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Pourquoi l’heure est venue de recourir à l’actionnariat salarié

ENTREPRISE PUZZLE
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Xavier Fontanet - publié le 08/12/21
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Tous les mardis, l’ancien chef d’entreprise et professeur de stratégie Xavier Fontanet décrypte l’actualité économique et la vie des entreprises. Il revient cette semaine sur certaines faiblesses de l’économie de marché, souvent tentée par la recherche de résultats à court terme, en proposant de recourir à l’actionnariat salarié.

Avec la chute du mur de Berlin et la faillite de l’économie dirigée, l’économie de marché et les idées libérales ont eu le vent en poupe. Il y avait de bonnes raisons à cela : la montée de la Chine et la sortie de la pauvreté de centaines de millions de personnes ont été fondamentalement permises par l’économie libre de marché. Depuis une dizaine d’années, la plupart des pays doivent faire face à des troubles de type nouveau : en France avec les Gilets jaunes mais aussi aux États-Unis où Donald Trump, bien qu’étant lui-même milliardaire, a réussi à canaliser les frustrations de la classe moyenne américaine qui se sentait déclassée par la mondialisation. Dans ces deux pays, on n’a pas assez expliqué qu’en achetant des produits à bas prix, et donc en rendant service à court terme aux consommateurs, on déplaçait à long terme la localisation des usines appuyées sur des technologies simples vers les pays en développement.

Le capitalisme doit se réformer

Les médias ont donné le micro en priorité aux adversaires de l’économie de marché qui ont raconté que c’était les industriels qui délocalisaient pour faire plus d’argent. On aurait pu donner davantage la parole à ceux qui expliquaient que c’était les acheteurs des grands distributeurs qui allaient chercher les produits en Asie. Un reportage sur une fermeture d’usine est plus spectaculaire et apportera plus de publicité qu’une explication technique sur les coûts de facteurs, les transferts d’expérience facilités par les engineerings et les fabricants de machine textiles. On ne rappellera jamais assez que chaque action entraîne une réaction et qu’aucun de nous ne doit séparer ce que le bras gauche (acheteur) fait au bras droit (producteur).

Cela dit, le capitalisme doit se réformer. Il a montré ses facultés d’adaptation en étant capable de s’accommoder de champs d’application et de terrains géographiques très variés (produits agricoles, produits industriels, finance, services…) et en étant actif dans tous les continents. Le général De Gaulle avait anticipé cette nécessaire évolution avec l’idée de participation qui s’est imposée pour le bien de tous. Le problème de la participation est celui-ci : un gouvernement ne peut imposer unilatéralement un taux d’allocation du profit au personnel sans courir de risque d’installer une forme de spoliation légale. Ce risque n’existe plus dans le cas de l’actionnariat salarié qui permet aux collaborateurs d’être associés aux décisions stratégiques et à la prospérité de l’entreprise grâce à la détention d’actions. Cet actionnariat ne va pas montrer sa puissance du jour au lendemain parce qu’il faut construire une base capitalistique, ce qui ne se fait que sur la durée. 

Le partage du risque

Coup de chance, nous disposons maintenant d’expériences d’entreprises qui pratiquent l’actionnariat salarié depuis cinquante ans et qui permettent de mettre en valeur ses trois principales vertus. Il y a d’abord la motivation que donne aux collaborateurs l’accès au conseil. On résout ensuite le problème de l’allocation des ressources entre le capital et le travail en mettant les salariés des deux côtés. On permet enfin à l’employé qui le désire de se constituer un portefeuille lui permettant d’augmenter significativement ce qu’il touchera pendant sa retraite.

Autre avantage, la création de valeur va directement à l’employé sans passer par l’État qui forcément prélève sa dîme au passage.

Il y a le problème du risque : qui porte le risque ? Dans le système capitaliste classique, c’est l’actionnaire qui le porte : le salaire est payé même si les affaires sont mauvaises. En compensation, l’actionnaire ramasse la mise quand l’affaire est rentable. Dans un pays envieux et réticent au risque comme le nôtre, on tend à oublier un peu vite, quand les investissements ont été judicieux, que c’est l’actionnaire qui l’a porté. La logique change complètement avec le système d’actionnariat salarié. Une technique simple permet de réduire le risque : la diversification. C’est ce que font les Américains avec le « Plan 401(k) », un système d'épargne retraite par capitalisation très largement utilisé aux États-Unis. Dans le système d’actionnariat salarié américain, le personnel commence par investir dans un fonds diversifié pour construire une liquidité qui permettra, dans un deuxième temps, d’acheter les actions de la société lorsque le propriétaire de l’entreprise décide soit de les vendre soit d’augmenter le capital pour faire des acquisitions. Le système américain limite à 50 % l’investissement dans l’entreprise pour éviter que l’employé mette tous ses œufs dans le même panier. Ainsi, les caisses de retraite des employés de la General Motors ont investi dans Google et n’ont pas été affectées par la faillite de l’entreprise démontrant l’intelligence du système du 401(k). 

Produire de la confiance

L’actionnariat salarié résout la problématique de l’allocation de la création de valeur entre capital et travail en mettant l’employé des deux côtés. Certains préfèrent mettre l’ISF en avant. C’est une mauvaise solution, car l’ISF détruit ce qu’il espère partager en démotivant l’entrepreneur quand il ne le fait pas fuir vers d’autres pays. La création de valeur n’est pas une donnée intrinsèque de l’économie, mais le résultat d’un climat de confiance que l’ISF contribue à détruire. Le contraire se produit avec l’actionnariat salarié, les chiffres montrant que les entreprises à fort actionnariat salarié ont des rentabilités plus élevées que les autres. Autre avantage, la création de valeur va directement à l’employé sans passer par l’État qui forcément prélève sa dîme au passage.

Nous avons actuellement une opportunité en France de le relancer avec les 200 milliards qui ont été accumulés pendant la crise. Pourrait être adopté le système américain en y ajoutant une assurance qui pourrait réduire encore les risques sur l’entreprise. Cette assurance ne serait probablement pas coûteuse, il suffit pour s’en persuader de regarder les rentabilités du marché financier sur une très longue période : le Standard and Poor qui a 250 ans a donné du 6% l’an depuis sa naissance ! 

Favoriser l’investissement patient

Renforcer l’actionnariat salarié tomberait à pic à une époque où l’aménagement des régimes de retraite est à l’ordre du jour. Des calculs (que tout le monde peut faire avec un tableur) montrent qu’un employé épargnant 5 % de son salaire pendant 45 ans se constitue un capital qui augmente très significativement la retraite légale. Pour aller plus loin, voici une autre suggestion : l’épargne retraite étant une épargne à très long terme, le législateur pourrait récompenser cette fidélité actionnariale, condition de stratégies à long terme, en baissant significativement la fiscalité pour des détention de plus de 25 ans par exemple. Une telle mesure aurait pour avantage de donner à la France l’image d’un pays qui favorise l’investissement patient. L’actionnariat salarié est une idée extraordinairement féconde qui obligerait tous les acteurs de la société (État, entreprises, individus) à se positionner sur des réalités structurantes pour la société : relations sociales, fiscalité, gouvernance… Il faut aujourd’hui impérativement s’emparer sérieusement du sujet. 

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