Ce dimanche 15 mai à Rome, l’Église va montrer ses saints. Une fois de plus. De nos jours, ce spectacle est obscène, convenons-en. L’épithète veut dire « qui ne doit pas être montré ». Il y a bien de l’obscénité dans le fait d’affirmer qu’un humain mort depuis longtemps vit toujours dans un autre monde. Aux dépens de qui ? Sur quel site avait-il réservé sa place ? En vertu de quelle combine, de quel pouvoir magique ? Ne parlons pas de mérites, cet alibi périmé pétri par des stéréotypes moraux, afin que des prêtres puissent opprimer la société en la disciplinant. Le plus grand pouvoir n’est-il pas celui qu’on exerce sur les imaginaires, les peurs, les désirs, les rêves ? Vendre de l’immortalité, c’est le business model de l’Église. Le ciel est manipulé par la terre. Le bas se sert du haut. Canoniser, c’est jouer le vérificateur de normes, comme l’Afnor. Si l’élu est là où il est, c’est qu’il a bien vécu ; donc faites comme on vous dit et tout ira bien pour vous. CQFD.
De la retape publictaire
L’événement de dimanche ne recèle-t-il pas trois défis ? À la raison, à l’expérience et au temps. Dire qu’un amas de cellules vit toujours subjugue l’entendement, l’humanité étant régie par l’entropie : tout naît, se dégrade, et meurt. Et puis quelle arrogance ! L’Église ne fait pas que de le dire : elle le fête, le proclame, le chante à tue-tête, du haut de son institution et avec une certitude absolue. Il faut quand même oser. Ses preuves, deux miracles obtenus grâce au saint, sont invérifiables et non reproductibles. Là est le défi à l’expérience : l’Église ne peut pas être contredite.
Aucune institution humaine, administrée comme un État, ne gère ses dossiers ainsi, sans prescription.
Bien sûr, elle se prévaut de sa petite enquête. Mais au bout du compte, le risque est énorme : imaginez qu’une info lui manque, prompte à recaler son âme d’élite ! C’est pour ça qu’elle prend son temps, vous me direz. Pour Charles de Foucauld, le plus fameux des canonisés du jour, la fouille dura presque un siècle. Aucune institution humaine, administrée comme un État, ne gère ses dossiers ainsi, sans prescription. Et encore, pour les deux autres Français du cru 2022, Marie Rivier et César de Bus, le Vatican nous balade au XVIIe et au XIXe siècle, comme si les hommes d’aujourd’hui pouvaient juger les mœurs d’hier. L’Église n’est-elle pas prise en flagrant délit d’anachronisme ? Ce défi au temps, que le clergé enjambe comme l’ogre du petit Poucet, laisse le spectateur dans un état d’hébétude ou d’amusement.
Oh ! on est où, là ? Vu les affaires de mœurs qu’elle se traîne, l’Église devrait cesser de communiquer sur son patrimoine céleste, de faire de saint Pierre, avec ses clés du paradis, le Stéphane Plazza du salut. Et puis, tout ça, c’est un peu la cérémonie des Césars, même si le pontife romain n’en est plus un : on congratule les copains de promo, ensoutanés pour beaucoup. Les colonnes du Bernin se transforment en showroom envahi par la foule, comme si on soldait la vie après la vie : regardez mes saints comme ils sont beaux ! Canoniser, rappelons-le, veut dire « mettre au catalogue ». C’est de la retape publicitaire, en fait. On l’aura compris. Nos contemporains ont de quoi faire passer les canonisations pour un folklore, à la limite de l’imposture et de l’abus de pouvoir. Et pourtant.
Vu l’enjeu, on ricane moins
Dire que l’un d’entre nous est saint est un acte d’une portée inouïe, un pari sur l’avenir, une entorse au non-sens généralisé, une victoire sur le chaos, sur le fracas des armes ou le mutisme de la dépression. Dans le langage catholique, le mot « vie » est codé. Il signifie que l’on partage l’éternité de Dieu. Pourtant, les âmes damnées ne demeurent-elles pas dans une autre éternité, celle de la mort, glaciale au cœur, brûlante au corps ? La différence entre les deux états serait-elle le rapport au temps ? L’élu de Dieu en serait délivré, illuminé par un présent de joie sans fin ; l’exclu du paradis en serait prisonnier. Être privé de Dieu et pour toujours, en ayant conscience du temps qui passe. Bigre. On tente de mesurer la nature de l’enjeu et là, on ricane moins. J’assistais aujourd’hui aux obsèques d’un jeune homme — qui aurait eu 20 ans cette semaine. À vue humaine tout est perdu et absurde. Est-il saint ? Le prêtre fit l’éloge de la bonté de ce garçon, connue de tous, et dit ces mots en citant son prénom : « Ce qu’il espérait, il le possède ; ce qu’il croyait, il le vit. »