Les dernières attaques contre l’enseignement privé, très majoritairement catholique, sous le motif qu’une école « privée », a fortiori « confessionnelle » ne peut recevoir des fonds publics ranime un vieux débat. Pour discerner les bonnes réponses aux questions posées, il convient de revenir sur quelques formulations actuelles qui, bien que progressivement consacrées par l’usage, par facilité, par ignorance, ou par naïveté, biaisent la réflexion et masquent les bonnes réponses.
Le droit de créer des écoles
Depuis quelques années, il apparaît normal, y compris au sein de l’Enseignement catholique, de considérer que les écoles catholiques sont « en délégation de service public », motif pour lequel elles reçoivent légitimement des fonds publics. Le contrat devient alors le signe public de cette délégation et son expression légale. S’il est plus facile ainsi de légitimer les fonds publics, c’est au prix d’un abandon fondamental : celui de la liberté scolaire. Reconnaître pour les écoles catholiques une « délégation de service public » pour légitimer l’obtention de fonds publics consacre dans son principe le monopole de l’État puis que l’on reconnaît que c’est l’État qui est au principe de l’éducation et qu’il peut déléguer ce service public à des partenaires privés.
C’est reconnaître que l’origine du droit de créer des écoles, sa source, son principe premier est du côté de l’État et non des parents ou de l’Église. Consacrer ce monopole, c’est permettre toutes les évolutions législatives et réglementaires qui iront dans le sens d’un contrôle abusif de l’État, dans des domaines qui ne relèvent pas de sa compétence.
Reconnaître ou conférer ?
Cette acceptation d’une « délégation de service public » n’est pas l’enseignement social de l’Église, qui dit ceci : « L’école catholique accomplit un service d’utilité publique et, bien que clairement et ouvertement configurée selon les perspectives de la foi catholique, elle n’est nullement réservée aux seuls catholiques, mais est ouverte à tous ceux qui semblent apprécier et partager une proposition éducative qualifiée » (Document : L’école catholique au seuil du troisième millénaire, 1997). Autrement dit, le contrat « Loi Debré » reconnaît l’utilité publique des écoles catholiques qui préexistent dans la nature même de ces écoles ouvertes à tous, mais ne lui confère pas cette dimension d’utilité publique. Entre « reconnaître » et « conférer », la nuance est de taille. En d’autres termes, ce n’est pas par le contrat d’association avec l’État qui fait que l’école privée catholique rend un service public, elle le rend par sa nature même d’école ouverte à tous. Le contrat n’est pas créateur du service public rendu par l’école catholique, il est la reconnaissance publique d’une réalité de service public qui lui préexiste…
On voit bien le renversement de perspective. L’association au service public se réalise moins par une délégation de service public que par la reconnaissance par le contrat du caractère public de l’école privée catholique. C’est à la lumière de ce principe auquel il ne faut pas renoncer, que la participation financière de l’État trouve son fondement légitime. La doctrine sociale de l’Église l’exprime fort bien : « Les pouvoirs publics, dont le rôle est de protéger et de défendre les libertés des citoyens, doivent veiller à la justice distributive en répartissant l’aide des fonds publics de telle sorte que les parents puissent jouir d’une authentique liberté dans le choix de l’école de leur enfant selon leur conscience » (Gravissimum Educationis, n. 6).
Glissement sémantique
Ainsi donc, la participation financière de l’État consiste à reconnaître, dans un acte de justice distributive, le service public rendu de fait par l’école privée catholique. Renoncer à cette reconnaissance, et accepter trop facilement le glissement sémantique de « délégation de service public », c’est se placer dans une relation de dépendance qui conduit nécessairement à la disparition de la liberté scolaire. Les mots ont un sens. Faire passer le mot, c’est faire passer ce qu’il signifie. Renoncer, par facilité, par ignorance ou par naïveté, à défendre et à promouvoir un champ lexical qui permet de défendre la liberté scolaire dans son principe, c’est se priver des outils conceptuels qui permettront de défendre, dans son principe, cette même liberté.