Pourquoi y a-t-il quatre évangiles ?

Contrairement à ce que l’on pense souvent, les premières hérésies de l’ère chrétienne ne concernent pas la nature du Christ ou sa divinité. Ces questions fondamentales pour essayer de comprendre qui est Dieu agitent le IVe siècle. Avant cela, dès le début du IIe siècle, Marcion est écarté de l’Église parce qu’il promeut une rupture radicale avec les traditions juives, opposant le Dieu violent et jaloux de ce qui n’est pas encore l’Ancien testament avec le Dieu d’amour du nouveau. 

Quelques années plus tard, un autre intellectuel chrétien crée la polémique en écrivant le Diatessaron (littéralement "à travers quatre") qui est une compilation des quatre évangiles (Marc, Matthieu, Luc et Jean) pour n’en faire qu’un. La démarche de Tatien, son auteur, a donné naissance à une chose condamnée par saint Augustin : le tatianisme, qui consiste à vouloir améliorer les récits de la vie du Christ en mélangeant les textes pour en avoir la meilleure version possible. 

Pour l’évêque d’Hippone, que la vie du Sauveur ne soit pas univoque correspond à la parole du psalmiste : "Dieu a dit une chose, deux choses que j'ai entendues." (Ps 61, 12) Pour accéder à la richesse de la vérité divine, nos capacités humaines sont limitées, et la multiplicité des points de vue est une manière de l’approcher, sans pouvoir jamais la posséder. En somme, s’il existe un seul Évangile (au sens propre de Bonne nouvelle), il se donne à voir en plusieurs évangiles.

Cette raison spirituelle ne doit pas faire fi du caractère historique de ce choix, parce qu’il pourrait aussi y avoir plus de quatre évangiles. Il s’agit ici de comprendre le processus de ce qu’on appelle la canonisation, c’est-à-dire la mise en forme progressive de la Bible catholique telle que nous la connaissons. Celle-ci est le fruit de la vie des premières communautés chrétiennes et de leurs traditions, en même temps que de l’émergence d’une autorité hiérarchique dans les premiers temps de l’Église. 

Si les autres récits de la vie du Christ – appelés apocryphes – n’ont pas été retenus, c’est parce qu’il a semblé à nos prédécesseurs qu’ils n’étaient pas inspirés par l’Esprit saint. Cela ne leur ôte pas toute valeur, mais la vie spirituelle, le temps, la tradition, la liturgie, ont amené les disciples de Jésus, dès le IIe siècle, à voir dans les récits de Marc, Matthieu, Luc et Jean, la Parole de Dieu, donnée aux hommes pour leur révéler son dessein bienveillant. Dans la tradition biblique, le chiffre quatre, celui du carré, est d’ailleurs le symbole de la terre et de l’humanité, de la finitude, quand le trois est celui de la divinité, du cercle, de l’infini. Une convenance déjà remarquée par saint Irénée dans son ouvrage Contre les hérésies : "Il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d'évangiles. En effet, puisqu'il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d'autre part, l'Église est répandue sur toute la terre et qu'elle a pour colonne et pour soutien l'Évangile et l'Esprit de vie, il est naturel qu'elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l'incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D'où il appert que le Verbe, Artisan de l'univers, qui siège sur les Chérubins et maintient toutes choses, lorsqu'il s'est manifesté aux hommes, nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit."