Dans toutes les églises du monde en ce dimanche des Rameaux, la lecture de la Passion selon saint Marc a été proclamée. Debout, recueillis, parfois émus et sans doute toujours attentifs, nous avons laissé sonner les paroles de grâces à nos oreilles. Éclairant nos intelligences, elles se sont frayées, comme elles l’ont pu, un chemin jusqu’à nos cœurs. Le texte est assez long et peut-être n’avons-nous pas écouté et sûrement pas retenu tous les évènements rapportés, les termes employés, les situations décrites. Peut-être même que, bercés par l’habitude et la connaissance que nous pensons en avoir, avons-nous même laisser filer notre attention, puisque de toute manière nous savons bien par quoi le récit s’achève.
Blasés que nous sommes, nous avons alors pu manquer ce qu’il advient, lorsque Jésus rend son dernier souffle et articule ses dernières syllabes : cette triple profession de foi, abreuvée par le jaillissement de sang et d’eau. Profession de foi d’un païen, chef des tueurs, centurion qui désigne à l’Histoire le Messie crucifié. Profession de foi du juif craintif qui ose alors réclamer le corps supplicié au juge qui l’a condamné. Profession silencieuse et inquiète de deux femmes qui suivent du regard le manège des puissants pour mieux revenir au tombeau quand l’agitation aura cessé et que le jour se sera à peine levé. Il n’est pas mince que les premiers croyants en un destin possible pour ce Jésus qu’ils voient mort, fussent donc un idolâtre, un lâche et deux femmes.
L’Évangile se veut une puissante invitation à la rencontre : il n’en donne pas la recette précise, il lui procure une possibilité.
Il n’y a pas de leçon à tirer de tout cela, comme il n’y a pas de leçon me semble-t-il à tirer de l’Évangile. Pas plus qu’il ne se veut la version monothéiste du code d’Hammurabi, l’Évangile ne peut être ramené à un petit condensé de morale de bon aloi.
Aux antipodes des prescriptions coraniques, l’Évangile se veut une puissante invitation à la rencontre : il n’en donne pas la recette précise, il lui procure une possibilité. Le chrétien n’est pas l’homme ou la femme qui agit ainsi ou qui accomplit un rituel qui lui serait suffisant pour prétendre au salut. Le baptisé — je préfère employer ce terme tant le mot de « chrétien » évoque un accomplissement qui ne peut être atteint qu’au moment où Dieu posant son regard sur la vie écoulée, la sanctifie pleinement en lui donnant de goûter à la communion éternelle — est celui qui sait bien que rien jamais n’est conquis. Et c’est bien pour cela qu’il ne peut, ce baptisé, que poser un regard d’extrême compassion pour son prochain qui chemine tout comme lui, à tâtons, vaillamment et pauvrement, sur ce chemin de misères et de splendeurs qu’on appelle l’existence.
L’Église prend la mesure, sous sa forme institutionnelle, qu’elle ne peut présenter de manière crédible l’Évangile au monde, que si elle se reconnaît elle-même, pour son aspect terrestre, tout entière saisie dans cette humble condition. Ainsi la Lettre des évêques aux catholiques de France doit-elle, me semble-t-il, être lue dans ce sens : comme une étape, un éveil. D’autres étapes viendront, sans douter, qui permettront à nos pasteurs et à l’Église entière, de reconnaître pour mieux les corriger, des structures de dysfonctionnement qui mettent à mal la mission en épuisant les hommes et provoquent parfois des blessures et des drames auxquels nul disciple du Christ ne doit pouvoir se résoudre.
Mais sans doute que pour avancer sur ce chemin de Vérité, il nous est nécessaire de méditer davantage ces trois visages de croyants que nous donne cette finale de la Passion de Marc et qui disent bien quelque chose de l’accomplissement des temps annoncé par la promesse de Jésus lui-même d’un Royaume où les publicains et les pécheurs accueilleront les hommes de loi.