Le journaliste et grand reporter Georges Malbrunot l’a exprimé sur X (ex-Twitter) : "Commentaire teinté de surprise d'un diplomate d'un important pays européen : “la diplomatie française est devenue la spécialiste de l'imposition de sanctions dès qu'un problème survient. Or nous savons que les sanctions fonctionnent rarement.”"
C’est un travers dans lequel sont tombées la diplomatie, l’action politique et les réactions médiatiques : une surexcitation face aux drames de la guerre et des réactions publiques qui s’achètent une morale à peu de frais, mais qui ne résolvent en rien les problèmes.
Si « l’autre » est le diable
Que ce soit en Ukraine ou à Gaza, certains semblent découvrir que la guerre est dramatique, qu’elle détruit et qu’elle tue, des militaires et des civils. Peut-être parce que nous avons été bercés dans l’illusion des guerres à zéro mort ou bien parce que nous sommes prisonniers du principe de précaution érigé en référence absolue des politiques publiques, l’idée qu’une guerre puisse engendrer des destructions semble insupportable à beaucoup. Héritage des guerres idéologiques du XXe siècle, l’adversaire est absolutisé dans son rôle du méchant, avec qui il ne faudrait ni négocier ni discuter.
Définir l’autre comme étant le diable peut satisfaire sa conscience, mais n’apporte pas de solution au conflit.
Définir l’autre comme étant "le diable" peut satisfaire sa conscience, mais n’apporte pas de solution au conflit. Si l’autre est le diable, alors la seule option demeure sa destruction totale et l’établissement de digues pour empêcher tout lien avec lui. On l’a vu dans le conflit syrien, où Bachar el-Assad fut décrété seul responsable de la guerre civile. Dix ans après, étant toujours en place à Damas, la diplomatie française est bien incapable de savoir quoi faire pour renouer avec une politique syrienne. Non pas que la politique et la diplomatie soient sans morale, mais tout positionner, systématiquement, dans le domaine de la réaction morale empêche de prendre en compte la complexité des données et, surtout, de trouver des solutions aux conflits.
L’exemple de la diplomatie vaticane
Or, chose intéressante, alors que dans ses propos la diplomatie vaticane est souvent idéaliste, en mettant l’accent sur la moralité des actes, dans les faits, elle est d’une remarquable constante réaliste, c'est-à-dire en prenant en compte les rapports de force et la nature des protagonistes. Le débat qui oppose Roosevelt à Pie XII est à cet égard éloquent. Alors que le président américain est partisan de la reddition sans condition de l’Allemagne, Pie XII est au contraire favorable à ce que des ententes et des négociations soient possibles.
La diplomatie ne consiste pas à discuter avec ses amis, mais avec les personnes avec qui l’on partage peu, voire qui sont nos adversaires.
Opposant de la première heure au nazisme, à l’inverse de Roosevelt qui a longtemps tergiversé, Pie XII organise depuis Rome de nombreux complots en lien avec la résistance allemande afin d’éliminer Hitler. Il sait donc qu’il existe une Allemagne antinazie, avec qui il est possible de discuter et de trouver des portes de sortie. Il sait aussi qu’imposer une reddition "sans condition" est certes plus valorisant sur le plan de la communication politique, mais irréaliste sur le plan de la réalisation militaire. Si les officiers allemands n’ont pas de porte de sortie, alors ils n’ont aucune raison de déposer les armes et de négocier avec les Alliés. La reddition sans condition paraît peut-être plus morale, mais, dans les faits, elle ne contribue qu’à prolonger la guerre.
François et le nonce en Syrie
Plus récemment, lors de la guerre en Syrie, François s’est toujours refusé à fermer l’ambassade du Saint-Siège à Damas, contrairement aux pays occidentaux, dont la France. En 2013, dès les premiers moments de la guerre, Paris s’est positionné dans une posture morale absolue en fermant son ambassade et en refusant toute discussion avec le gouvernement de Damas puisqu’Assad devait tomber. À rebours de cette posture morale, le Saint-Siège a maintenu en place Mgr Mario Zenari, nonce en Syrie depuis 2008. Il fut l’un des seuls ambassadeurs présents en Syrie durant les terribles années de guerre. Créé cardinal en 2016, il est toujours en poste à Damas. La diplomatie ne consiste pas à discuter avec ses amis, mais avec les personnes avec qui l’on partage peu, voire qui sont nos adversaires. Disposer d’une ambassade ouverte permet d’être au contact de la population et des autorités et donc de savoir ce qui se passe. En fermant précipitamment la sienne, la France s’est coupée du terrain syrien et n’a de cesse, depuis lors, d’accumuler les erreurs sur la compréhension de la guerre.
Le pacifisme est confortable, mais c’est lui qui conduit aux guerres. Le désarmement unilatéral incite l’ennemi à attaquer, voulant profiter de la faiblesse de son adversaire.
Même positionnement réaliste lors de la guerre en Ukraine, où le pape François a maintenu le contact avec Moscou et pointé certaines causes profondes du conflit, notamment le jeu dangereux des États-Unis, souvent au grand dam des Ukrainiens qui auraient aimé un soutien exclusif absolu.
Le pacifisme, c’est la guerre
Pour valorisante et satisfaisante qu’elle soit, la posture moralisatrice ne permet jamais de résoudre une guerre et de régler les causes profondes des conflits. Le pacifisme est confortable, mais c’est lui qui conduit aux guerres. Le désarmement unilatéral incite l’ennemi à attaquer, voulant profiter de la faiblesse de son adversaire. On vient d’en avoir une nouvelle illustration à Gaza. Si le Hezbollah n’est pas entré dans la guerre (pas encore ?) et si son chef, Hassan Nasrallah, s’est montré mesuré lors de son discours du vendredi 3 novembre, ce n’est pas pour ne pas heurter Israël, mais par compréhension du rapport de force. Dès le début du mois d’octobre, les États-Unis ont envoyé deux porte-avions en Méditerranée orientale et la France a complété par l’envoi de deux porte-hélicoptères. Non pas pour apporter une aide aux blessés comme le dit la communication officielle (le porte-hélicoptère ne dispose que de quatre lits), mais pour se prépositionner en cas d’extension du conflit. Si le Hezbollah attaque, il aura non seulement la réponse de Tsahal, mais aussi des flottes américaines et françaises. Ce positionnement des forces navales à, pour l’instant, sauvé le Liban d’une nouvelle guerre.
L’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine aime faire remarquer que les Européens se comportent souvent "comme des herbivores au milieu des carnivores". Certes, au paradis, le lion et l’agneau brouteront la même herbe. Mais sur terre, c’est encore le froid réalisme du rapport de force qui garantit la paix et la sécurité face à des ennemis qui n’ont pas nos références morales.