L’enjeu du scrutin et le calendrier chargé des week-ends estivaux ont poussé de nombreux électeurs à établir des procurations en vue des élections législatives anticipées qui se déroulent le 30 juin et le 7 juillet prochains. En effet, plus d’un million de procurations ont été enregistrées entre le 10 et le 20 juin, soit "6,2 fois plus de procurations" entre J-20 et J-10 avant le premier tour que pour les élections législatives de 2022, selon le ministère de l’Intérieur. Chaque mandataire ne pouvant disposer que d’une seule procuration établie en France (et deux si l’une est établie à l’étranger), une véritable course contre la montre est engagée !
Recevoir une procuration n’est pas anodin. C’est un geste qui engage à plusieurs points de vue. Cela suppose de respecter la consigne de vote qui a été donnée, ainsi que la confidentialité du vote que garantit habituellement l’isoloir. Richard, habitant du Val d’Oise, a accepté de porter la voix d’un ami pour le premier tour des législatives, avant même de connaître son intention de vote. "Je respecterai scrupuleusement la consigne, quelle qu'elle soit ! Et la garderai totalement confidentielle. C'est une marque de confiance qui fait écho à la confiance qui m'est faite", confie-t-il. Une question de confiance et de parole donnée, entre membres d'une même famille le plus souvent, mais aussi entre amis, entre voisins ou entre collègues.
Un sérieux dilemme
Un engagement qui peut néanmoins entraîner un sérieux dilemme moral. Et si vous acceptez la procuration d’une personne dont l’intention de vote est éloignée de la vôtre ? En ce cas, vous vous demandez peut-être quel est le meilleur bien : voter en conscience pour l'avenir de son pays ou honorer la confiance qui vous est faite ? Où doit aller votre loyauté ?
Moralement, la réponse est assez claire. Elle tient à la définition du mot "procuration". Une procuration permet au mandant "d’exercer son droit de vote" (art. L71 du Code électoral). Accepter une procuration, c’est donner sa parole pour permettre à un électeur d’exercer un droit civique. Ne pas respecter une consigne de vote revient donc à trahir cette parole et à usurper un droit. Accepter une procuration est un "oui" total. Cela ne peut pas être "oui, je prends ta voix, mais je vote pour qui je veux". "Que votre parole soit “oui”, si c’est “oui”, “non”, si c’est “non”. Ce qui est en plus vient du Mauvais" (Mt 5,37), dit Jésus dans son sermon sur la montagne. Une parole qui ouvre par ailleurs une nouvelle perspective dans la résolution de notre dilemme : la possibilité de dire non.
La solution pour rester libre face à un conflit de loyautés consiste effectivement à refuser une procuration. C’est ce à quoi s’est finalement résolu Jacques, homme d’affaires parisien. "Je ne peux pas prendre la procuration de ma fille ! Nous avons des opinions politiques totalement divergentes ! C’est inenvisageable pour moi, je ne pourrai pas respecter son choix, et je ne veux pas en être complice !", s’exclame-t-il. Une manière pour lui de rester cohérent par rapport à ses convictions politiques sans abîmer la relation de confiance avec sa fille. "Que je refuse de prendre sa procuration, elle s’en remettra vite ! En revanche, si je ne respecte pas sa consigne de vote, ça, elle m’en voudra longtemps !"