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Pour la réalisatrice de “L’Homme de Dieu”, avoir la foi est une manière de vivre

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Louise Alméras - publié le 10/03/22
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Yelena Popovic, d’origine serbe, a passé près de dix ans à travailler sur son film basé sur la vie du prêtre et théologien orthodoxe Nectaire d’Égine. Après son immense succès en Grèce, il arrive en France dès le 10 mars dans plus de 150 salles.

Inspirée par le message universel du film, la réalisatrice a voulu le faire partager au monde entier. Pétrie des auteurs et cinéastes russes, elle sait à quel point l’art peut toucher l’âme, comment il est avant tout fait pour elle, aussi. À travers l’exemple de saint Nektarios, qui répondit aux attaques par la douceur et la confiance en Dieu, la cinéaste Yelena Popovic nous offre ses clés de compréhension sur la manière de vivre la plus épanouissante, à l’heure où l’Occident et le monde poursuivent l’individualisme et le pouvoir. 

Aleteia : Depuis le film « L’Île » sorti en 2006, il n’y a pas eu de film sur un tel sujet. La foi orthodoxe est peu représentée au cinéma, en France peu de films y sont distribués en tout cas. Est-ce une réalité ou bien les films n’arrivent-ils pas jusqu’à nous?
Yelena Popovic : J’adore le film "Île" de Pavel Lounguine, c’est un très beau film. Les gens ne pensent pas beaucoup à faire des films sur les saints orthodoxes, je ne pense pas que ce soit le fait que l’Europe ne les distribuent pas. C’est un sujet qui n’est pas très vendable, même en Occident il est difficile de trouver des films sur la foi avec une qualité artistique assez haute. Il y a Terrence Malick, en effet, mais la plupart sont plus proches de la propagande ou destinés à ceux qui ont déjà la foi. J’ai été inspirée après avoir lu la vie de saint Nektarios par son message universel. Et je voulais faire un beau film que tout le monde pouvait regarder. 

Vous vous êtes intéressée aux écrits de saint Nektarios, Nectaire d’Égine, à la suite d’épreuves personnelles et avez décidé de réaliser ce film. Une phrase ou pensée particulière du saint qui vous a-t-elle aidée?
Il a beaucoup de très belles citations et de pensées. Il disait : "Ma vie est une philosophie chrétienne, c’est une manière de vivre." Ce n’est pas une idée, spécialement si l’on choisit une certaine foi, notre devoir est de montrer par l’exemple ce qu’elle signifie. C’est la seule manière de lui donner du sens. Si l’on aime les gens autour de nous, nous pouvons vivre plus sereinement.

Au-delà du cinéma, nous vivons dans une époque où le développement personnel, l’essor du coaching, de l’attention à notre ego et à notre bien-être individualiste est énormément mis en avant. Mais il y a une limite à cela, car l’homme a soif d’autre chose. Justement, à la sortie de votre film, nous avons envie de suivre l’exemple de saint Nektarios, même si c’est difficile. Pourriez-vous en dire un peu plus sur sa manière d’avoir réussi sa vie?
Je suis d’accord avec vous, aujourd’hui, l’ego et s’aimer soi-même a été énormément promu. Mais s’aimer les uns les autres est une vertu qui a été oubliée et remplacée par l’ego. Cette vertu est l’humilité. Celle-ci ne veut pas dire qu’on se renie soi-même. Au contraire, les gens humbles sont heureux et ont beaucoup plus confiance. Ceux qui ont une haute estime d’eux-mêmes ne sont pas très confiants, ils sont dans l’insécurité et ont besoin de posséder les autres, ils se sentent légitimes pour contrôler la vie des autres. Les gens humbles veulent prendre le temps de se regarder eux-mêmes et travailler sur eux pour devenir plus humbles, et ils trouvent la vraie liberté. Et c’est ce que saint Nektarios avait. Sa joie et sa paix ne dépendaient pas de ce que les gens pensaient de lui ou faisaient contre lui. Cela est la vraie liberté. Cette paix peut indirectement influencer les autres et leur amener la paix, puis au monde.

Des scènes assez fortes du film montrent saint Nektarios seul, en prière, qui répète "Seigneur prend pitié de moi pêcheur". On a l’impression que c’est son sentiment de petitesse qui lui donne de pouvoir s’abandonner à Dieu et d’avoir la juste attitude dans chaque situation. Est-ce la clé de la sérénité de saint Nektarios?
C’est une bonne observation. J’ai appris récemment que la raison pour laquelle nous prions Jésus qu’Il pardonne nos péchés est avant tout que Dieu est Amour. Et quand on s’abandonne à Lui, on ne se regarde pas trop soi-même. On travaille sur soi-même, mais on ne se focalise pas sur nos ténèbres, on regarde la Lumière du Christ pour qu’Il nous guide. On accepte ce qu’il se passe autour de nous sachant que c’est bon pour notre âme. C’est pour cela que l’on peut les accepter plus facilement dans notre vie. Jésus dit aux personnes qui ont une épreuve ou de la peine : "Venez vers moi, et je vous donnerai la paix. Apprenez de moi", parce qu’Il avait de l’humilité. Et avec cette humilité la vie devient plus simple et plus heureuse. Il y a du contentement dans le cœur, même si les choses autour de nous ne sont pas parfaites. C’est la paix de Jésus qui n’est pas de ce monde. Cela vient avec l’expérience. On doit apprendre à ne pas juger les autres, à ne pas regarder leurs fautes mais les nôtres. Entrer dans cette lutte permet d’accéder à la paix et d’être plus heureux.

C’est très bien illustré dans le film avec la scène, assez drôle, où il s’inflige une punition qui ne le concerne pas.
Les gens qui étaient saints, et ils avaient tous cela en commun, ne combattaient pas seulement leurs péchés mais se sentaient aussi responsables des problèmes des autres. Plus ils s’approchaient de la Lumière, plus ils prenaient conscience de cela. Cela demande du travail. Il s’agit d’accorder sa volonté le plus possible à celle de Dieu, d’accepter ce qu’il y a face à soi en lâchant sa volonté propre. En ce sens, Saint Nektarios est un très bon exemple. On ne doit pas être exactement comme lui mais si l’on essaye de mener cette vie, c’est le seul chemin possible vers la liberté. Même si cela peut paraître ridicule pour certains.

Ce qui est frappant dans sa vie est qu’il a été énormément calomnié, a subi la souffrance physique, et a fait beaucoup de miracles de son vivant. Comment expliquez-vous d’un côté sa notoriété et le rejet dont il était l’objet de la part du clergé?
Beaucoup de saints ont souffert de leurs supérieurs, ce n’est pas la première fois. Ce qui est bien avec cette histoire est qu’elle est récente. Il est mort en 1920. Et il semble que quelqu’un comme lui qui agissait vraiment selon ses paroles, dans un contexte où il y a une hiérarchie — qu’elle soit orthodoxe, catholique ou juive — c’est que l’amour du pouvoir détruit l’âme. Dès que des personnes prennent le pouvoir, que ce soit dans l’Église ou en politique, ils tombent. S’il y a quelqu’un autour d’eux qui est bon et honnête, cela ne les empêche pas d’être corrompu, et ils doivent éliminer cette personne. Ils ont quitté le bon chemin et oublié qu’ils doivent servir les gens. Si quelqu’un vit différemment cela représente un danger pour eux. C’est pour cette raison que c’est arrivé à saint Nektarios. C’est d’ailleurs un des sujets principaux du film.

Vous vouliez que le film soit aussi destiné à des non croyants. Avez-vous eu des retours de personnes qui ne croient pas en Dieu ou ont eu envie de retrouver la foi?
Effectivement, une des raisons pour laquelle j’ai fait ce film est que je pensais qu’il pourrait aider beaucoup de monde, les guérir et les faire réfléchir. J’ai vraiment senti que c’était pour ceux qui doutent plus que pour les croyants. Je pense que beaucoup de personnes ont été détournées de l’Église à cause de l’Église et ses scandales. Des gens hors de l’Église ont justement été touchés par ce film, cela leur a donné un regard différent sur elle, grâce à un exemple qui a plus trait à la foi et à l’existence. L’Église n’est pas seulement une institution, ce le pourrait, mais c’est aussi une expérience personnelle. Et il ne faut pas abandonner la foi en Dieu, qui a été mise à rude épreuve. L’homme ne peut pas vivre sans l’amour et la paix. C’est une part importante de notre existence et on ne peut pas avancer sans cela. Quel type de paix pouvons-nous avoir sans celle de notre Créateur? Prendre des pilules et oublier qui l’on est? Cela ne marche pas comme ça.

La dernière scène, inspirée de Dostoïevski, est d’ailleurs très forte en ce sens, quand le saint répond à un homme malade : « Malheur à moi si ma foi dépendait des hommes ». Il répond à beaucoup de ceux qui quittent l’Église, car on accède à Dieu aussi par les hommes.
Exactement. J’ai personnellement vécu l’expérience. Et la plupart des scènes que j’ai décidé de mettre dans le film ont été des choses que j’ai personnellement comprises. Je suis quelqu’un qui est partie de l’Église, j’ai expérimenté des choses qui n'étaient pas de Dieu, mais je suis restée fidèle à ma foi, parce qu’elle ne dépendait jamais des hommes. Elle était fonction de ma relation personnelle avec Dieu. C’est ce qui m’a maintenue en vie malgré les difficultés et m’a donné de la joie et du courage. C’est ce que je voulais partager à travers l’exemple de saint Nektarios. Il y a un sens à la vie. Malgré tout ce qu’il se passe dans le monde, ce sont cette joie et cet amour que nous devons garder. C’est le seul moyen que la vie ait un sens. Même si l’on n’a pas de problème dans la vie, si l’on n’a pas la paix et la joie, on ne peut pas être heureux. Il n’y a pas beaucoup d’exemples autour de nous ou si l’on regarde les informations. Notre génération grandit en blâmant les autres pour tout et n’importe quoi, on n’a plus de responsabilité. En vivant ainsi, on ne peut pas accéder à l’amour et la paix. C’est un cercle vicieux. Si l’on essaye de trouver des solutions de manière intellectuelle cela peut conduire à la guerre. Dieu nous humilie d’une manière difficile, pour notre propre bien, afin que l’on devienne plus tolérant et plus humble.

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