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Joseph Ratzinger: “Les morts du Débarquement nous mettent en garde”

Cimetière en Normandie

Le cimetière de La Cambe où Benoît XVI s'était rendu en 2004 pour les 60 ans du Débarquement.

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Jean-Baptiste Noé - publié le 05/06/24
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Le 6 juin 2004, le cardinal Joseph Ratzinger représentait Jean Paul II aux cérémonies du 60e anniversaire du Débarquement. Devant les tombes du cimetière allemand de la Cambe, le légat du Pape a rappelé les racines chrétiennes de l’Europe et de l’État de droit. Et si nous perdions nous aussi les fondements du droit ? Un vibrant plaidoyer pour la paix en forme d’avertissement qui n’a pas pris une ride.

Pour le 60e anniversaire du débarquement, Jean Paul II avait mandaté son préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi pour le représenter et parler au nom de l’Église lors des différentes cérémonies officielles. Le symbole était puissant : jeune allemand affecté à 16 ans (1943) dans une batterie de défense anti-aérienne, il fut fait prisonnier par les Américains et passa plusieurs mois en camp de prisonniers. Comme Allemand, le Débarquement signifiait le début de la défaite de son pays. Mais comme catholique opposant au nazisme, il était aussi la promesse de la fin du régime qui martyrisait l’Allemagne et l’Europe. Ces sentiments mêlés, ceux du soutien à son pays et ceux de l’espérance de la fin des combats, s’exprimèrent lors de sa visite le 5 juin du cimetière allemand de la Cambe (Calvados). Face à ces croix noires massives, plantées dans un gazon d’un vert étincelant, que peut penser le chrétien? Que peut dire le pasteur ? Parmi ces Allemands morts, certains étaient des soutiens actifs du régime nazi, d’autres avaient été enrôlés par force. Le discours de la Cambe n’est pas le plus connu de Ratzinger. C’est pourtant, en quelques lignes, une synthèse de sa pensée et une admirable réflexion sur le droit et sur la paix des nations. 

De la guerre à la réconciliation 

"C’est le moment de nous mettre à genoux, plein de respect, devant les morts de la Deuxième Guerre mondiale, nous rappelant les innombrables jeunes gens de notre patrie, leur devenir, leurs espérances détruites au cours de ces sanglants massacres de la guerre. "En débutant son allocution par ce "mettons-nous à genoux", le cardinal Ratzinger reprend la prière universelle du Vendredi saint, ce moment où l’Église pleure la mort du Sauveur, tout en ayant en tête l’espérance de la Résurrection à venir. Les mêmes sentiments traversent les personnes présentes aux commémorations : la douleur de la mort de cette jeunesse, mais l’espérance de leur résurrection et que ces vies ne furent pas données en vain. 

Ce sont des aspirations légitimes, celles de défendre sa patrie, qui ont ici été détournées à des fins malsaines : "En tant qu’Allemands, nous sommes douloureusement frappés à la pensée que leur élan, leur idéal, leur loyauté envers l’État aient été instrumentalisés par un régime sans justice." Ces morts ne furent pas vaines parce que sur ces tombes est née la réconciliation entre la France et l’Allemagne, qui a permis la paix du continent : "Mais si c’est l’heure du chagrin et de l’examen de conscience, c’est aussi le moment d’une profonde gratitude, car sur ces tombes est née la réconciliation." Une réconciliation qui n’allait pas de soi et qui fut permise par des hommes politiques chrétiens qui en fondant l’Europe voulaient renouer avec ce sens chrétien de l’histoire : 

Si la politique de la réconciliation a triomphé, cela est dû au mérite de toute une génération d’hommes politiques : rappelons-nous les noms de Adenauer, Schumann, De Gasperi, De Gaulle. C’étaient des personnes intelligentes, capables d’objectivité, douées d’un sain réalisme politique. Mais ce réalisme s’enracinait dans le solide terrain de l’ethos chrétien, qu’ils reconnaissaient comme l’ethos de la raison. Ethos d’une raison éclairée et rendue plus fine. Ils savaient bien que la politique ne pouvait être pur pragmatisme, mais qu’elle comportait une dimension morale : la politique vise la justice et, avec elle, la paix.

La renaissance de l’Europe dans le christianisme

La paix des nations est permise par la justice et l’État de droit, qui trouvent eux-mêmes leur source dans le christianisme :

Mais d’où proviennent les critères essentiels de la justice ? Où pouvons-nous les trouver ? Pour ces hommes, il était évident que les dix commandements constituent le point de référence fondamentale pour la justice, valable à toutes les époques ; ils avaient relu, approfondi, réinterprété cette référence à la lumière du message chrétien.

Un christianisme qui a non seulement permis la naissance de l’Europe, mais qui lui a aussi redonné la vie après les deux conflits ravageurs :

Le rôle historique de la foi chrétienne dans le retour de l’Europe à la vie est incontestable. C’est le grand mérite du christianisme, non seulement d’avoir donné naissance à l’Europe après le déclin de l’Empire gréco-romain et après la période des invasions barbares. Et la renaissance de l’Europe, après la Seconde Guerre mondiale, s’enracine également dans le christianisme, et donc dans la responsabilité de l’homme devant Dieu : nous en avons bien conscience, là réside le fondement ultime de l’État de droit ainsi que le stipule clairement la Constitution allemande, établie après la chute du nazisme.

Sens de la justice et de l’État de droit

Si la paix s’enracine dans un droit justement compris, le détournement du droit conduit à un détournement de l’État et à un usage de la machine administrative à des fins qui peuvent être destructrices :

Les morts de la Cambe nous interpellent : ils sont dans la paix de Dieu, mais ils ne cessent de nous demander : “Et vous, que faites-vous pour la paix ?”. Ils nous mettent en garde devant un État susceptible de perdre les fondements du droit et d’en couper les racines.

Des mots prononcés en 2004, dans le calme d’un cimetière normand au printemps, et qui résonnent toujours vingt ans après face à des lois, certes légalement votées, mais qui détournent le sens du droit et menacent la paix sociale.

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