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De l’Afrique à l’Ukraine, la symphonie discordante de Wagner

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Un soldat devant le siège de Wagner à Saint-Pétersbourg, le 4 novembre 2022.

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Jean-Baptiste Noé - publié le 30/03/23
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La milice Wagner a réussi à s’imposer dans le discours médiatique, avec une aura disproportionnée par rapport à son pouvoir réel. Mais entre les provocations de son fondateur et ses méthodes de choc, analyse le géopoliticien Jean-Baptiste Noé, elle est devenue le symbole de l’impérialisme russe.

À défaut de prouver son efficacité militaire, le patron de la milice Wagner, Evgueni Prigojine, a démontré ses capacités de communicant. Mélange de violence, de sadisme, de provocation ; parfaite maîtrise des réseaux sociaux et des codes médiatiques, le groupe Wagner s’est imposé dans le tempo médiatique.

À tel point qu’une requête Google "Wagner" fait apparaître en premier et en majorité des articles relatifs au groupe militaire, reléguant le compositeur allemand au second plan. Rien de commun pourtant entre la chevauchée des Walkyries et celle de Prigojine. Sa force réside dans sa capacité à créer du mythe à partir de rien, de capter l’attention en vendant du vide. Nul ne sait exactement de combien d’hommes dispose Wagner ni avec précision dans quels pays la milice intervient et pour quels contrats. Mais elle a réussi à se donner une image de garde noble du pouvoir russe, invincible et redoutable.    

Crever l’écran

Officiellement fondée en 2014, Wagner est longtemps restée sous les radars. Intervention en Syrie, au Mozambique, contrats passés pour protéger des sites industriels et politiques, le groupe Wagner est à ses débuts une SMP (société militaire privée) presque comme les autres. Moyennant finance, elle assure des services de protection en zone risquée. Rien de bien différent avec les sociétés américaines du même type. Prigojine a longtemps nié être le fondateur de Wagner, avant de le reconnaître officiellement en 2022. C’est à l’orée des années 2020 que le groupe investit le champ médiatique et se forge son image actuelle, reposant sur la provocation, la violence, la fascination pour les groupes paramilitaires et sa capacité à masquer ses manquements. 

Son fil Telegram offre ainsi des dessins animés surprenants, hybrides entre le manga japonais et le comics américain. Les héros de Wagner défendent la veuve et l’orphelin africain contre des êtres malotrus dont on comprend vite qu’il s’agit de soldats français. Le message est d’abord adressé aux Russes, et diffusé en russe : "Si vous aimez l’aventure, engagez-vous." La déliquescence du Sahel a offert à Wagner une seconde jeunesse, passant de la surveillance des usines pétrolières à la garde présidentielle des juntes intérimaires. Mali, Centrafrique, République démocratique du Congo, Angola, Guinée, Soudan, la liste s’allonge des pays où le groupe intervient.

Mais là aussi, son efficacité réelle est largement surestimée. C’est une chose de pouvoir déployer 300 hommes pour garder un palais présidentiel, c’en est une autre de contrôler un pays entier. Wagner est devenue le bouc émissaire utile des déboires français. Accuser la milice d’être responsable du "sentiment anti-français" est une bonne façon de s’exonérer d’un examen de conscience sérieux sur les raisons qui ont conduit à l’éviction de la France. Si une milice fraîchement débarquée a réussi à chasser un pays présent depuis plus d’un siècle, c’est que sa position n’était pas très bien arrimée. Accuser Wagner permet de se voiler la face sur les causes réelles de ses échecs. Ce faisant, cela donne une aura supplémentaire au groupe paramilitaire.

Le tournant ukrainien

En Ukraine, le groupe Wagner devait à lui seul changer le cours de la guerre. On voit qu’il n’en est rien. Depuis des semaines que la milice combat à Bakhmout, elle n’a toujours pas réussi à prendre la ville. On pourra trouver mieux comme efficacité militaire. Difficile de savoir de combien d’hommes et d’armes elle dispose réellement, tout comme la nature exacte de ses liens avec Poutine et le ministère de la Défense.

Là aussi, Prigojine a intérêt à laisser courir les rumeurs qui le disent très proche du Kremlin. C’est bon pour le recrutement, bon pour les financements, bon pour l’image. Quand bien même ce serait faux, cela sert les intérêts de Moscou : plus Wagner sera célèbre et réputée pour sa cruauté, plus il sera aisé de lui imputer les crimes de guerre et d’ainsi dédouaner l’armée russe. Dans ce jeu macabre, chacun sert le jeu de l’autre. L’efficacité n’est donc pas tant militaire que politique et médiatique. Une guerre de communication en somme, qui masque les piétinements sur le terrain.

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