Après la génération "Y" (le signe du fil des oreillettes relié à votre portable) qui a vu le début d’Internet et l’explosion des réseaux sociaux, et depuis le temps du confinement, on parle maintenant de la génération "Netflix – smartphone – canapé" ! Il n’est pas insensé de faire le lien entre cette expression du pape François : "Sortir de son canapé, et réaliser ses rêves" et les deux discours préparatoires aux JMJ de Panama en 2017. Que se passe-t-il pour une certaine jeunesse (qui doit toucher un tant soit peu les jeunes cathos bon teint auxquels le Saint-Père s’adresse aussi !), pour qu’elle puisse entendre ces mots : "Ce n’est pas beau de voir un jeune qui prend sa retraite à 20 ans, ce n’est pas beau ; et ce n’est pas beau aussi de voir un jeune qui vit sur un canapé. Ce n’est pas vrai ? Ni des jeunes “à la retraite”, ni des jeunes “de canapé”" (Veillée de prière, 8 avril 2017)." L’enjeu est de taille, c’est le démon de l’acédie, la paresse spirituelle, que pointe le Saint-Père, comme le prophète Amos parlant des israélites "vautrés sur leurs lits d’ivoire"... Le général Mac Arthur aimait à dire que la jeunesse est une "question d’état d’esprit, un effet de la volonté, une qualité de l'imagination, une intensité émotive, une victoire du courage sur la timidité, du goût de l'aventure sur l'amour du confort".
Une génération canapé ?
À vrai dire, la jeunesse d’aujourd’hui est confrontée aux yeux et aux discours du serpent Kaa venu du Métavers, endormie par la fascination du virtuel pris pour le réel : "Fais un somme, sans méfiance… Le silence propice te berce, souris et sois complice. Laisse tes sens glisser vers ces délices tentatrices." François connaît les petits louveteaux du monde moderne : tentation de l’addiction à l’écran, aliénant lentement mais sûrement la volonté, finissant dans la désocialisation, voire dans les troubles schizophréniques importants. Le canapé est l’image de tout ce qui contribue à une soft-alienation de nos capacités humaines.
Contre le pouvoir hypnotisant des écrans et le kaléidoscope des avatars interposés, le Pape ose aussi parler de rêve à la jeunesse tenté par le découragement ou le désespoir.
L’avenir ne se vit pas sur un canapé, mais sur la route. "Le temps qu’aujourd’hui nous vivons n’a pas besoin de jeunes-divan mais de jeunes avec des chaussures, mieux encore, chaussant des crampons. Cette époque n’accepte que des joueurs titulaires sur le terrain, il n’y a pas de place pour des réservistes" (Cracovie, 30 juillet 2013). Contre le pouvoir hypnotisant des écrans et le kaléidoscope des avatars interposés, le Pape ose aussi parler de rêve à la jeunesse tenté par le découragement ou le désespoir. Nous serions surpris à moins par ce vocabulaire : si le Pape veut que la jeunesse quitte son canapé, est-ce donc pour aller rêvasser sous la couette ?
François sait que ce qui nous fait avancer, ce sont, avec la foi en Dieu, le sens de la dignité de l’homme et les grands idéaux. Et pour passer de l’idéal universel à la réalité particulière, il faut imagination et créativité. Dans ce sens actif, rêver est signe d’une jeunesse prête à bâtir son avenir sans oublier son histoire. Le rêve appartient à la jeunesse pour construire le réel, alors que la passivité du virtuel fait fuir tout engagement. Il faut prendre le rêve comme ce qui nous réveille, c’est-à-dire une activité volontaire. Dans sa lettre à la jeunesse Christus Vivit, le terme ne revient pas moins de seize fois, et notamment dans cette parole éloquente : "La jeunesse, phase du développement de la personnalité, est marquée par des rêves qui, peu à peu, prennent corps, par des relations qui acquièrent toujours plus de consistance et d’équilibre, par des tentatives et des expériences, par des choix qui construisent progressivement un projet de vie. À cette période de la vie, les jeunes sont appelés à se projeter en avant, sans couper leurs racines, à construire leur autonomie, mais pas dans la solitude" (CV, 137).
Le rêve entraîne la décision
Le rêve, loin d’être une fuite ou une attitude passive, est un autre mot rejoignant tout le processus de discernement et d’élection de la méthode ignacienne, pour un choix et une unité de vie libérée des conditionnements contemporains : "Il vaut mieux que vous laissiez germer les rêves et que vous preniez des décisions" (CV, 143). Le mot rêve a aussi une signification d’antidote : "À l’encontre des rêves qui entraînent des décisions, souvent il y a la menace de la lamentation, de la résignation. Celles-là, nous les laissons à ceux qui suivent la “déesse lamentation” […]. Elle est une tromperie" (CV, 141).
Derrière les mots et les images du Souverain Pontife, il y a donc un appel pressant à la génération "Net-Smart-Canap" de quitter le confort assoupissant de son canapé, lieu du "syndrome de Kaa" pour enfiler les chaussures à crampon du réel, passer de l’acédie mortifère à l’audace missionnaire.