Dans un livre publié en italien en décembre 2021, "Procès à Medjugorje", le journaliste David Murgia, qui a eu accès au dossier de la commission qui a travaillé durant quatre ans, révèle notamment que Rome n’a reconnu aucun miracle. Entretien avec David Murgia, journaliste à TV2000, la chaîne de télévision catholique appartenant à la conférence épiscopale italienne.
I.Media : beaucoup des choses ont déjà été écrites sur Medjugorje. Que révèle votre livre ?
David Murgia : Le 11 février 2020, j’ai publié le "rapport final", soit le résumé de l’ensemble de l’enquête de 4 ans réalisée par la commission. Dans ce document, il était écrit que les sept premières apparitions étaient vraies, que cinq des six voyants étaient crédibles, qu’un nouveau sanctuaire devait être construit sur la montagne des apparitions et que Medjugorje était un phénomène à surveiller. Plus tard, je suis entré en possession de tous les procès-verbaux, de tous les résumés des réunions tenues par la commission. En les lisant, je me suis rendu compte que beaucoup de choses qui y étaient écrites n’avaient pas été reprises dans le rapport final. Ainsi, les miracles n’étaient pas mentionnés, ni les conclusions sur l’état psychologique des voyants, ni même les tensions qu’il y a eu au sein de la commission d’enquête.
Comment avez-vous eu accès aux documents de la commission ?
Ces documents m’ont été remis par un ami. Je les ai vérifiés plus d’une fois auprès des membres de la commission, sans qu’ils brisent le secret papal. Quand j’ai lu les 1.200 pages du dossier, c’était comme un film, un roman policier se déroulant sur une période de 30 ans. J’ai décidé d’écrire ce livre parce que je pensais qu’avec lui, les gens pourraient certainement avoir plus d’éléments pour comprendre ce qui se passe à Medjugorje.
Vous expliquez qu’aucun miracle n’a été reconnu. Comment la commission en est-elle arrivée à cette conclusion ?
Il y a eu 487 cas de guérisons présumées déposés dans la paroisse de Saint-Jacques à Medjugorje. Les membres de la commission se sont rendus sur place pour étudier les dossiers. Ils en ont sélectionné dix. Par hasard, il s’est trouvé qu’il s’agissait de dossiers qui concernaient uniquement des femmes. Sur ces dix cas, seuls deux avaient finalement une documentation suffisante pour une étude approfondie. Le conseil médical de la Congrégation pour les causes des saints s’est alors penché sur ces deux cas.
Le premier concernait une femme atteinte d’une sclérose en plaques. En 1984, elle s’est rendue à Medjugorje. Confiant avoir été témoin d’une apparition, elle s’est ensuite mise à marcher, jusqu’à faire dix kilomètres pieds nus. Après avoir étudié le dossier, la commission médicale a déclaré que la femme avait bien été guérie. Mais non par un miracle mais grâce au médicament qu’elle prenait et qui l’a manifestement soulagée.
Quant au second, il s’agissait d’une femme se plaignant d’avoir une thrombose grave et assurant en avoir été guérie à Medjugorje. L’enquête médicale a conclu autrement, considérant que la femme en question n’avait pas été touchée par une thrombose mais par une autre pathologie curable. Au final, aucun miracle n’a été officiellement reconnu. Mais il faut se rappeler que ce n’est pas le fait qu’aucun miracle n’ait été reconnu que cela signifie qu’il n’y en a pas eus.
Pourquoi pensez-vous que l’enquête sur les miracles n’a pas été rendue publique ?
Parce que ce n’est pas l’aspect le plus important à mon avis. Nous pouvons dire sans risque que la foi ne dépend pas de la croyance dans un miracle. Pour le croyant, la présence ou l’absence d’un miracle ne doit pas être la raison principale pour aller à Medjugorje. Le paradoxe est que l’on peut être parfaitement chrétien sans croire à Lourdes, Fatima, La Salette, Medjugorje, car le chrétien ne doit croire qu’en Jésus Christ et son Évangile.
Les documents de l’enquête vaticane seront-ils un jour rendus publics ?
Je ne sais pas ; sans doute pas pour le moment. Peut-être qu’à l’avenir ils le seront afin de montrer la méthodologie de l’enquête. En étudiant le travail effectué par cette commission, j’ai réalisé combien de personnes intelligentes travaillaient dans l’Église, et de façon silencieuse. Pour la première fois, cette commission utilise une méthode scientifique pour étudier ces phénomènes. Jusqu’à Fatima, Lourdes et La Salette, on a utilisé des normes canoniques qui devraient peut-être être actualisées. Là, la commission a mené une enquête en entendant tous les témoins, vérifiants les éléments documentaires et testimoniaux. Elle s’est surtout rendue sur place pour étudier la chose. Un élément important est que, pour la première fois, une commission papale a enquêté alors que le phénomène des apparitions n’était pas achevé. Les sept premières ont été reconnues tandis que le Vatican n’a pas porté de jugements sur les suivantes.
La commission a conclu ses travaux en 2014. Pensez-vous que Rome pourrait de nouveau se saisir des phénomènes de Medjugorje ?
Medjugorje est un phénomène qui divise beaucoup, avec des personnes farouchement convaincus des deux côtés, soit celles qui croient totalement, soit celles qui ne croient pas du tout. À mon avis, le pape et le Saint-Siège ont raison d’avancer avec prudence. Il pourrait éventuellement y avoir une relecture de l’enquête lorsque les voyants seront morts, mais pas une nouvelle commission. L’intuition du pape François sur Medjugorje est d’abord pastorale. Après les résultats de la commission, il a jugé qu’il était bon d’envoyer un visiteur apostolique pour veiller au bon déroulement de la pastorale sur place.