Le vent, le froid et la pluie semblent les seuls à accueillir les quelques réfugiés venus sur une île écossaise. Omar vient de Syrie et trimballe avec lui son oud, instrument qui lui vient de son grand-père, comme s’il s’agissait du poids de sa mélancolie. Avec une grande maîtrise de l’image, aux couleurs douces et froides, Limbo, le nouveau film de Ben Sharrock, se situe à la frontière de la réalité, non pas pour la gommer, mais pour la rendre moins sale. Sans doute aussi pour soutenir les rêves des personnages. Et on les suit attendre la réponse à leur demande d’asile, entre l’ennui et les cours d’intégration culturelle, sur cette île où les réfugiés ne sont pas toujours les bienvenus.
Entre terre d’accueil et terre hostile
On accoste ici symboliquement et physiquement dans le cœur des migrants loin de leur patrie. Parfois pleins d’espoir pour l’avenir, ils sont surtout dans ce sas désagréable de l’entre deux vies. Celle d’avant et celle d’après. Symboliquement, le froid de l’Écosse, où les quelques réfugiés errent dans ses plaines immenses, incarne tout ce que suppose l’exil. Physiquement, leur impossibilité d’aller ailleurs les oblige à l’attente, sur cette île, à s’accrocher à un rêve ou à un souvenir, à rien qui n’habite réellement le présent. Accompagné de deux autres réfugiés africains et d’un réfugié libanais, avec qui il vit, ils suivent avec d’autres des cours d’intégration culturelle assénés par une femme, et son acolyte un peu inutile.
Les scènes de cours, d’une grande intelligence, semblent également dénoncer la situation infantilisante dans laquelle les demandeurs d’asile se trouvent. La scène d’ouverture est en tout cas très drôle, avec pour thème : "Un sourire est-il une invitation sexuelle ?", où les deux professeurs dansent devant un public qui reste coi — n’entendant peut-être rien à l’humour britannique. Entre des coups de téléphone à sa mère, émigrée en Turquie, dans une cabine téléphonique en plein air et des longues attentes à regarder la télé, Omar traîne son étui de musicien sans jamais s’en servir — il porte un plâtre à la main droite. Son frère, resté en Syrie pour se battre, est l’honneur de sa famille. Lui désespère de recevoir un jour le Graal de l’asile et de pouvoir, à nouveau, jouer de son instrument. Alors qu’un des réfugiés africains rêve d’intégrer l’équipe de foot de Chelsea, un autre de travailler un jour dans un bureau en costard, le réel demeure mutique à leurs aspirations.
Une petite merveille pleine de finesse.
Entre des dialogues insolites, des scènes saugrenues et très drôles, parfois plus dramatiques ou poétiques (comme avec le facteur qui écoute de l’opéra en voiture, suivi des yeux par les réfugiés qui attendent la lettre tant espérée), le réalisateur tente de prendre le pouls d’une réalité souvent réduite à des questions politiques ou raciales. La tentative d’intégration, l’exil et l’avenir se confrontent tous trois à l’intérieur d’êtres qui doivent trouver en eux l’espace où respirer. Chaque personnage est savamment et savoureusement construit, avec comme ligne de mire, toujours, le réalisme poétique.
Le réalisateur britannique évoque la situation des migrants comme on l’a rarement vue au cinéma, loin des clichés et des bons sentiments. C’est une petite merveille pleine de finesse, aussi pure que la neige qui emplit l’Écosse en hiver, parsemée d’un humour décalé à l’anglaise. Il mérite une belle audience au cinéma autant que le cinéaste a eu d’intelligence pour composer sa fresque avec talent.
Pratique :