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Comment défendre à la fois la souveraineté française et une souveraineté européenne ?

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Le parlement européen, à Strasbourg.

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Xavier Patier - publié le 31/01/24
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Le nouveau Premier ministre français, Gabriel Attal, voit "l’identité" de son gouvernement dans la "reconquête de la souveraineté française et européenne". De quelle souveraineté, de quelle France et de quelle Europe parle-t-il ? s’interroge l’écrivain Xavier Patier.

Il y a vingt-cinq ans, les derniers gaullistes historiques faisaient songer aux vétérans de l’Empire qui, sous la Seconde République, se retrouvaient chez l’un de ceux "qui avaient vu l’Empereur". Mais ces réunions d’anciens grognards préparaient une politique de nostalgie, le coup d’État, la guerre, le désastre de Sedan, tandis que les héros de l’épopée gaullienne "qui avaient vu le Général" n’avaient pas de projet. Ils se donnaient rendez-vous rue de Solférino, non pas au siège du tout puissant Parti socialiste, mais juste en face, dans les locaux de la Fondation Charles-de-Gaulle où l’on découvrait une concentration émouvante d’intelligence, de courage, de grands noms et de grand âge. Cependant, on comprenait vite que la politique ne se fabriquait pas de ce côté-ci de la rue. De Gaulle l’avait prédit : "Tout ça va finir, et après on retournera à la politique…"

Du sens à la souveraineté française

Que restait-il de "tout ça" dans la droite du début du XXIe siècle ? À la vérité pas grand-chose. Le gaullisme était désormais partout et nulle part. La politique avait repris ses droits. Maurice Druon pestait seul dans son monastère au milieu des vignes. Pierre Lefranc expliquait que le gaullisme avait disparu avec son fondateur. Jean Charbonnel dépensait son énergie à excommunier les hérétiques. Pendant ce temps les anciens adversaires du général, de droite comme de gauche, découvraient la route de Colombey. Ils déposaient des fleurs sur la tombe du géant qui avait cessé de leur faire peur et pouvait même leur apporter quelques voix. Ils professaient un gaullisme à la carte qui exaspérait le carré des fidèles. Jacques Chirac affirmait que le RPR n’était pas l’héritier du général de Gaulle pour cette simple raison que tous les Français l’étaient. "Nous ne sommes pas ses héritiers, nous sommes ses disciples", précisait-il. 

Disciples, certes. Mais de qui donc étions nous les disciples ? D’un homme qui avait donné du sens à l’idée de la souveraineté nationale. De Gaulle au pouvoir était haï par la bourgeoisie orléaniste, suspecté par la droite bonapartiste, vomi par les socialistes, vénéré seulement par les pauvres et par les jeunes nations fragiles qu’on appelait le tiers-monde. Les déshérités du monde entier regardaient de Gaulle avec ferveur ; les riches ne l’aimaient pas. Pour De Gaulle, défendre à la fois la souveraineté française et la construction européenne était cohérent, car l’Europe qu’il construisait n’avait peu à voir avec ce qu’est devenue aujourd’hui l’Union européenne. Les forces vives de la Commission étaient de formation et de langue françaises. Le couple franco-allemand, équilibré, était aux mains de deux dirigeants chrétiens. La Politique agricole commune (PAC) était attelée à la tâche de bâtir notre souveraineté alimentaire par le soutien des prix, et l’agriculture française se trouvait grâce à elle au premier rang mondial. La convention de Lomé donnait des perspectives à la coopération avec l’Afrique avec un succès qui fit un jour s’émerveiller Jacques Chirac en privé : "Lomé, ce sont des fonds européens dépensés pour un bénéfice politique français." La construction européenne était, selon De Gaulle lui-même, le "levier d’Archimède" qui permettrait à la France de retrouver la première place qu’elle avait perdu en 1815.

Une lente déconstruction

Comme tout cela est loin ! L’adhésion de la Grande-Bretagne, acceptée par Georges Pompidou en 1972, fut le déclencheur d’une lente déconstruction : l’Europe des nations élargie, diluée, tourna au projet libéral atlantiste, de plus en plus imprégné d’idéologie libertaire. Le Premier ministre Eward Heath avait promis à Georges Pompidou qu’en contrepartie du soutien français à l’adhésion de son pays à la CEE, il allait contribuer par tous ses moyens académiques à imposer la francophonie dans les institutions européennes. Aucun fonctionnaire britannique ne serait envoyé à Bruxelles sans être parfaitement francophone. Nous savons ce qu’il en est advenu. 

La lutte de nos agriculteurs nous rappelle que les scrutins européens ne sont pas seulement un sondage en grandeur réelle à usage interne, mais un choix décisif pour l’avenir du continent.

Qu’en est-il du projet gaulliste aujourd’hui en Europe ? Tous les républicains de France sont orléanistes ou bonapartiste, ironisait Adolphe Thiers. René Rémond, qui l’avait bien lu, a théorisé le fait que la droite française est divisée en trois sensibilités : la droite légitimiste, la droite bonapartiste et la droite orléaniste. La première aime nos racines chrétiennes. La deuxième aime l’État. La troisième aime l’argent. Ces trois droites ont peu de choses en commun. Les légitimistes s’affligent du saccage de notre roman national, mais se moquent de l’argent. Les bonapartistes veulent de l’ordre mais se soucient peu de nos racines chrétiennes. Les orléanistes aiment le libre échange mais ignorent les légitimistes et se méfient des bonapartistes. Le gaullisme avait su faire tenir ces trois droites ensemble, en leur donnant un projet européen. Il réunissait des légitimistes comme Roger Frey, des bonapartistes comme Michel Debré, des orléanistes comme Valéry Giscard d’Estaing, et même des hommes de centre-gauche imprégnés de la doctrine sociale de l’Église, comme Jacques Chaban-Delmas ou Edmond Michelet. Le gaullisme, c’était l’Europe et c’était la patrie. 

Une autre Europe

Comme l’empire carolingien après la mort de Charlemagne, le gaullisme après la mort de son inspirateur a été partagé en trois. Les légitimistes se sont rappelés qu’ils étaient de droite. Les bonapartistes se sont dispersés. Les orléanistes ont porté Valéry Giscard d’Estaing au pouvoir pour former une éphémère Lotharingie libérale. Les tentatives de réunir les trois blocs à travers une plateforme commune européenne en 1993 firent long feu. Une partie de la droite gaulliste a fini par se trouver des affinités avec la droite dure et laïque, qui depuis toujours professait un antigaullisme virulent, pendant qu’une fraction de la droite bonapartiste se rapprochait du camp des moines-soldats de gauche incarné par Jean-Pierre Chevènement, et que la droite orléaniste, devenue mondialiste, se trouvait d’accord sur les sujets sociétaux avec la gauche libertaire. Cette recomposition radicale déboucha des années plus tard sur la victoire d’Emmanuel Macron aux présidentielles de 2017. De Gaulle avait rassemblé les trois droites ; Emmanuel Macron ignora la droite légitimiste et construisit sa victoire en rapprochant les débris de la droite orléaniste avec les forces imprévisibles de la gauche libertaire. Pour le banquier devenu président de la République, il n’y avait pas de culture française, il fallait déconstruire notre Histoire : il humilia délibérément la droite légitimiste, préférant marier l’idéologie libérale de la droite orléaniste avec l’idéologie libertaire de la gauche mondialisée. Le macronisme fut ainsi un broyeur de la droite, quand le gaullisme en avait été un façonneur. Le projet européen qu’Emmanuel Macron portait n’avait plus rien à voir avec l’Europe voulue par le général de Gaulle.

Un combat de civilisation

Dans ce nouveau contexte, est-il encore possible de défendre à la fois notre souveraineté et le projet européen ? Sans aucun doute, mais à condition de clarifier ce que l’Europe signifie. Miser sur les vertus d’un espace de libre circulation, c’est-à-dire miser sur l’argent, ne fera pas rêver longtemps les Français : même la boutiquière Angleterre a fini par jeter l’éponge. Les dépositaires de l’héritage gaulliste doivent, à l’approche des élections européennes, se rappeler qu’ils ont à conduire un combat de civilisation. La lutte de nos agriculteurs nous rappelle que les scrutins européens ne sont pas seulement un sondage en grandeur réelle à usage interne, mais un choix décisif pour l’avenir du continent. La doctrine gaulliste, dans un monde où c’est l’Occident qui devient une citadelle assiégée, devra se rappeler qu’elle a été construite sur la Résistance. 

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