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Le soin des personnes fragiles est une vocation

vieille femme et infirmier
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Pierre Vivarès - publié le 04/02/22
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Quand le soin des personnes fragiles devient un marché, c’est une culture du don de soi qui disparaît. Pour le père Pierre Vivarès, curé de la paroisse Saint-Paul à Paris, l’enjeu n’est pas une question d’argent. Il faut retrouver le sens de l’amour gratuit que la culture chrétienne transmettait dans les métiers du soin et de l’assistance.

Un livre publié récemment, Les Fossoyeurs (Fayard), révèle des abus dans certains Ehpad et suscite l’émoi quant aux conditions de vies des personnes âgées dans les établissements spécialisés. Nous savons bien, surtout dans l’Église, qu’il est injuste de condamner toute une profession en raison des abus de certains et il ne faudrait pas généraliser à toute une profession. Cependant, ces maltraitances existent et ont été révélées. On pourrait se pencher aussi sur les conditions de vie dans les prisons, dans les hôpitaux psychiatriques, bref dans tous les centres de vie où des personnes, pour des raisons diverses, sont fragiles et soumises aux soins ou la surveillance d’autres. Il faudra peut-être attendre d’autres livres, d’autres reportages pour que cela arrive. 

L’aide aux fragiles est devenue un marché

Ceux qui sont en première ligne pour s’occuper de ces personnes sont les plus mal payées. Les tâches sont ingrates et répétitives et pourtant ce sont elles qui prennent soin des corps et donc des âmes de ces résidents. Les effectifs sont insuffisants, les cadences inhumaines et le manque de moyens ou de place font que finalement, ces personnes fragiles sont victimes de maltraitance. Parfois, on préfère bien traiter les actionnaires propriétaires de ces structures et maltraiter les résidents. Mettre en équation une quelconque rentabilité et le soin d’un pauvre est un non-sens : cela revient à monétiser la dignité de la personne humaine. On me répondra que l’actionnariat permet les investissements mais lorsque nous voyons le nombre de publicité pour les maisons de retraite, l’on se dit qu’il s’agit aujourd’hui d’un marché : le marché des vieux en fin de vie, le marché de la personne humaine mourante.

Le soin du pauvre, malade, âgé, emprisonné, déficient mental, mineur étranger isolé demande un amour souvent sans contrepartie, l’amour comme le Christ nous a aimé et nous l’a enseigné.

Une inversion des valeurs est nécessaire et cette inversion est nécessaire à tous les échelons de notre société. Si on ne place pas l’Homme, le pauvre en particulier, au centre du jardin mais en périphérie de notre projet de société, alors tout s’écroule. Les seules réponses apportées à ces problèmes sont la plupart du temps des réponses économiques : des emplois, des niveaux de salaire, des moyens. Mais au service de la dignité de l’homme, le salaire ne suffit pas. Les moyens matériels ne suffisent pas. L’argent ne peut pas être à lui tout seul une contrepartie pour de l’amour gratuit. Car le soin du pauvre, malade, âgé, emprisonné, déficient mental, mineur étranger isolé demande un amour souvent sans contrepartie, l’amour comme le Christ nous a aimé et nous l’a enseigné. Ce ne peut pas être qu’un travail adossé à un salaire car on ne change pas les couches d’une personne âgée comme on emballe des produits sur une chaîne de production. Ce don de soi relève d’une vocation personnelle, intime. J’ai constaté cet amour gratuit chez des aides-soignants, des infirmiers, des médecins, non-chrétiens souvent mais qui, au service de la personne humaine et de sa dignité, trouvaient une joie profonde. 

La transmission de l’amour gratuit

Mais comment enseigne-t-on cette joie de l’amour gratuit dans une société qui passe son temps à rejeter toute forme de spiritualité et donc toute forme de don gratuit ? Comment affirmer la dignité de chaque personne humaine dans une société où l’on expulse la vieillesse, la dépendance, le handicap et la mort loin de notre vue et dans laquelle les seules réponses apportées sont la suppression de l’enfant à naître ou l’euthanasie possible ou souhaitée du malade ? Comment créer une société solidaire quand l’argent et le confort sont l’Alpha et l’Oméga d’une réussite humaine ? L’effondrement des vocations sacerdotales et religieuses était le premier signe d’un effondrement d’une capacité au don gratuit dans notre société qui va désormais toucher tous les domaines du service à la personne. Les professionnels reconnaissent une difficulté à recruter dans le domaine du soin. En octobre dernier, Ouest France publiait un article au titre éloquent : « Crise des vocations, difficulté de recrutement, départs… Le SOS des professionnels du social », avec cette conclusion alarmante : « Lors d’une conférence de presse, mercredi 6 octobre, Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss (représentant environ 25 000 établissements des secteurs sanitaire, social et médico-social), prévenait : « Si on ne résout pas le problème de l’attractivité des métiers, l’étape suivante ce sera la non-assistance à personne en danger : faute de personnel, nous allons renvoyer des personnes vulnérables hors des établissements. »

Une culture chrétienne

L’attractivité du métier ne peut pas être que le salaire versé car la qualité du soin ne sera pas forcément présente. C’est une culture du soin de l’autre et cette culture est enseignée par la foi chrétienne. Dans des cultures non-chrétiennes, d’autres relais existent. En Algérie, lorsque la première maison de retraite a été ouverte, on l’appelait « la maison de la honte » et cela signifiait que les familles ne s’occupaient plus de leurs personnes âgées, ce qui est un scandale en terre d’islam. En revanche au Japon, terre sans culture de la charité extra-familiale, certaines personnes âgées deviennent des délinquants afin de pouvoir dormir en prison et avoir à manger. C’est ce qui arrivera chez nous si on continue de scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Le saint curé d’Ars disait : « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre : on y adorera les bêtes. » Il aurait pu rajouter : « Et on y laissera mourir les vieux. » 

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