Membre de la communauté du Chemin neuf, Virginie Toulouse est aumônier à la maison d’arrêt de Caen depuis 2015, où l’équipe d’aumônerie a mis en place un parcours Alpha prison qui se déroule trois fois par an. Dans un livre-témoignage, Entre les barreaux (Mame) elle rapporte des « fragments de vie détenues » où l’on découvre en tremblant comment « la vie avec le Seigneur ouvre un avenir là où, justement, tout semble s’écrouler ». En prison, dit-elle, « Jésus est le seul qui puisse nous sauver ». Elle raconte à Aleteia comment l’annonce « cash » de Jésus libérateur guérit les corps et les cœurs.
Aleteia : Comment êtes-vous devenue aumônier de prison ? En quoi consiste votre mission auprès des détenus de la maison d'arrêt de Caen ?
Virginie Toulouse : Je ne suis pas devenue aumônier par choix ou par décision personnelle. C’est en réponse à un appel, que je n’attendais pas et que j’ai reconnu comme un appel de l’Esprit Saint à la joie qui a envahi mon cœur. Mon oui a été immédiat et joyeux. Je savais intuitivement que le Seigneur m’attendait derrière les barreaux. Et je ne me suis pas trompée. Ni sur la joie que cela me donne. Ni sur la présence du Seigneur derrière les barreaux ! Nous sommes (presque) toujours aumôniers au sein d’une équipe. C’est l’équipe d’aumônerie qui est signe de la communauté chrétienne. Nous sommes à Caen quatre aumôniers : une femme, Gloria, pour le petit quartier femmes (une trentaine de femmes) et du côté des hommes (400 environ), nous sommes trois, deux hommes (un prêtre et un homme marié) qui s’appellent tous les deux Laurent, et moi. Nous sommes là pour « l’assistance spirituelle des personnes détenues et la pratique du culte » qui est un des droits fondamentaux du détenu.
C’est seulement quand nous découvrons l’immensité de l’amour de Dieu que peut nous être révélé notre péché. Et là, la grâce se déverse en abondance !
Quand il arrive en détention, celui-ci peut demander à voir l’aumônier de son choix, même s’il n’est pas pratiquant, ni très religieux. Nous les rencontrons au cours de visites en cellule (interdites depuis le début des mesures sanitaires), en parloir dans des entretiens individuels, en groupe une fois par semaine et pour la messe le dimanche.
Vous livrez vos échanges à l'état brut avec les détenus que vous rencontrez. C'est à la fois émouvant et éprouvant : « Les détails me donnent la nausée », écrivez-vous une fois à propos du crime d’un détenu dont il vous parle pour se libérer. Et pourtant, vous le vivez à chacune de vos visites, « là où le péché abonde, la grâce surabonde ». Comment est-ce possible ?
Jésus est venu pour les malades, les pécheurs, les boiteux, les tordus. Les autres n’ont pas besoin de lui ! Oui, l’acte en lui-même est condamnable, mais la personne est aimée inconditionnellement par le Seigneur. Quoiqu’elle ait fait. C’est cette découverte fondamentale qui fait s’ouvrir à la grâce quelques soient nos turpitudes, nos bassesses, nos mensonges… Le Seigneur vient dans ma pourriture me sauver, parce qu’Il m’aime. Ne nous y trompons pas : « La saloperie des autres est aussi la mienne ! » disait Etty Hillesum. C’est seulement quand nous découvrons l’immensité de l’amour de Dieu que peut nous être révélé notre péché. Et là, la grâce se déverse en abondance !
Devant cet homme qui dans sa cellule se laisse dépérir, vous notez qu'« être un homme, c'est l'enjeu de toute une vie ». Est-ce là le défi de vos rencontres : devenir le messager de Dieu qui attend du pécheur qu'il accepte de se relever ? Pour être un homme debout, suffit-il d'accepter le pardon et la miséricorde ?
Pour beaucoup, ces hommes apprennent en détention à être un homme en étant fort, plus fort que les autres, sans craindre de les écraser. Cogner pour montrer qu’on n’est pas une mauviette. Une personne détenue disait récemment : « Depuis que je connais Jésus, je découvre qu’être un homme, c’est apprendre toujours à aimer. » C’est cette expérience de l’amour inconditionnel du Seigneur et de l’accueil de sa miséricorde qui fait basculer et découvrir ce pour quoi on est fait : un être capable d’aimer et digne d’être aimé.
On imagine que le prix de votre présence est celle de votre écoute, de votre compassion, de votre affection, même, mais plus encore, vous êtes là comme instrument de la grâce de Dieu. Celle-ci non seulement se donne, mais aussi se dit : comment annonce-t-on Jésus libérateur dans une prison ?
Je suis au service du Seigneur. Et de l’Esprit saint. « Esprit saint, ce matin, qu’est-ce que tu veux que nous fassions ensemble ? » C’est ma prière du matin. Nous annonçons Jésus « cash », clairement. C’est dans notre projet pastoral, dans notre ADN. Jésus est le seul qui puisse nous sauver. Et au cœur de la prison, les détenus mesurent, bien plus que nous qui aménageons nos petites vies tranquilles, combien cette parole a du poids et qu’elle est vraie. Dans cette désolation, ce dénuement, ces humiliations, ces séparations, ces ruptures, oui, le seul qui peut nous sauver de la mort, c’est Jésus !
En assistant littéralement à vos rencontres avec chacun des détenus, nous découvrons combien en prison les boiteux peuvent marcher, les aveugles peuvent voir et certains morts commencer à ressusciter. La charité d'une présence chrétienne en prison passe-t-elle vraiment par la transmission de la foi et la rencontre avec le Christ ?
Nous vivons à la maison d’arrêt de Caen le parcours Alpha qui est un parcours qui permet de découvrir la foi chrétienne, de rencontrer le Seigneur et d’apprendre à vivre avec le Saint Esprit. C’est un formidable outil : sur 13 ou 14 séances (temps convivial, topo, échange entre participants, prière), le kérygme est annoncé : Jésus t’aime, quoique tu aies fait, il a donné sa vie pour toi sur la croix, par amour, pour que tu vives libre ! Ce parcours nous rend témoins de miracles, de signes, de prodiges : des hommes se mettent à prier en cellule plusieurs fois par jour, lisent la Bible comme une Parole vivante, vraie, efficace et deviennent témoins du Seigneur autour d’eux. Les cœurs et les corps sont guéris, relevés, libérés. Le Seigneur est grand : Il nous envoie annoncer aux captifs qu’ils sont libres (Lc 4). Sa Parole fait ce qu’elle dit. Nous en sommes témoins.
Pratique
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.