La sonnerie du réveil au petit matin lance le contre-la-montre de la journée. Celle-ci s’achèvera ce soir après un dîner en famille ou entre amis, devant une série ou un film, un dernier mail de boulot tout en supervisant le coucher des enfants. Entre-temps, nous aurons casé tant bien que mal les multiples activités qui rythment nos vies : travail, enfants, trajets, activités, maison… avec leur lot de contentement, d’effort, de joie et de peine. Le brouhaha de la journée ne cesse vraiment qu’avec le sommeil. Alors le calme peut s’installer.
Se rencontrer soi-même
Le silence a ceci de précieux, qu’en nous coupant un peu du monde, il nous met face à nous. Vous souvenez-vous d’avoir volontairement passé un moment de silence ces derniers temps ? De quand date votre dernière rencontre avec vous-même ? Là où le bruit nous plonge sans ménagement dans le bouillonnement du monde, le silence nous enveloppe. Pour certains, il y a là quelque chose de rassurant. On se sent protégé à l’abri du silence. On se sent chez soi. Pour d’autres, il peut être vertigineux ou angoissant. Par manque d’habitude, par peur de se confronter à soi-même ou encore parce que la solitude rend le silence pesant. Dans les deux cas, il peut être utile de redéfinir ce que nous pouvons attendre de lui afin de tenter de l’apprivoiser.
Existe-t-il une plénitude plus douce que celle que l’on ressent lorsque l’on aime pleinement et que l’on se sait pleinement aimé en retour ?
Lorsqu’il est choisi et convoqué, le silence peut devenir un véritable point d’ancrage. Il fait cesser la course folle de la journée l’espace d’un moment. Il nous laisse lisser nos plumes et poser les armes. Il nous permet de prendre du recul. Il est un espace d’existence pour notre vie intérieure, que nous prenons trop peu le temps de soigner, faute de temps, faute d’y penser ou tout simplement parce que cela nous effraie. Le silence, parce qu’il est propice à l’introspection, favorise pourtant notre réflexion, notre spiritualité et par conséquent la justesse de nos réactions et de nos décisions.
Dans l’amour, un lieu de communion
Il est aussi un lieu de rencontre privilégié avec le Seigneur parce qu’il est un lieu de communion. Pour mieux comprendre pourquoi, rappelons-nous qu’avant tout, c’est l’amour qui rend la communion possible. Existe-t-il une plénitude plus douce que celle que l’on ressent lorsque l’on aime pleinement et que l’on se sait pleinement aimé en retour ? Pensons au nouveau-né dans les bras de sa mère, aux amoureux transis ou aux grands amis qui pensent l’un à l’autre avec affection — même à distance. La simple idée de l’existence de cette personne suffit à les combler. Pensons à ceux qui savent partager un moment de silence, jouissant simplement de la présence physique de l’être aimé à leurs côtés. C’est un sentiment d’acceptation totale de qui l’on est vraiment par l’autre et réciproquement. Deux cœurs qui communient.
Le silence est liberté : c’est le respect ultime de celui que l’on côtoie, que l’on soutient ou que l’on écoute. Prenons l’exemple d’un ami qui souffre.
Nul besoin de mots ici, l’amour a le parfum de l’évidence. Il s’épanouit dans le silence. C’est aussi ce sentiment que l’on peut goûter, lorsque l’on parvient à prendre conscience de l’amour immense qu’a le Seigneur à notre égard. Une plénitude joyeuse et sereine, prémices des béatitudes du Royaume. L’amour n’a pas toujours besoin de mots, l’amour n’a pas besoin de démonstration bruyante. L’amour se suffit à lui-même lorsqu’il est partagé. Un temps de prière, comme une heure passée avec quelqu’un qu’on aime, peuvent être meublés de vrais, beaux et profonds silences. Se mettre en présence de l’être aimé, offrir son regard bienveillant, s’offrir à celui de l’autre dans la confiance. Être pleinement présent.
Le silence est liberté
Parce que dans ce cadre, le silence n’est pas l’absence. Lorsque le silence s’accompagne d’une présence, il est toujours juste. En effet, il tient alors compte des besoins de l’autre, il le laisse libre de s’en tenir à ce soutien silencieux ou de demander plus. Le silence est liberté : c’est le respect ultime de celui que l’on côtoie, que l’on soutient ou que l’on écoute. Prenons l’exemple d’un ami qui souffre. Face à celui qui est en peine, il est parfois plus doux d’offrir une présence silencieuse que d’essayer à tout prix de lui changer les idées ou de l’assommer de notre propre expérience avec des mots maladroits. Ceux-ci ne sauront bien souvent pas panser sa douleur. Un simple geste suffit parfois à signifier que l’on partage sa peine, que l’on souffre de sa douleur, que faute de pouvoir porter son fardeau à sa place nous l’invitons lui, à s’appuyer sur nous. C’est la définition de la compassion, le début d’une consolation.
Rappelons-nous que l’amour se trouve dans la justesse de notre présence et de nos silences, le respect des joies et des larmes de l’autre, la disponibilité et la chaleur dont on l’assure.
Accueillir sa présence
Nous, qui avons l’immense privilège de savoir Jésus là, au plus près de nos âmes, nous pouvons concevoir ainsi l’apparent silence du Seigneur. Tendons alors l’oreille dans le silence de nos prières pour accueillir sa présence. Nous entendrons alors sa considération et son respect profond, sa grande miséricorde et son infinie tendresse. Scrutons sa Parole que l’on entend si bien dans le silence. Nous la lirons différemment à chaque accident de notre route — elle fut écrite juste pour nous à ce moment précis. Soyons conscient de la délicatesse dont il fait preuve, attendant chacun précisément là où il le cherche. Soyons reconnaissants pour tous ces cœurs amis qui abritent sa flamme — parfois sans même le savoir — et qui savent d’un regard ou d’un geste nous signifier leur soutien. Inspirons-nous enfin de ce que le Seigneur nous apprend du silence, afin d’en dispenser la sagesse à ceux qui nous entourent.
Rappelons-nous que l’amour se trouve dans la justesse de notre présence et de nos silences, le respect des joies et des larmes de l’autre, la disponibilité et la chaleur dont on l’assure. La délicatesse d’être là où celui qu’on aime nous attend. À l’image de Jésus — inlassablement au chevet de notre âme et infiniment respectueux de notre liberté.
« Prends-moi, Seigneur, dans la richesse divine de ton silence, plénitude capable de tout combler en mon âme. Fais taire en moi ce qui n'est pas Toi, ce qui n'est pas ta présence. Impose même le silence à ma prière, pour qu'elle soit élan vers Toi » (saint Jean de la Croix).