Économie, politique, culture… La doctrine sociale de l’Église préconise que ni le contrôle de l’État ni les libertés individuelles n’outrepassent un certain cadre. Elle promeut une redistribution large et juste du pouvoir économique et politique comme un idéal vers lequel tendre au maximum.Un élément crucial de la doctrine sociale catholique, qui est souvent mis de côté ou mal compris, est l’hostilité à toute forme de concentration du pouvoir dans une société, que ce soit dans le domaine économique, politique ou culturel. Guidée par un sage instinct, la doctrine sociale de l’Église prône, autant que faire se peut, une répartition équilibrée du pouvoir au sein de la communauté, afin d’éviter qu’un petit groupe tyrannise la majorité ou empêche des pans entiers de la population de bénéficier des avantages qui leur sont acquis de droit.
Ce phénomène est particulièrement observable dans la sphère économique. Si une organisation parvient à obtenir le monopole dans son secteur économique, elle peut établir ses prix de manière arbitraire, embaucher et licencier selon son bon vouloir, éliminer toute concurrence qui proposerait de meilleurs produits et/ou de plus hauts salaires pour les employés… On peut penser ici à la politique de “trust-busting” (démantèlement des monopoles) menée par Theodore Roosevelt au début du XXe siècle, et aux problématiques similaires soulevées par Google, Facebook, Amazon ainsi que d’autres géants de la tech qui exercent une domination quasi absolue dans leur domaine.
Une juste répartition des biens dans une société
L’un des fondements de l’enseignement social de l’Église est ce que l’on appelle traditionnellement la justice distributive, autrement dit la juste répartition des biens dans une société. Cela peut découler directement d’actions gouvernementales, comme par exemple des lois “anti-trust”, l’instauration de minima sociaux, des programmes soutenant les populations défavorisées, la fiscalité… mais aussi parfois, plus indirectement, des rythmes naturels du marché. Dans Centesimus Annus, Jean Paul II suggérait d’ailleurs aux entrepreneurs de s’orienter vers les secteurs générant du profit, le maître-mot étant qu’une redistribution de la richesse au sein d’une société a tendance à rendre une économie non seulement plus juste mais aussi plus productive.
Nous aurions tort de penser qu’il n’existe pas de monopole culturel dans les pays occidentaux. Il suffit de voir à quel point l’idéologie influence presque tout ce qui est produit à Hollywood.
Cette dynamique s’observe aussi dans le domaine politique. Si un parti en vient à dominer une nation, un état, une ville ou une communauté, s’ensuit presque inévitablement la corruption. S’il n’est pas remis en cause, le parti au pouvoir peut imposer sa volonté et sa vision du monde, démanteler toute opposition, désamorcer la critique. Ces arrangements sont manifestes dans les républiques bananières, dans les dictatures communistes ou encore dans des théocraties opprimantes, mais ils sont aussi présents, à un degré moindre, dans les gouvernements locaux ou dans certains États des États-Unis. À votre avis, pourquoi les candidats pro-life n’ont-ils aucune chance d’être élus dans l’Illinois, dans le Massachusetts ou en Californie ? Et lorsque le monopole politique rime avec puissance économique, la corruption devient d’autant plus prégnante et systématique. Là encore, la doctrine sociale de l’Église promeut la scission du pouvoir et sa répartition au sein de la société. Celle-ci s’obtient de différentes façons : en donnant à une pluralité de partis la possibilité de s’exprimer, en permettant plus de renouvellements dans les organes législatifs, en promouvant une expression diversifiée du pouvoir à l’échelle locale, en favorisant la médiation dans les institutions, en renforçant le contrôle démocratique…
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Bien que probablement moins évident que les deux premiers, le troisième domaine où l’hyper concentration du pouvoir se révèle néfaste est celui de la culture. Que ce soit sous le régime nazi ou pendant l’ère soviétique, seules certaines formes d’art, de musique et de littérature étaient considérées comme acceptables, et toute déviation de la norme était rapidement réprimée par l’État. Aujourd’hui, une censure stricte dans le monde de l’art s’exerce toujours dans de nombreux états islamistes, ainsi que dans la Chine communiste. Mais nous aurions tort de penser qu’il n’existe pas de monopole culturel dans les pays occidentaux. Il suffit de voir à quel point l’idéologie influence presque tout ce qui est produit à Hollywood.
Bien évidemment, il n’est pas question d’une censure brutale de la part de l’État, mais il s’agit bel et bien d’une monopolisation du pouvoir culturel qui exclut clairement d’autres expressions de ce qui est bon, juste et beau. Là encore, il est intéressant de voir de quelle manière cette dictature culturelle s’associe au pouvoir économique et politique afin d’asseoir son hégémonie. La doctrine sociale de l’Église préconise dans ce domaine également la plus large répartition du pouvoir possible, afin de permettre une grande diversité d’expressions artistiques à différents niveaux de la société. Quel ennui lorsqu’une seule forme d’art ou de façon de penser sont jugées acceptables !
Le grand écrivain catholique anglais G.K Chesterton était de ceux qui étaient particulièrement sensibles à une hyper concentration du pouvoir. C’est pourquoi il développa, avec Hilaire Belloc et d’autres, un programme économique et politique qui fut connu sous le nom de “distributisme”, d’après la notion catholique de “juste distribution des richesses”. Comme l’a récemment souligné le grand commentateur de Chesterton Dale Ahlquist, on pourrait également parler de “localisme”, tant la doctrine de Chesterton insiste sur l’importance d’avoir de nombreuses expressions du pouvoir économique et politique à l’échelle locale plutôt que de chercher à les centraliser. Si vous voulez un exemple − très romancé − de ce qu’est le distributisme, lisez Le Seigneur des Anneaux de Tolkien en prêtant particulièrement attention à l’art de vivre dans la comté des Hobbits, en opposition avec les arrangements économiques et politiques dans le Mordor.
J’espère qu’il apparaît relativement clairement que cette approche catholique unique en son genre fait barrière à l’extrême gauche comme à l’extrême droite. La doctrine sociale de l’Église préconise que ni le contrôle de l’État ni les libertés individuelles n’outrepassent un certain cadre. Elle promeut une redistribution large et juste du pouvoir économique et politique comme un idéal vers lequel tendre au maximum.