1 : PL 184, 379.

[95] Id., Meditativae Orationes 8, 6 : PL 180, 230.

[96] S. Bonaventure, Opusculum 3, Lignum vitae,30, in Opera Omnia, Quaracchi 1898, t. 8, p. 79.

[97] Ibid., pp. 79-80.

[98] Legatus divinae pietatis, 4, 4, 4 : SCh, 255, p. 66.

[99] León Dehon, Directoire spirituel des prêtres du Sacré Cœur de Jésus, Turnhout 1936, 2, Ch. 7, n. 141.

[100] Le Dialogue ch. 75, Paris 1999, p. 126.

[101] Cf. Par exemple angelus Walz, De veneratione divini cordis Iesu in Ordine Praedicatorum, Rome 1937.

[102] Rafael García Herreros, Vida di San Juan Eudes, Bogotá 1943, p. 42.

[103] Id., Lettre à la Baronne de Chantal, 24 avril 1610 : Œuvres complètes, Annecy, Monastère de la Visitation, t. 14, p. 289.

[104] Id., Sermon pour le deuxième dimanche de Carême, 20 février 1622, t. 10, pp. 243-244.

[105] Id., Lettre à Mme de Chantal, 31 mai 1612, t. 15, p. 221.

[106] Id., Lettre à la Sœur de Blonay, 18 février 1618, t. 18, pp. 170-171.

[107] Id., Lettre à la Baronne de Chantal, fin novembre 1609, t. 14, p. 214.

[108] Id., Lettre à la Baronne de Chantal, vers le 25 février 1610, t.14, p. 253.

[109] Id., Entretien XII, De la simplicité et prudence religieuse, t.6, p. 217.

[110] Id., Lettre à la Mère de Chantal, 10 juin 1611, t. 15, p. 63.

[111] S. Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 53 : Vie et œuvre de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, Paris 1915, p. 69.

[112] Ibid.

[113] Ibid., n. 55, p.71.

[114] Cf. Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Normes procédurales pour le discernement de phénomènes surnaturels présumés, 17 mai 2024, I, A, 12.

[115] S. Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, n. 92, p. 102.

[116] Id., Lettre à Sœur de la Barge, 22 octobre 1689, pp. 468.

[117] Id., Autobiographie, n. 53, p. 69-70.

[118] Ibid., n. 55, p. 71.

[119] Sermon sur la confiance en Dieu : Œuvres du R.P. de La Colombière, t. 5, Lyon 1852, p. 100.

[120] Id., Retraite faite à Londres, 1-8 février 1677, Œuvres du R.P. de la Colombière, t.7, Avignon 1832, p. 93.

[121] Id., Retraite spirituelle faite à Lyon, octobre- novembre 1674, op. cit.,p. 45.

[122] Cf. S. Charles de Foucauld, Lettre à Madame de Bondy, 27 avril 1897.

[123] Id., Lettre à Madame de Bondy, 28 avril 1901 ; Cf.C. de Foucauld, Lettre à Madame de Bondy, 5 avril 1909 : « C’est par vous que j’ai connu et les expositions du Très Saint Sacrement et les bénédictions, et le Sacré-Cœur ! ».

[124] Id., Lettre à Madame de Bondy, 7 avril 1890.

[125] Id., Lettre à l’Abbé Huvelin, 27 juin 1892.

[126] Id., Méditations sur l’Ancien Testament (1896-1897), Genèse 30, 1-21.

[127] Id., Lettre à l’Abbé Huvelin, 16 mai 1900.

[128] Id., Diaire, 17 mai 1906.

[129] Lettre 67 à Mme Guérin, 18 novembre 1888 : Œuvres Complètes, Paris 1996, p. 362.

[130] Id., Lettre 122, à Céline,14 octobre 1890, p. 431.

[131] Id., Poésie 23, “Au Sacré Cœur de Jésus”, juin ou octobre 1895, pp. 690-691.

[132] Id., Lettre 247, à l’abbé Maurice Bellière, 21 juin 1897, pp. 603-604.

[133] Id., Derniers entretiens, Carnet jaune, 11 juillet 1897, p. 1037.

[134] Id., Lettre 197, à Sœur Marie du Sacré-Cœur, 17 septembre 1896, pp. 552- 553. Cela ne veut pas dire que Thérèse n’a pas offert des sacrifices, ses douleurs et ses angoisses pour s’associer à la souffrance du Christ, mais lorsqu’elle a voulu entrer dans le vif du sujet, elle a veillé à ne pas donner à ces offrandes une importance qu’elles n’avaient pas.

[135] Id., Lettre 142, à Céline, 6 juillet 1893, p. 463.

[136] Id., Lettre 191, à Léonie, 12 juillet 1896, pp. 542-543.

[137] Id., Lettre 226, au Père Roulland, 9 mai 1897, pp. 588-589.

[138] Id., Lettre 258, à l’abbé Maurice Bellière, 18 juillet 1897, p. 615.

[139] S. Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n. 104.

[140] Ibid., n. 297.

[141] Cf. Lettre à S. Ignace, 23 janvier 1541.

[142] De Vita P. Ignatii et Societatis Iesu initiis, c. 8, 96, Bilbao-Santander 2021, p. 147.

[143] S. Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n. 54.

[144] Cf. Ibid., nn. 230 ss.

[145] 23ème Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, Déc. 46, 1 : Institutum Societatis Iesu, 2, Florence, 1893, p. 511.

[146] In Lui solo la speranza, Milano 1983, p. 180.

[147] Lettre au Préposé général de la Compagnie de Jésus, Paray le Monial, 5 octobre 1986.

[148] Conférence 132 “la pauvreté”, 13 août 1655 : S. Vincent de Paul, Correspondance, Entretiens, Documents, II Entretiens, t. 11, Paris, 1923, p. 247.

[149] Id., Conférence 89 “la Mortification, la correspondance, les repas, les sorties”, 9 décembre 1657 : S. Vincent de Paul Correspondance, Entretiens, Documents, II Entretiens, t. X, Paris 1923, p. 407.

[150] S. Daniele Comboni, Scritti, 3324 : Daniele Comboni, Gli scritti, Bologna 1991, p. 998.

[151] Cf. Homélie de la messe de canonisation, 18 mai 2003 : L’Osservatore Romano, 19-20 mai 2003, p. 6.

[152] Lett. enc. Dives in misericordia (30 novembre 1980), n. 13 : aas 72 (1980), p. 1219.

[153] Catéchèse, 20 juin 1979 : L’Osservatore Romano, 22 juin 1979, p. 1.

[154] Missionnaires Comboniens du Cœur de Jésus, Règle de vie, Constitutions et Directoire général,Rome 1988, 3.

[155] Religieuses de la société du Sacré-Cœur, Constitutions de 1982, n. 7.

[156] Lett. enc. Miserentissimus Redemptor (8 mai 1928) : AAS 20 (1928), p. 174.

[157] Lorsque la vertu de la foi est exercée, orientée vers le Christ, l’âme accède non seulement aux idées, mais aussi à la réalité de sa vie divine (cf. S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, 3, 4, 1).

[158] Lett. enc. Miserentissimus Redemptor (8 mai 1928) : AAS 20 (1928), p. 174.

[159] Homélie de la Messe Chrismale, 28 mars 2024 : L’Osservatore Romano, 28 mars 2024, p. 2

[160] S. Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n. 203.

[161] Homélie de la Messe Chrismale, 28 mars 2024 : L’Osservatore Romano, 28 mars 2024, p. 2.

[162] S. Marguerite-Marie Alacoque, Autobiographie, Op.cit, pp. 71-72.

[163] Id., Lettre au R.P. Croiset, 3 novembre 1689, pp. 576-577.

[164] Id., Autobiographie, n. 92, p. 102.

[165] Lett. enc. Annum sacrum (25 mai 1899), n. 8 : ASS 31 (1898-99), p. 649.

[166] Julien, Ep. 49 ad Arsacium Pontificem Galatiae, Antioche, hiver 362-363 : Mainz 1828, pp. 90-91

[167] Ibid.

[168] Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Décl. Dignitas infinita (2 avril 2024), n. 19 : L’Osservatore Romano, 8 avril 2024.

[169] Cf. Benoît XVI, Lettre au Préposé général de la Compagnie de Jésus pour 50ème anniversaire de l’Encyclique Haurietis aquas (15 mai 2006) : AAS 98 (2006), 461.

[170] In Num. Homil. 12, 1: PG 12, 657.

[171] Epist. 29, 24 : PL 16, 1060.

[172] Adv. Arium 1, 8 : PL 8, 1044.

[173] Cf. Tract. In Joannem 32, 4 : PL 35, 1643.

[174] Expos. in Ev. S. Joannis, cap. 7, lectio 5.

[175] Pie XII, Lettre Encyclique Haurietis Aquas (15 mai 1956), II : AAS 48 (1956), p. 321.

[176] S. Jean Paul II, Lettre encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987), n. 38 : AAS 79 (1987), p. 411.

[177] Conc. Ecum. Vat II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 62.

[178] Ibid., n. 60.

[179] Sermones super Cant., 20, 4 : PL 183, 869.

[180] Introduction à la vie dévote, 3ème part. chap. 35 : S. Francois de Sales, Œuvres, Gallimard, Paris 1969, pp. 226-227.

[181] Id., Sermon pour le 17ème dimanche après la Pentecôte, Œuvres complètes, Annecy, Monastère de la Visitation, t. 9, pp. 200.201.

[182] Retraite à Nazareth, Jésus en sa Passion, du 5 au 15 novembre 1897.

[183] À partir du 19 mars 1902, toutes ses lettres ont pour entête les mots Jesus Caritas séparés d’un cœur surmonté de la croix.

[184] Id. Lettre à l’abbé Huvelin, 15 juillet 1904 : Charles de Foucauld, Œuvres spirituelles, Paris 1958, p 675.

[185] Cf. Id. Lettre à Dom Martin, 25 janvier 1903 (Cahiers Charles de Foucauld, vol. 2, p. 154).

[186] Cité par René Voillaume, Les fraternités du Père de Foucauld, Paris, 1946, p. 173.

[187] S. Charles de Foucauld, Méditation des saints Évangiles sur les passages relatifs à quinze vertus, Charité, (Mt 20, 28) Nazareth 1897-1898.

[188] Ibid., (Mt 27, 30).

[189] H. Huvelin, Quelques directeurs d’âmes au XVII siècle, Paris 1911, p. 97.

[190] Conférences, Service au malades et soin de sa santé, 11 novembre 1657 : S. Vincent de Paul, Correspondance, Entretiens, Documents, II Entretiens, t. 10, p. 334

[191] Id., Règles communes, II, 6.

[192] S. Jean-Paul II, Lettre au Préposé Général de la Compagnie de Jésus, Paray-le-Monial, 5 octobre 1986 : L’Osservatore Romano, 6 octobre 1986, p. 7.

[193] Id., Exhort. ap. post. syn. Reconciliatio et Paenitentia (2 décembre 1984), n. 16 : AAS 77 (1985), p. 215.

[194] Cf. Id.,Lett. enc. Sollicitudo Rei Socialis (30 décembre 1987), n. 36 : AAS 80 (1988), pp. 561-562.

[195] Id., Lett. enc. Centesimus annus (1 mai 1991), n. 41 : AAS 83 (1991), p.845.

[196] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1888.

[197] Cf. Catéchèse, 8 juin 1994 : L’Osservatore Romano, 9 juin 1994, p. 5.

[198] Discours aux participants au colloque “réparer l’irréparable”, pour les 350 ans des apparitions de Jésus à Paray-le-Monial, 4 mai 2024 : L’Osservatore Romano, 4 mai 2024, p. 12.

[199] Ibid.

[200] Homélie de la messe à Sainte Marthe, 6 mars 2018 : L’Osservatore Romano, 5-6 mars 2018, p. 8.

[201] Discours aux participants au colloque “réparer l’irréparable”, pour les 350 ans des apparitions de Jésus à Paray-le-Monial, 4 mai 2024 : L’Osservatore Romano, 4 mai 2024, p. 12.

[202] Homélie de la messe Chrismale, 28 mars 2024 : L’Osservatore Romano, 28 marzo 2024, p. 2.

[203] Ibid.

[204] Ibid.

[205] Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 80 : AAS 107 (2015), p. 879.

[206] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1085.

[207] Ibid., n. 268.

[208] Autobiographie, n 53 : Vie et œuvre de la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, Paris 1915, p. 69.

[209] Ms A, 84r°, p. 212.

[210] Ibid.

[211] Ibid.

[212] Id., Ms A, 83v°, p. 211 ;Cf. Lettre 226, au Père Roulland, 9 mai 1897, p. 588.

[213] Id., Offrande de moi-même comme Victime d’Holocauste à l’Amour Miséricordieux du Bon Dieu, p. 965.

[214] Id., Ms B, 3v°, p. 226.

[215] Id., Lettre 186, à Léonie, 11 avril 1896, p. 535.

[216] Id., Lettre 258, à l’abbé Bellière, 18 juillet 1897, p. 615.

[217] Cf. Pie XI, Lett. enc. Miserentissimus Redemptor (8 mai 1928) : AAS 20 (1928), p. 169.

[218] Ibid.

[219] S. Jean-Paul II, Catéchèse, 20 juin 1979 : L’Osservatore Romano, 22 juin 1979, p. 1.

[220] Homélie de la messe à Sainte Marthe, 27 juin 2014: L’Osservatore Romano, 28 juin 2014, p. 8.

[221] Message à l’occasion du centenaire de la consécration du genre humain au Sacré Cœur réalisé par Léon XIII, Varsovie, 11 juin 1999 : L’Osservatore Romano, 12 juin 1999, p. 5.

[222] Ibid.

[223] Lettre à l’Archevêque de Lyon pour le centenaire de la consécration du genre humain au Cœur de Jésus, 4 juin 1999 : L’Osservatore Romano, 12 juin 1999, p. 4.

[224] Répétition d’oraison, 22 août 1655 : S. Vincent de Paul Correspondance, Entretiens, Documents II, Entretiens, t. 11, p. 291.

[225] Lett. Diserti interpretes, (5 mai 1965), n. 4 : Enchiridion della Vita Consacrata, Bologne-Milan 2001, n. 3809.

[226] Vita Nova, 19, 5-6.

[227] Ms A, 45v°, Op. cit, p. 143.

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