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"Dis, papa, c’est quoi le paradis ?" Ce n’est pas la première fois que ma fille me pose cette question. Du haut de ses huit ans, elle se révèle même une interlocutrice opiniâtre sur ce sujet. J’avoue, la première fois, m’être senti piégé. Comment lui décrire le bonheur absolu de l’au-delà sans dénigrer la vie ici-bas ? "Voir Dieu face à face", "se sentir totalement aimé", et autres réponses de ce genre, en plus de leur caractère trop abstrait, n’ont pas permis d’échapper à son implacable logique : "Alors, je veux mourir rapidement !" Et moi de tenter de lui enlever cette idée angoissante (pour moi surtout) de la tête : "Non, car nous sommes sur terre pour apprendre à aimer. La vie est une longue préparation à cette grande rencontre."
La joie de l’enfant
Le constat est sans appel. Sans doute à l’instar de beaucoup de croyants actuels, le paradis est pour moi une pierre d’achoppement — littéralement, un "scandale". Non pas que je sois hostile à l’idée d’au-delà (je fais même partie de ceux qui acceptent la possibilité de l’enfer en tant que contrepartie de notre liberté authentique), mais il est resté impensé, dans les limbes de mon esprit, et, en toute franchise, très éloigné de mes préoccupations. Je ne sais pas quoi répondre à une enfant de huit ans. Saurais-je donc le reconnaître si demain il s’offrait à moi ?
Me serait-il possible de reconnaître le paradis ? Étrangement, je pense que oui. En dépit de ma gêne à l’appréhender, j’ai la certitude insensée d’en avoir déjà eu l’avant-goût.
Saisissons ce fil fragile : me serait-il possible de reconnaître le paradis ? Étrangement, je pense que oui. En dépit de ma gêne à l’appréhender, j’ai la certitude insensée d’en avoir déjà eu l’avant-goût. En quelles circonstances ? Les moments de bonheur ou de plaisir intenses viennent d’abord à l’esprit, mais leur défaut est paradoxalement leur puissance excessive : parce qu’ils submergent toutes les facultés intérieures, il leur est difficile de faire signe vers autre chose qu’eux-mêmes. Me revient ensuite en mémoire l’inextinguible joie de mes enfants lorsqu’ils étaient bébés. J’en suis à chaque fois resté abasourdi : c’est au moment de leur existence où ils étaient le plus vulnérable, où quelques heures sans soin auraient suffi à les envoyer au cimetière, que leur joie de vivre semblait à son apogée. Comme s’ils étaient nés avec un puits de joie dans leur cœur qui débordait sans fin. Je me serais senti bien en peine, en effet, de me croire l’origine d’un tel tsunami : j’en étais au contraire, avec mon épouse, l’un des premiers bénéficiaires. Mon intuition du paradis serait-elle une réminiscence de cette première enfance ?
La joie de l’amitié
J’avoue que cette idée me séduit, mais elle n’est sans doute que partiellement vraie. Car, si j’y réfléchis bien, un événement tout récent de ma vie, en apparence anodin, est peut-être une clé de l’énigme. Alors que je participais à un congrès missionnaire, j’aperçus, au hasard de mes déambulations, deux de mes amis qui bavardaient joyeusement. Je me doutais qu’ils se connaissaient déjà, mais c’était la première fois que je les voyais réunis. J’en conçus, à mon propre étonnement, une joie débordante. Je me réjouissais de leur amitié, et de leur joie à converser ensemble. Je me réjouissais sans ombre, sans arrière-pensée, dans un pur élan du cœur. Ce n’était pas un plaisir individuel mais le fruit superfétatoire et gratuit d’une communion partagée. Et si c’était cela, le paradis ? Quelle belle chose ce serait ! Que nous serions loin de ces idéologies du salut individualiste qui, je le crois avec conviction, sont l’une des raisons des difficultés de l’Église ! Nous ne pouvons pas nous sauver tout seuls. Nous nous sauvons par les autres, les uns avec les autres, par la grâce de cette joie qui nous fait nous réjouir de leur joie.
Ne me reste plus qu’à trouver les mots adéquats pour ma fille de huit ans.